Musique, entretien
En compagnie de ses enfants à Baltimore. |
Le 24 octobre
dernier, Théodore Epémé alias Zanzibar entamait sa 25è année dans le caveau
familial à Okola. Le 6 novembre, c’était au tour du régime dit du Renouveau de
fêter son 30è anniversaire alors que le ‘Festi Bikutsi’ annonçait des couleurs
pour une énième édition. Des dates que nous avons tenu à célébrer à notre
manière en donnant la parole à l’un des pionniers de la chronique musicale,
l’un des plus brillants arrangeurs de sa génération et surtout le concepteur du
groupe mythique «Les Têtes Brûlées» qui allait contribuer à affirmer par delà
les frontières nationales le genre bikutsi. Installé à Baltimore depuis
juillet, «John» a répondu à nos questions avec la franchise qu’on lui connaît,
mettant au passage nombre de choses au point. Pour le bonheur des mélomanes du
bikutsi qui n’oublient pas que le premier disque d’or de l’ère du Renouveau
était un magnifique album du groupe «Les Vétérans».
Quel est
l’environnement musical au début des années 80 quand tu y fais ton entrée sous
ta double casquette d’instrumentiste et de chroniqueur ?
Je
suis entré à Cameroon Tribune en 1981
et ai intégré la rédaction comme reporter culturel en 1982 après avoir quitté
le service de relecture. En créant littéralement le bureau Culture mené par
Antoine Ahanda, nous avons inauguré le principe de la couverture systématique
et gratuite de tous les événements culturels. C’est aussi l’année où ce qui
devait devenir l’Equipe Nationale du Makossa a commencé de s’imposer au public,
faisant oublier Prince Nico Mbarga et Sam Mangwana, et quelques Occidentaux. La
raison, un groupe de bons instrumentistes dont j’avais fait partie au tout
début avant de quitter la France en 1979. Avec Douglas Mbida, Jimmy Mvondo
Mvele et Jacob Desvarieux, nous avions réalisé un 33 tours de notre formation
le Zulu Gang. Mon job et mon
expérience sur le terrain m’ont permis de mieux constater l’état des lieux qui
ne ressemblait en rien à ce que la radio proclamait tous les jours. En effet,
le niveau de corruption des animateurs et des quelques organisateurs n’avait
pour effet que de noyer définitivement le public. Moustick Ambassa, Justin
Bowen et quelques autres ayant quitté le cabaret ‘Philantrope’ pour la Grèce, Yaoundé n’avait plus qu’un seul groupe
vivant au cabaret ‘Escalier bar’, Les Vétérans. En matière de studio, il
y avait le tout nouveau 16 pistes que Samuel Mpoual savait à peine piloter,
mais qui venait d’enregistrer Ange Ebogo Emérent et surtout Georges Seba.
Surtout lui parce que c’était un étudiant aux idées neuves et qui démontrait
grâce à son large succès que cette cadence "villageoise" avait de
l’avenir. Cependant il n’avait pas désigné sa musique du nom de ‘bikut si’.
Dans le paysage, il y avait aussi à travers la seule radio des bons moments dus
à d’anciens de ce qu’on appelait Ekang, Nyeung, etc. Le public alors réduit aux
seuls Betis connaissait les Maurice Elanga, (dit Elamau, devenu militaire),
Emérit Gaston Akono, Clément Ndo qui avait dirigé les fameux Titans de Sangmelima dont la séparation
avait donné Les Vétérans et leur
avait valu de s’installer a ‘Escalier
bar’.
Parlant des
Vétérans justement, l’on se souvient que ce groupe a remporté le premier disque
d’or de l’ère du Renouveau. Cette récompense peut-elle être considérée comme le
déclenchement de la popularisation du genre bikutsi au Cameroun ?
La pochette des Vétérans en 1984. |
Leurs
précédents enregistrements n’étaient pas disponibles sur le marché et leur
qualité n’aurait supporté le raz de marée qui venait de Paris. J’avais connu
Claude Tchemeni qui était vendeur de disques a Yaoundé lors de sa tentative
fructueuse de produire Mama Ohandja au Centre culturel français devenu trop
étroit pour les supporters Eton qui avaient même arraché le portail alors qu’on
leur disait que la salle était pleine. Tout ceci présageait d’une réalité
souterraine que je percevais tandis que le makossa, parvenu à l’âge des
querelles intestines entre Guillaume Toto et
Aladji Touré, tournait un peu en rond. Afin d’annoncer les nouveautés du
makossa, je m’étais rapproché de Tchemeni et son magasin, ce qui nous donnait
l’occasion souvent de deviser en fin de soirée. Un jour, il m’a confié qu’après
avoir mal géré son atelier de froid qui l’avait précédemment enrichi, il avait
dû se retrouver vendeur de disques et voulait de nouveau retrouver l’aisance.
Je lui ai dit d’entrer dans la production. Mais en vendeur et même souvent
copieur sur cassettes, il ne rêvait que d’abandonner ce métier. En insistant,
il m a proposé Anne Marie Nzié et Narcisse Kouokam, un humoriste prometteur. Je
lui ai proposé à la place Les Vétérans. Pour vaincre sa réticence, je
l’ai invité à ‘Escalier bar’ le
vendredi suivant et il a suffi de cette soirée pour qu’il comprenne et accepte
ma proposition. Notre chance a voulu que quelques temps plus tôt j’aie rédigé
un reportage de 5 articles sur le phénomène ‘Escalier bar’ dans les colonnes de
Cameroon Tribune, et aidé ainsi à
décomplexer ceux qui hésitaient à y aller, ce qui s’est ressenti dans
l’ambiance et les recettes. Ordinairement, ce dancing ne connaissait
d’effervescence que le dimanche à la sortie des tontines et au retour du stade.
Avec Les Vétérans, nous avons décidé
non seulement d’enregistrer au studio multipistes mais également de mixer en
France. C est ainsi que j’ai créé le label Ebobolo
Fia pour illustrer la modestie de nos moyens du début. Clo Clo Tchemeni
ayant bénéficié d’un coup de pouce d’amis expatriés enseignant au lycée
français Fustel de Coulanges a donc pu aller en France où l’attendaient mes
amis du Zulu Gang pour le mixage et
surtout les cuivres de Jimmy Mvondo Mvele.
Et là la magie
opère avec un album aux titres devenus depuis cultes dans l’histoire musicale
du Cameroun !
Oui.
Mais il faut dire que j’avais pris une précaution supplémentaire du fait de ma
vision du marché, et de la réalité sociale. Presque tout le pays était équipé
de radiocassettes et le makossa ne paraissait qu’en vinyles, j’ai donc exigé de
Clo Clo qu’il ne fasse que des cassettes et quelques disques seulement pour la
radio qui ne diffusait pas encore de cassettes. C’est ainsi que Les vétérans est devenu le groupe le
plus écouté et vendu de 1983 grâce à la qualité et à l’impossibilité de
piratage assurée en plus grâce à une pochette originale sur cassette et un
historique rédigé pour le client. En une semaine, Ebobolo Fia est devenue la première production sur la place. En
plus pour protéger aussi bien Clo Clo que le groupe d’une possible querelle
après ce premier succès, et surtout assurer la continuité du feeling, j’avais
enregistré à cette première occasion de quoi faire deux albums littéralement
pour le prix d’un. Malheureusement, dès que Les Vétérans est devenu disque de l’année et a touché son premier
million, Clo Clo et Ebobolo Fia
étaient déjà stratégiquement loin de moi. Cependant, j’avais autre chose en vue.
Avec l'intervieweur en son atelier d'Essos-Yaoundé en 2011. |
Dans ce disque
inoubliable, vous-même avez apporté du vôtre aux arrangements avec
l’introduction des cuivres. Ce qui ne vous valut à l’époque pas que des amis ?
L’introduction
des cuivres était mon idée, mais à Yaoundé il n’y avait plus de musiciens de
cette race. Tout le monde était parti. J’ai donc demandé a Clo Clo de
convaincre Jimmy Mvondo Mvele de jouer du saxo avec Tété Frédo à la trompette
comme nous avions fait avec Nicolas Pasteur Lappe dans Sékéle Mouvement à Paris. Il a dépassé mon rêve en s’insérant
adroitement dans ce qui avait été déjà joué. Ce qui est certain c’est qu’il y
avait dans Les Vétérans deux
attitudes : les méfiants qui me traitaient de Blanc dans ma façon de voir,
et les autres, les plus influents qui ont tout de suite adhéré. Il n’empêche
que pour la séance de chant de ‘kulu’, Angoué est venu au studio de force et
ivre mort. Ecoutez bien dans son chant les moments de réveil alors que je le
frappais littéralement pour qu’il reprenne après s’être endormi dans le box. Le
résultat et la gloire les ont convaincus, mais seulement eux, car à partir de
là un sympathisant m’a contacté pour une nouvelle production qui devait être
celle de Martin Messi, mais qui est devenue celle de Ange Ebogo Emérent.
Quelle était la
véritable structure du bikutsi en ces années-là ?
En
général, le line up des groupes était celui copié sur les groupes congolais de
rumba, donc a priori pas de cuivres, alors que les influences d’origine
noir-américaines dues a James Brown par exemple, plus d’autres genres comme la salsa
ou le boogaloo qui étaient très présentes pendant une décennie avaient habitué
le public aux saxophones et trompettes. La basse était très peu présente, tout
comme dans le makossa avant Vicky Edimo et Touré. La batterie chez Les Vétérans se jouait sans grosse
caisse, avec uniquement les baguettes, ce qui manquait d’impact pour la danse.
En revanche, les mélodies étaient savoureuses, originales, je dirais géniales.
La cadence était molle, il fallait la raviver et les musiciens étaient
vieillissants.
Des têtes d’affiche
de cette époque, on en entend plus vraiment beaucoup parler. Que s’est-il
passé ?
Mekongo
Président était entre rumba et Ekang. Il a surtout disparu à cause d’ennuis de
santé. Moustick Ambassa est actif au Gabon actuellement avec des projets et
joue même avec Hilarion Nguema. Maurice Elanga alias Elamau avait rejoint les
musiciens de la Garde républicaine avant son décès. Quant à Georges Seba, il
est resté actif mais a changé de genre en créant à Paris une des plus grandes
et magnifiques chorales de Gospel possibles. Il intervient d’ailleurs dans les
chœurs des Têtes Brulées dans
l’album ‘Bikutsi rock’, tout comme Lokua Kanza. Ce que je peux en dire ? Pas
grand chose car la vie nous conduit vers les endroits où nous l’avons d’abord
orientée par la foi, le courage ou la lâcheté, sans compter la conjoncture, je
dirais même les conjonctures.
La manchette du magazine qui a publié l'interview en premier. Nov 2011. |
Quel a été le
facteur déterminant dans la popularisation du bikutsi au Cameroun ?
Le
facteur dominant dans la popularisation du bikut si a d’abord été la
disparition des complexes hérités de la suprématie des autres musiques dites
plus "sociétales" alors que les Betis avaient honte de s’exprimer
dans une cadence ultra frénétique contraire à la bonne tenue en ville héritée
de la colonisation. Ainsi, de se retrouver dans un bar où il n’y avait pas de
classes sociales, le sentiment de fierté a fait le reste, rehaussé par une
présence honorable a la radio. Je me souviens encore comment j’ai ri le jour où
Ange Ebogo a dit à quel point il pensait que les Doualas dominaient la musique
camerounaise. Je lui ai dit de voir quels musiciens préférait Brillant Ekambi
par exemple, que Touré n’était pas Sawa, etc. Pour ce qui est du bikut si, venu
après l’Ekang, c’est incontestablement la télévision et les Têtes Brûlées, car c’est à ce moment
que beaucoup ont su que cette musique existait chez eux. Nombre de gens ne
connaissant pas le bikut si ont même pensé que c’étaient des Américains !
La mort tragique de Zanzibar a encore attiré plus de curieux vers ce phénomène.
Il faudrait aussi ajouter le fait d’une soudaine explosion de studios
d’enregistrement et le rôle de la radio avec l’arrivée des FM.
Quel rôle la
postérité retiendra-t-elle de l’action d’Ebobolofia de Claude Tchemeni durant
ces années fastes ?
Pour
moi, Tchemeni a simplement financé les premiers pas de cette musique et manqué
le rendez-vous de la création d’une vraie maison de production telle que nous
l’avions rêvée au départ. En devenant gâteux des fois quand il offrait des
tournées de champagne dans des restaurants parisiens sous prétexte par exemple
qu’il venait de penser à sa mère ! Dans cette entreprise, j’ai gagné exactement
45.000 CFA avant qu’il ne se sauve et que je ne passe aux Têtes Brûlées et autres Ohandja l’Etranger ou Rogers Mballa. Il a
tout simplement perdu le nord, mais il a produit un certain nombre d’artistes
avant sa disparition. C’est également sur son exemple que beaucoup de vendeurs
de disques sont devenus des producteurs, et que le bikut si est passé sous
contrôle bamiléké avec Mystic Djim comme recruteur.
A côté de Clo-Clo,
il y eût aussi dans la production Foty et Lanceleaux qui enregistrèrent à tour
de bras. Quel rapport avais-tu avec eux et quel fût l’impact de leur travail
sur le bikutsi ?
Foty
avait été très affecté par l’article très négatif qu’Abel Zomo Bem avait rédigé
sur le désastreux concert de leur duo à l’Abbia. Chantant avec ce qu’on appelle
voix de tête, ils avaient été trahis par une sonorisation très approximative,
et le public qui avait payé très cher pour l’époque (10 000 FCFA) les avait
conspués. Pour leur redonner un peu le moral, j’avais publié un article de
soutien qui m’avait mis en relation avec Foty qui vivait au Cameroun après des
études en communication en France. Il faut dire qu’il était très sensible et
rasait pratiquement les murs malgré sa superbe limousine américaine qui
impressionnait les badauds. Il avait à Douala un ami français nommé Lanceleaux
qu’il avait dû convaincre de financer le bikut si naissant. Un jour donc, il
est venu me voir au journal pour me demander de trouver le maximum d’artistes
évoluant dans l’univers très inconnu du bikut si pour une production en masse.
Il souhaitait avoir tout ce que ce monde avait de postulants à la production,
sans doute pour couper l’herbe sous le pied de Tchemeni qui avait le vent en
poupe. C’était ce que j’attendais. J’ai donc passé l’information à Zanzibar,
lequel a ameuté toute la famille éparse. J’ai fourni le matériel de répétition
(gratuitement) pour ne rien contrarier et imposé la meilleure formation
possible, malheureusement sans Mangouma qui sortait d’une rixe avec Zanzibar au
cours de laquelle celui-ci l’avait littéralement poignardé. Nous avons donc dû
faire appel à Atebass que je ne connaissais pas, mais qui venait de quitter le
groupe Sangoula avec comme camarade
Mbarga Soukouss. Les enregistrements ont
eu lieu au studio multipiste de la radio diffusion avec un mixage très
approximatif qui n’avait satisfait les attentes des uns et des autres. Il faut
noter qu’à cette occasion, chacun avait enregistré individuellement ses titres
et il y eut pas moins de 20 artistes. Les disques sont sortis les uns après les
autres mais n’ont pas connu le succès de ceux d’Ebobolo Fia, surtout parce que les producteurs n’avaient pas pensé
à produire des cassettes originales au moment où cela était désormais la norme.
Elvis Kemayo le concepteur et présentateur de Télé Podium. |
Et puis arrive ‘Télé
Podium’, l’émission phare de la télévision nationale !
Un
an après la création de la télé, le public influent s’est mis à exiger d’Elvis
Kemayo une certaine présence des artistes betis submergés par les makossa men.
C’est ainsi que nous avons décidé, malgré une certaine réticence des artistes,
de passer à "Télé Podium", mais en formation et sous le nom du groupe
Les Têtes Brûlées pour mieux nous
faire identifier et pour échapper au "soutien" en play back de
l’orchestre de la CTV. Ainsi, à cause de leur piano qu’on ne pouvait pas
déplacer, nous avons dû placer dessus le très jeune Owona Nkodo qui deviendrait
plus tard Gibraltar Drakus. Afin de rassurer les artistes qui avaient beaucoup
d’appréhension pour leur prestation à cause du son inferieur à celui des
makossa men, j’ai dû dévoiler l’idée que je me réservais de maquiller Les Têtes Brûlées et de fédérer ainsi
mes deux activités -peinture et musique- sans y participer moi même.
Naturellement, Foty et Lanceleaux n’en savaient rien. Ce n’est que lors du 3è
passage que le Français s’est muni d’un appareil sophistiqué et a photographié
d’abord Apache Ango sans autorisation parce que nous avions emprunté des taxis
différents pour nous rendre à la télé et que je faisais partie du dernier
contingent. Il faut dire que le public boudait les premières cassettes vite
réalisées par Foty et Lanceleaux se méfiant d’une possible piraterie, même si
les musiques étaient originales. Ce n’est donc que lorsque la pochette a
illustré le look que les ventes ont réellement commencé. A cause de cela, Elvis
Kemayo qui avait senti la récupération et l’intention de s’en approprier en
subordonnant Atebass qu’il m’a demandé d’intervenir lors d’un 3è tournage qu’il
avait organisé à cet effet. J’ai donc pu annoncer que le look était de moi,
même si Atebass a tout fait par la suite pour prétendre qu’il en était
l’auteur. Depuis le début, j’avais dit à mes amis que le Cameroun connaîtrait
des moments difficiles, mais que le bikut si nous sauverait et nous conduirait
loin dans le monde. Certains comme Sala Bekono ont refusé de me croire et se
sont écartés du groupe. En fait seul Nylon en faisait vraiment partie comme
batteur.
En ces années-là,
le texte brillait par un double langage pas accessible aux non initiés. Quelle
en était la raison ?
Dans
la formulation du texte des Ekangs, il ya toujours eu ce souci de ne dire
certaines choses qu’au second degré, le premier étant laissé aux ... naïfs,
enfants, etc. C’est dans cette science de mots et des sous entendus que l’on
repère la finesse d’un compositeur et sa connaissance de la langue. Ainsi
lorsque Martin Messi chantait ce pendentif magique qui lui donnait enfants,
gloire et respect, il parlait aux initiés des capacités d’un sexe par exemple.
KTino l’a essayé assez maladroitement avec son histoire de "queue de ma
chatte" parce qu’en langue française, les deux sens se font obstruction
sur le champ et ça sonne vulgaire... mais croustillant. La raison de cette
science du texte à double lecture est la distinction entre les jeunes et les
adultes et l’exposition d’un «savoir écrire».
En regardant les
crédits de ces années-là, il apert qu’un certain Zanzibar émergeait du lot des
guitaristes. Comment s’est opérée votre rencontre ?
Le
22 octobre marquait la 23è année de sa mort... Je l’ai d’abord écouté et
apprécié lors d’un concert que je couvrais à l’Abbia. Cependant, lors des
enregistrements de 'Okon makon" d’Ange Ebogo Emérent, c’est lui qui avait
convaincu les autres musiciens de m’écouter car Ebogo, absent sinon réticent,
leur avait donné la consigne de saboter notre collaboration. J’étais là sur
proposition de son futur producteur, lequel avait suggéré que je dirige les
arrangements et réalise ce qu’il avait compris à partir des Vétérans. Après avoir offert une
tournée générale j’ai retourné les positions et après quelques notes de ‘NNem
Mbie’ revues à ma manière, tout le groupe m’était acquis mais Ebogo n’est
jamais venu aux répétitions. Il n’a consenti à enregistrer que parce qu’il
était menacé par son producteur d’éviction du bar ‘Kumassengue’ où il officiait
tous les soirs. A la sortie du disque que j’ai moi même conduit en France cette
fois avec mes amis de toujours, il s’est enfermé chez lui, convaincu que
j’avais saboté ses chansons et en avait honte. C’est lorsque l’écho lui est
parvenu qu’il était en tête des charts qu’il est sorti de sa retraite et pour
obtenir un crédit de 10 millions à la SGBC avant de disparaitre a son tour
comme Clo Clo. Zanzibar qui n’avait qu’un rôle subalterne dans son groupe Ozima qui avait fait d’Ebogo un notable
après son exposition dans ‘Okon Makon’, a dû le quitter, entrainant dans ce
mouvement la fin d’Ozima de
structure congolaise. Pour moi, cette mention signifie évolution à l’étroit
sans possibilité d’initiative personnelle dans la musique. Un musellement et une
hiérarchisation excessive observable chez tous les Congolais de Rochereau aux
Zaiko Langa Langa.
Etant
de retour d’une tentative d’expatriation qui s’était arrêtée à Kumba, Zanzibar
est d’abord revenu à Edéa où un initié dans l’assiko l’a formé (écoutez ‘ngok
likeng’ de Martin Maah). A son retour à Yaoundé, il habitait dans un réduit
chez Samson Chaud Gars qui avait besoin de son talent unique mais était de plus
en plus à l’étroit. Il m’a cherché et m’a trouvé en pleine tentative
d’explication à un guitariste soliste ma façon de vouloir faire évoluer la
guitare dans le bikut si. Malheureusement ou heureusement, aucun des nombreux
solistes n’avait pu me satisfaire. A peine introduit dans la salle et ayant
suivi de l’extérieur mes orientations, il s’est emparé de la guitare par la
fenêtre et est entré en jouant pour la première fois ce que je voulais entendre
depuis des mois. Il m’a fait part de sa situation et je lui ai ouvert une
chambre qui était justement libre chez moi ; c’est ainsi que nous avons
commencé notre collaboration. D’abord sur mes chansons puis sur des
instrumentaux destinés à le débriefer d’une trop grande influence rumba
congolaise (confère ses premières compositions). Nous avons ainsi travaillé
quotidiennement sur guitare sèche (acoustique) avant que pour noël je ne lui
offre sa première guitare électrique à 24 cases, l’idéal pour les bikut si men.
De cela, nous avons bâti ‘Essingan’ qui s’appelait au début ‘Essosso’ et
‘Nadège’ que le soir il exposait à ‘Liberté bar’ à Mvog Ada avec un auditoire
d’étudiants qui appréciaient cette évolution à sa juste mesure. Après est venu
Martin Maah mais leurs rapports étaient assez houleux
En spectacle avec les Têtes brûlées. |
Vous avez créé les
Têtes brûlées dans la foulée. Quel en était l’esprit, l’esthétique et le fil
conducteur de ce groupe qui allait asseoir sa notoriété mondiale sur le
bikutsi ?
Oh
que non. C’était un projet de longue date pas à la mesure des Vétérans trop "vieux",
nécessitant de jeunes et bons musiciens ; ce qui était rare en 1983 après
le départ des Kaston Fire. J’ai toujours prédit aux musiciens que le bikut si
était international mais resterait local sans musiciens de talent courageux,
sans une prospection à l’écart de la rumba et des lignes traditionnelles de la
musique américaine. Le nom du groupe m’est venu en rêve et le look à son tour
fut une vision. Cette création n’était pas ordinaire. Pour moi, c’était
l’avenir de la musique vraiment d’origine camerounaise, le makossa étant lui
une musique urbaine mélangée de ce que les UVOCOT Jazz (Union des Voix
Côtières) avaient rapporté de Santa Isabel (Malabo). En fait, ma seconde idée
était d’offrir au monde de la musique un talent original sans tache de rock ni
de jazz, avec un langage forestier plus développé que celui de Martin Messi,
des Vétérans et autres. Un
instrumentiste plus qu’un chanteur, car Zanzibar ne chantait pas officiellement
avant notre collaboration. N’avaient le droit de chanter que ceux qui avaient
un disque ou à défaut ceux qui connaissaient bien le répertoire congolais et le
lingala. Pour l’esthétique, il y avait d’abord l’apparence qui devait
absolument différer de celle du makossa très corporative avec des vestes
cravates comme moyen d’affirmation sociale, la tenue sur la scène sans
cigarettes et surtout debout plutôt qu’assis ou les deux à la fois, et, le plus
dur, vivre notre propre musique en dansant et manifestant physiquement notre
adhésion à nos créations. Pour cela, il fallait que chacun soit impliqué dans
le processus de composition, d’arrangement et d’interprétation ainsi que la
chorégraphie ; ce que le makossa avait relégué à des filles dites
danseuses. En tant que reporter, j’avais couvert tellement de shows où seul le
chanteur s’impliquait devant des accompagnateurs inertes qu’on pouvait se
demander pourquoi ils étaient là, glacés et produisant une des musiques les
plus dansantes du moment. Nous sommes venus pour tout changer et donner une
leçon de tenue aux musiciens bourgeois qui commençaient de râler sur mes
positions de plus en plus exigeantes dans Cameroon
Tribune.
On voit renaître le
bikutsi aujourd’hui sous un visage plus féminin. Quelle en est l’explication de
votre point de vue ?
Beaucoup
de filles étaient jusque là loin du bikut si. Il est incontestable que KTino a
beaucoup fait pour les décomplexer d’autant qu’elle en a tellement fait
seulement sur le plan du chant que je dirais que beaucoup de filles ont vu la
faille et les retombées d’un courage facile a travers ses rapports d’amitié ou
autres avec Mme Biya. Ses spectacles des débuts, inspirés des frasques de Madonna
qui comme elle enlevait ses slips sur scène, ont convaincu beaucoup
d’exhibitionnistes de faire de même. Mbarga Soukouss lui poussait les clients à
se départir de leurs caleçons, mais KTino le faisait réellement. Lorsque le
succès dans le bikut si est devenu un moyen garanti de se produire en Suisse et
en France, le succès est vite et abondamment devenu un visa en puissance.
Désormais le succès ne conduit que vers une résidence en Europe, comme jadis le
makossa. Le bikut si est venu pour une longue durée car il est vite devenu la
vibration de Yaoundé et de ses quartiers chauds, de ses FM en mal de
sensations, et des danseurs du weekend décidés à en finir avec une semaine de
travail harassante et l’oubli des misères comme les nombreuses disparitions de proches
pendant les effroyables années 90 surtout. Personnellement, j’aime bien cette
expression qui voit arriver chaque jour un choc plus dur que le précédent et le
fait de se demander à qui sera le prochain tour car très peu réussiront à se
maintenir au top. De l’autre côté, on attend la participation des
professionnels, ceux qui par le savoir-faire donneront à cette vibration une
aura internationale et sérieuse à l’image déjà de Lynda Raymonde et ces
magnifiques musiciens qui l’accompagnent et font partie de la fine fleur des
instrumentistes de la ville.
Entretien avec Parfait Tabapsi
Quelle ingéniosité pour un phénomène si intelligent
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