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jeudi 27 décembre 2012

Jean marie Ahanda: mon bikutsi à moi

Musique, entretien
En compagnie de ses enfants à Baltimore.
Le 24 octobre dernier, Théodore Epémé alias Zanzibar entamait sa 25è année dans le caveau familial à Okola. Le 6 novembre, c’était au tour du régime dit du Renouveau de fêter son 30è anniversaire alors que le ‘Festi Bikutsi’ annonçait des couleurs pour une énième édition. Des dates que nous avons tenu à célébrer à notre manière en donnant la parole à l’un des pionniers de la chronique musicale, l’un des plus brillants arrangeurs de sa génération et surtout le concepteur du groupe mythique «Les Têtes Brûlées» qui allait contribuer à affirmer par delà les frontières nationales le genre bikutsi. Installé à Baltimore depuis juillet, «John» a répondu à nos questions avec la franchise qu’on lui connaît, mettant au passage nombre de choses au point. Pour le bonheur des mélomanes du bikutsi qui n’oublient pas que le premier disque d’or de l’ère du Renouveau était un magnifique album du groupe «Les Vétérans».

Quel est l’environnement musical au début des années 80 quand tu y fais ton entrée sous ta double casquette d’instrumentiste et de chroniqueur ?
Je suis entré à Cameroon Tribune en 1981 et ai intégré la rédaction comme reporter culturel en 1982 après avoir quitté le service de relecture. En créant littéralement le bureau Culture mené par Antoine Ahanda, nous avons inauguré le principe de la couverture systématique et gratuite de tous les événements culturels. C’est aussi l’année où ce qui devait devenir l’Equipe Nationale du Makossa a commencé de s’imposer au public, faisant oublier Prince Nico Mbarga et Sam Mangwana, et quelques Occidentaux. La raison, un groupe de bons instrumentistes dont j’avais fait partie au tout début avant de quitter la France en 1979. Avec Douglas Mbida, Jimmy Mvondo Mvele et Jacob Desvarieux, nous avions réalisé un 33 tours de notre formation le Zulu Gang. Mon job et mon expérience sur le terrain m’ont permis de mieux constater l’état des lieux qui ne ressemblait en rien à ce que la radio proclamait tous les jours. En effet, le niveau de corruption des animateurs et des quelques organisateurs n’avait pour effet que de noyer définitivement le public. Moustick Ambassa, Justin Bowen et quelques autres ayant quitté le cabaret ‘Philantrope’ pour la Grèce, Yaoundé n’avait plus qu’un seul groupe vivant au cabaret ‘Escalier bar’, Les Vétérans. En matière de studio, il y avait le tout nouveau 16 pistes que Samuel Mpoual savait à peine piloter, mais qui venait d’enregistrer Ange Ebogo Emérent et surtout Georges Seba. Surtout lui parce que c’était un étudiant aux idées neuves et qui démontrait grâce à son large succès que cette cadence "villageoise" avait de l’avenir. Cependant il n’avait pas désigné sa musique du nom de ‘bikut si’. Dans le paysage, il y avait aussi à travers la seule radio des bons moments dus à d’anciens de ce qu’on appelait Ekang, Nyeung, etc. Le public alors réduit aux seuls Betis connaissait les Maurice Elanga, (dit Elamau, devenu militaire), Emérit Gaston Akono, Clément Ndo qui avait dirigé les fameux Titans de Sangmelima dont la séparation avait donné Les Vétérans et leur avait valu de s’installer a ‘Escalier bar’.

Parlant des Vétérans justement, l’on se souvient que ce groupe a remporté le premier disque d’or de l’ère du Renouveau. Cette récompense peut-elle être considérée comme le déclenchement de la popularisation du genre bikutsi au Cameroun ?
La pochette des Vétérans en 1984.
Leurs précédents enregistrements n’étaient pas disponibles sur le marché et leur qualité n’aurait supporté le raz de marée qui venait de Paris. J’avais connu Claude Tchemeni qui était vendeur de disques a Yaoundé lors de sa tentative fructueuse de produire Mama Ohandja au Centre culturel français devenu trop étroit pour les supporters Eton qui avaient même arraché le portail alors qu’on leur disait que la salle était pleine. Tout ceci présageait d’une réalité souterraine que je percevais tandis que le makossa, parvenu à l’âge des querelles intestines entre Guillaume Toto et  Aladji Touré, tournait un peu en rond. Afin d’annoncer les nouveautés du makossa, je m’étais rapproché de Tchemeni et son magasin, ce qui nous donnait l’occasion souvent de deviser en fin de soirée. Un jour, il m’a confié qu’après avoir mal géré son atelier de froid qui l’avait précédemment enrichi, il avait dû se retrouver vendeur de disques et voulait de nouveau retrouver l’aisance. Je lui ai dit d’entrer dans la production. Mais en vendeur et même souvent copieur sur cassettes, il ne rêvait que d’abandonner ce métier. En insistant, il m a proposé Anne Marie Nzié et Narcisse Kouokam, un humoriste prometteur. Je lui ai proposé à la place Les Vétérans. Pour vaincre sa réticence, je l’ai invité à ‘Escalier bar’ le vendredi suivant et il a suffi de cette soirée pour qu’il comprenne et accepte ma proposition. Notre chance a voulu que quelques temps plus tôt j’aie rédigé un reportage de 5 articles sur le phénomène ‘Escalier bar’ dans les colonnes de Cameroon Tribune, et aidé ainsi à décomplexer ceux qui hésitaient à y aller, ce qui s’est ressenti dans l’ambiance et les recettes. Ordinairement, ce dancing ne connaissait d’effervescence que le dimanche à la sortie des tontines et au retour du stade. Avec Les Vétérans, nous avons décidé non seulement d’enregistrer au studio multipistes mais également de mixer en France. C est ainsi que j’ai créé le label Ebobolo Fia pour illustrer la modestie de nos moyens du début. Clo Clo Tchemeni ayant bénéficié d’un coup de pouce d’amis expatriés enseignant au lycée français Fustel de Coulanges a donc pu aller en France où l’attendaient mes amis du Zulu Gang pour le mixage et surtout les cuivres de Jimmy Mvondo Mvele.
Et là la magie opère avec un album aux titres devenus depuis cultes dans l’histoire musicale du Cameroun !
Oui. Mais il faut dire que j’avais pris une précaution supplémentaire du fait de ma vision du marché, et de la réalité sociale. Presque tout le pays était équipé de radiocassettes et le makossa ne paraissait qu’en vinyles, j’ai donc exigé de Clo Clo qu’il ne fasse que des cassettes et quelques disques seulement pour la radio qui ne diffusait pas encore de cassettes. C’est ainsi que Les vétérans est devenu le groupe le plus écouté et vendu de 1983 grâce à la qualité et à l’impossibilité de piratage assurée en plus grâce à une pochette originale sur cassette et un historique rédigé pour le client. En une semaine, Ebobolo Fia est devenue la première production sur la place. En plus pour protéger aussi bien Clo Clo que le groupe d’une possible querelle après ce premier succès, et surtout assurer la continuité du feeling, j’avais enregistré à cette première occasion de quoi faire deux albums littéralement pour le prix d’un. Malheureusement, dès que Les Vétérans est devenu disque de l’année et a touché son premier million, Clo Clo et Ebobolo Fia étaient déjà stratégiquement loin de moi. Cependant, j’avais autre chose en vue.


Avec l'intervieweur en son atelier d'Essos-Yaoundé en 2011.
Dans ce disque inoubliable, vous-même avez apporté du vôtre aux arrangements avec l’introduction des cuivres. Ce qui ne vous valut à l’époque pas que des amis ?
L’introduction des cuivres était mon idée, mais à Yaoundé il n’y avait plus de musiciens de cette race. Tout le monde était parti. J’ai donc demandé a Clo Clo de convaincre Jimmy Mvondo Mvele de jouer du saxo avec Tété Frédo à la trompette comme nous avions fait avec Nicolas Pasteur Lappe dans Sékéle Mouvement à Paris. Il a dépassé mon rêve en s’insérant adroitement dans ce qui avait été déjà joué. Ce qui est certain c’est qu’il y avait dans Les Vétérans deux attitudes : les méfiants qui me traitaient de Blanc dans ma façon de voir, et les autres, les plus influents qui ont tout de suite adhéré. Il n’empêche que pour la séance de chant de ‘kulu’, Angoué est venu au studio de force et ivre mort. Ecoutez bien dans son chant les moments de réveil alors que je le frappais littéralement pour qu’il reprenne après s’être endormi dans le box. Le résultat et la gloire les ont convaincus, mais seulement eux, car à partir de là un sympathisant m’a contacté pour une nouvelle production qui devait être celle de Martin Messi, mais qui est devenue celle de Ange Ebogo Emérent. 

Quelle était la véritable structure du bikutsi en ces années-là ?
En général, le line up des groupes était celui copié sur les groupes congolais de rumba, donc a priori pas de cuivres, alors que les influences d’origine noir-américaines dues a James Brown par exemple, plus d’autres genres comme la salsa ou le boogaloo qui étaient très présentes pendant une décennie avaient habitué le public aux saxophones et trompettes. La basse était très peu présente, tout comme dans le makossa avant Vicky Edimo et Touré. La batterie chez Les Vétérans se jouait sans grosse caisse, avec uniquement les baguettes, ce qui manquait d’impact pour la danse. En revanche, les mélodies étaient savoureuses, originales, je dirais géniales. La cadence était molle, il fallait la raviver et les musiciens étaient vieillissants.

Des têtes d’affiche de cette époque, on en entend plus vraiment beaucoup parler. Que s’est-il passé ?
Mekongo Président était entre rumba et Ekang. Il a surtout disparu à cause d’ennuis de santé. Moustick Ambassa est actif au Gabon actuellement avec des projets et joue même avec Hilarion Nguema. Maurice Elanga alias Elamau avait rejoint les musiciens de la Garde républicaine avant son décès. Quant à Georges Seba, il est resté actif mais a changé de genre en créant à Paris une des plus grandes et magnifiques chorales de Gospel possibles. Il intervient d’ailleurs dans les chœurs des Têtes Brulées dans l’album ‘Bikutsi rock’, tout comme Lokua Kanza. Ce que je peux en dire ? Pas grand chose car la vie nous conduit vers les endroits où nous l’avons d’abord orientée par la foi, le courage ou la lâcheté, sans compter la conjoncture, je dirais même les conjonctures.

La manchette du magazine qui a publié l'interview en premier. Nov 2011.
Quel a été le facteur déterminant dans la popularisation du bikutsi au Cameroun ?
Le facteur dominant dans la popularisation du bikut si a d’abord été la disparition des complexes hérités de la suprématie des autres musiques dites plus "sociétales" alors que les Betis avaient honte de s’exprimer dans une cadence ultra frénétique contraire à la bonne tenue en ville héritée de la colonisation. Ainsi, de se retrouver dans un bar où il n’y avait pas de classes sociales, le sentiment de fierté a fait le reste, rehaussé par une présence honorable a la radio. Je me souviens encore comment j’ai ri le jour où Ange Ebogo a dit à quel point il pensait que les Doualas dominaient la musique camerounaise. Je lui ai dit de voir quels musiciens préférait Brillant Ekambi par exemple, que Touré n’était pas Sawa, etc. Pour ce qui est du bikut si, venu après l’Ekang, c’est incontestablement la télévision et les Têtes Brûlées, car c’est à ce moment que beaucoup ont su que cette musique existait chez eux. Nombre de gens ne connaissant pas le bikut si ont même pensé que c’étaient des Américains ! La mort tragique de Zanzibar a encore attiré plus de curieux vers ce phénomène. Il faudrait aussi ajouter le fait d’une soudaine explosion de studios d’enregistrement et le rôle de la radio avec l’arrivée des FM.

Quel rôle la postérité retiendra-t-elle de l’action d’Ebobolofia de Claude Tchemeni durant ces années fastes ?
Pour moi, Tchemeni a simplement financé les premiers pas de cette musique et manqué le rendez-vous de la création d’une vraie maison de production telle que nous l’avions rêvée au départ. En devenant gâteux des fois quand il offrait des tournées de champagne dans des restaurants parisiens sous prétexte par exemple qu’il venait de penser à sa mère ! Dans cette entreprise, j’ai gagné exactement 45.000 CFA avant qu’il ne se sauve et que je ne passe aux Têtes Brûlées et autres Ohandja l’Etranger ou Rogers Mballa. Il a tout simplement perdu le nord, mais il a produit un certain nombre d’artistes avant sa disparition. C’est également sur son exemple que beaucoup de vendeurs de disques sont devenus des producteurs, et que le bikut si est passé sous contrôle bamiléké avec Mystic Djim comme recruteur. 

A côté de Clo-Clo, il y eût aussi dans la production Foty et Lanceleaux qui enregistrèrent à tour de bras. Quel rapport avais-tu avec eux et quel fût l’impact de leur travail sur le bikutsi ?
Foty avait été très affecté par l’article très négatif qu’Abel Zomo Bem avait rédigé sur le désastreux concert de leur duo à l’Abbia. Chantant avec ce qu’on appelle voix de tête, ils avaient été trahis par une sonorisation très approximative, et le public qui avait payé très cher pour l’époque (10 000 FCFA) les avait conspués. Pour leur redonner un peu le moral, j’avais publié un article de soutien qui m’avait mis en relation avec Foty qui vivait au Cameroun après des études en communication en France. Il faut dire qu’il était très sensible et rasait pratiquement les murs malgré sa superbe limousine américaine qui impressionnait les badauds. Il avait à Douala un ami français nommé Lanceleaux qu’il avait dû convaincre de financer le bikut si naissant. Un jour donc, il est venu me voir au journal pour me demander de trouver le maximum d’artistes évoluant dans l’univers très inconnu du bikut si pour une production en masse. Il souhaitait avoir tout ce que ce monde avait de postulants à la production, sans doute pour couper l’herbe sous le pied de Tchemeni qui avait le vent en poupe. C’était ce que j’attendais. J’ai donc passé l’information à Zanzibar, lequel a ameuté toute la famille éparse. J’ai fourni le matériel de répétition (gratuitement) pour ne rien contrarier et imposé la meilleure formation possible, malheureusement sans Mangouma qui sortait d’une rixe avec Zanzibar au cours de laquelle celui-ci l’avait littéralement poignardé. Nous avons donc dû faire appel à Atebass que je ne connaissais pas, mais qui venait de quitter le groupe Sangoula avec comme camarade Mbarga Soukouss. Les enregistrements ont eu lieu au studio multipiste de la radio diffusion avec un mixage très approximatif qui n’avait satisfait les attentes des uns et des autres. Il faut noter qu’à cette occasion, chacun avait enregistré individuellement ses titres et il y eut pas moins de 20 artistes. Les disques sont sortis les uns après les autres mais n’ont pas connu le succès de ceux d’Ebobolo Fia, surtout parce que les producteurs n’avaient pas pensé à produire des cassettes originales au moment où cela était désormais la norme.

Elvis Kemayo le concepteur et présentateur de Télé Podium.
Et puis arrive ‘Télé Podium’, l’émission phare de la télévision nationale !
Un an après la création de la télé, le public influent s’est mis à exiger d’Elvis Kemayo une certaine présence des artistes betis submergés par les makossa men. C’est ainsi que nous avons décidé, malgré une certaine réticence des artistes, de passer à "Télé Podium", mais en formation et sous le nom du groupe Les Têtes Brûlées pour mieux nous faire identifier et pour échapper au "soutien" en play back de l’orchestre de la CTV. Ainsi, à cause de leur piano qu’on ne pouvait pas déplacer, nous avons dû placer dessus le très jeune Owona Nkodo qui deviendrait plus tard Gibraltar Drakus. Afin de rassurer les artistes qui avaient beaucoup d’appréhension pour leur prestation à cause du son inferieur à celui des makossa men, j’ai dû dévoiler l’idée que je me réservais de maquiller Les Têtes Brûlées et de fédérer ainsi mes deux activités -peinture et musique- sans y participer moi même. Naturellement, Foty et Lanceleaux n’en savaient rien. Ce n’est que lors du 3è passage que le Français s’est muni d’un appareil sophistiqué et a photographié d’abord Apache Ango sans autorisation parce que nous avions emprunté des taxis différents pour nous rendre à la télé et que je faisais partie du dernier contingent. Il faut dire que le public boudait les premières cassettes vite réalisées par Foty et Lanceleaux se méfiant d’une possible piraterie, même si les musiques étaient originales. Ce n’est donc que lorsque la pochette a illustré le look que les ventes ont réellement commencé. A cause de cela, Elvis Kemayo qui avait senti la récupération et l’intention de s’en approprier en subordonnant Atebass qu’il m’a demandé d’intervenir lors d’un 3è tournage qu’il avait organisé à cet effet. J’ai donc pu annoncer que le look était de moi, même si Atebass a tout fait par la suite pour prétendre qu’il en était l’auteur. Depuis le début, j’avais dit à mes amis que le Cameroun connaîtrait des moments difficiles, mais que le bikut si nous sauverait et nous conduirait loin dans le monde. Certains comme Sala Bekono ont refusé de me croire et se sont écartés du groupe. En fait seul Nylon en faisait vraiment partie comme batteur.

En ces années-là, le texte brillait par un double langage pas accessible aux non initiés. Quelle en était la raison ?
Dans la formulation du texte des Ekangs, il ya toujours eu ce souci de ne dire certaines choses qu’au second degré, le premier étant laissé aux ... naïfs, enfants, etc. C’est dans cette science de mots et des sous entendus que l’on repère la finesse d’un compositeur et sa connaissance de la langue. Ainsi lorsque Martin Messi chantait ce pendentif magique qui lui donnait enfants, gloire et respect, il parlait aux initiés des capacités d’un sexe par exemple. KTino l’a essayé assez maladroitement avec son histoire de "queue de ma chatte" parce qu’en langue française, les deux sens se font obstruction sur le champ et ça sonne vulgaire... mais croustillant. La raison de cette science du texte à double lecture est la distinction entre les jeunes et les adultes et l’exposition d’un «savoir écrire».

En regardant les crédits de ces années-là, il apert qu’un certain Zanzibar émergeait du lot des guitaristes. Comment s’est opérée votre rencontre ?
Le 22 octobre marquait la 23è année de sa mort... Je l’ai d’abord écouté et apprécié lors d’un concert que je couvrais à l’Abbia. Cependant, lors des enregistrements de 'Okon makon" d’Ange Ebogo Emérent, c’est lui qui avait convaincu les autres musiciens de m’écouter car Ebogo, absent sinon réticent, leur avait donné la consigne de saboter notre collaboration. J’étais là sur proposition de son futur producteur, lequel avait suggéré que je dirige les arrangements et réalise ce qu’il avait compris à partir des Vétérans. Après avoir offert une tournée générale j’ai retourné les positions et après quelques notes de ‘NNem Mbie’ revues à ma manière, tout le groupe m’était acquis mais Ebogo n’est jamais venu aux répétitions. Il n’a consenti à enregistrer que parce qu’il était menacé par son producteur d’éviction du bar ‘Kumassengue’ où il officiait tous les soirs. A la sortie du disque que j’ai moi même conduit en France cette fois avec mes amis de toujours, il s’est enfermé chez lui, convaincu que j’avais saboté ses chansons et en avait honte. C’est lorsque l’écho lui est parvenu qu’il était en tête des charts qu’il est sorti de sa retraite et pour obtenir un crédit de 10 millions à la SGBC avant de disparaitre a son tour comme Clo Clo. Zanzibar qui n’avait qu’un rôle subalterne dans son groupe Ozima qui avait fait d’Ebogo un notable après son exposition dans ‘Okon Makon’, a dû le quitter, entrainant dans ce mouvement la fin d’Ozima de structure congolaise. Pour moi, cette mention signifie évolution à l’étroit sans possibilité d’initiative personnelle dans la musique. Un musellement et une hiérarchisation excessive observable chez tous les Congolais de Rochereau aux Zaiko Langa Langa.
Etant de retour d’une tentative d’expatriation qui s’était arrêtée à Kumba, Zanzibar est d’abord revenu à Edéa où un initié dans l’assiko l’a formé (écoutez ‘ngok likeng’ de Martin Maah). A son retour à Yaoundé, il habitait dans un réduit chez Samson Chaud Gars qui avait besoin de son talent unique mais était de plus en plus à l’étroit. Il m’a cherché et m’a trouvé en pleine tentative d’explication à un guitariste soliste ma façon de vouloir faire évoluer la guitare dans le bikut si. Malheureusement ou heureusement, aucun des nombreux solistes n’avait pu me satisfaire. A peine introduit dans la salle et ayant suivi de l’extérieur mes orientations, il s’est emparé de la guitare par la fenêtre et est entré en jouant pour la première fois ce que je voulais entendre depuis des mois. Il m’a fait part de sa situation et je lui ai ouvert une chambre qui était justement libre chez moi ; c’est ainsi que nous avons commencé notre collaboration. D’abord sur mes chansons puis sur des instrumentaux destinés à le débriefer d’une trop grande influence rumba congolaise (confère ses premières compositions). Nous avons ainsi travaillé quotidiennement sur guitare sèche (acoustique) avant que pour noël je ne lui offre sa première guitare électrique à 24 cases, l’idéal pour les bikut si men. De cela, nous avons bâti ‘Essingan’ qui s’appelait au début ‘Essosso’ et ‘Nadège’ que le soir il exposait à ‘Liberté bar’ à Mvog Ada avec un auditoire d’étudiants qui appréciaient cette évolution à sa juste mesure. Après est venu Martin Maah mais leurs rapports étaient assez houleux

En spectacle avec les Têtes brûlées.
Vous avez créé les Têtes brûlées dans la foulée. Quel en était l’esprit, l’esthétique et le fil conducteur de ce groupe qui allait asseoir sa notoriété mondiale sur le bikutsi ?
Oh que non. C’était un projet de longue date pas à la mesure des Vétérans trop "vieux", nécessitant de jeunes et bons musiciens ; ce qui était rare en 1983 après le départ des Kaston Fire. J’ai toujours prédit aux musiciens que le bikut si était international mais resterait local sans musiciens de talent courageux, sans une prospection à l’écart de la rumba et des lignes traditionnelles de la musique américaine. Le nom du groupe m’est venu en rêve et le look à son tour fut une vision. Cette création n’était pas ordinaire. Pour moi, c’était l’avenir de la musique vraiment d’origine camerounaise, le makossa étant lui une musique urbaine mélangée de ce que les UVOCOT Jazz (Union des Voix Côtières) avaient rapporté de Santa Isabel (Malabo). En fait, ma seconde idée était d’offrir au monde de la musique un talent original sans tache de rock ni de jazz, avec un langage forestier plus développé que celui de Martin Messi, des Vétérans et autres. Un instrumentiste plus qu’un chanteur, car Zanzibar ne chantait pas officiellement avant notre collaboration. N’avaient le droit de chanter que ceux qui avaient un disque ou à défaut ceux qui connaissaient bien le répertoire congolais et le lingala. Pour l’esthétique, il y avait d’abord l’apparence qui devait absolument différer de celle du makossa très corporative avec des vestes cravates comme moyen d’affirmation sociale, la tenue sur la scène sans cigarettes et surtout debout plutôt qu’assis ou les deux à la fois, et, le plus dur, vivre notre propre musique en dansant et manifestant physiquement notre adhésion à nos créations. Pour cela, il fallait que chacun soit impliqué dans le processus de composition, d’arrangement et d’interprétation ainsi que la chorégraphie ; ce que le makossa avait relégué à des filles dites danseuses. En tant que reporter, j’avais couvert tellement de shows où seul le chanteur s’impliquait devant des accompagnateurs inertes qu’on pouvait se demander pourquoi ils étaient là, glacés et produisant une des musiques les plus dansantes du moment. Nous sommes venus pour tout changer et donner une leçon de tenue aux musiciens bourgeois qui commençaient de râler sur mes positions de plus en plus exigeantes dans Cameroon Tribune

On voit renaître le bikutsi aujourd’hui sous un visage plus féminin. Quelle en est l’explication de votre point de vue ?
Beaucoup de filles étaient jusque là loin du bikut si. Il est incontestable que KTino a beaucoup fait pour les décomplexer d’autant qu’elle en a tellement fait seulement sur le plan du chant que je dirais que beaucoup de filles ont vu la faille et les retombées d’un courage facile a travers ses rapports d’amitié ou autres avec Mme Biya. Ses spectacles des débuts, inspirés des frasques de Madonna qui comme elle enlevait ses slips sur scène, ont convaincu beaucoup d’exhibitionnistes de faire de même. Mbarga Soukouss lui poussait les clients à se départir de leurs caleçons, mais KTino le faisait réellement. Lorsque le succès dans le bikut si est devenu un moyen garanti de se produire en Suisse et en France, le succès est vite et abondamment devenu un visa en puissance. Désormais le succès ne conduit que vers une résidence en Europe, comme jadis le makossa. Le bikut si est venu pour une longue durée car il est vite devenu la vibration de Yaoundé et de ses quartiers chauds, de ses FM en mal de sensations, et des danseurs du weekend décidés à en finir avec une semaine de travail harassante et l’oubli des misères comme les nombreuses disparitions de proches pendant les effroyables années 90 surtout. Personnellement, j’aime bien cette expression qui voit arriver chaque jour un choc plus dur que le précédent et le fait de se demander à qui sera le prochain tour car très peu réussiront à se maintenir au top. De l’autre côté, on attend la participation des professionnels, ceux qui par le savoir-faire donneront à cette vibration une aura internationale et sérieuse à l’image déjà de Lynda Raymonde et ces magnifiques musiciens qui l’accompagnent et font partie de la fine fleur des instrumentistes de la ville.
Entretien avec Parfait Tabapsi

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