Emile Youmbi en son atelier d'Odza, Yaoundé; juin 2013. |
portrait, arts plastiques
Le
plasticien qui nous a reçu en son atelier à Yaoundé compte deux décennies
d’expérience dans un domaine qui l’a vu sacrifier ses études pour réussir à la
force du poignet. Récit.
Pour la 9è édition de l’exposition d’art
contemporain au Cameroun à la Maison de la coopération allemande à Yaoundé, les
organisateurs ont jeté leur dévolu sur Emile Youmbi. Lui à qui était ainsi
donné l’occasion de présenter une partie de son travail à une assemblée de
connaisseurs qui a ses habitudes ici depuis 2011, depuis que cette institution
a décidé, sans être une galerie, de mettre sa salle de conférences et sa
cantine sur une brève période à la disposition d’artistes. Histoire de leur
permettre de faire voir leur travail et ainsi procéder à la vente des œuvres
qui le composent.
Le 27 mai dernier donc, c’était autour du peintre
et sculpteur Emile Youmbi d’être à l’honneur. Pour cet artiste pas du tout
bavard, ce ne fût pas une mince épreuve à l’heure de décliner les composantes
d’œuvres ayant pour fil d’Ariane les ombres dont les silhouettes jalonnaient
l’ensemble dans une harmonie heureuse sous des couleurs chatoyantes et
étudiées.
Un travail qu’il a préparé loin de là, au quartier
Odza où il vit et travaille. Ici, renseigne-t-il quand nous lui rendons visite
quelques jours plus loin, l’atelier est en dehors de la maison par ce qu’il a
besoin de «plus de concentration» ; et il lui en faut tant les
sollicitations sont multiples et d’origines diverses. Mis avant d’en faire un
bref éventail, retour sur cette carrière qui a fait de lui l’une des valeurs
sûres de l’art contemporain aujourd’hui au Cameroun.
Il est en effet loin le moment où Youmbi se
souvient avoir croisé la route de l’art. Dans ses souvenirs, cela remonterait à
la prime enfance et à sa rencontre avec la bande dessinée qu’il a appris à
aimer au fur et à mesure qu’il grandissait. La pratique de l’art interviendra
quant à elle vers la fin de son cycle secondaire. D’abord à Obala, une bourgade
à 30 minutes de Yaoundé. Une pratique qui prend la forme du dessin. Le jeune
lycéen reprend en effet des scènes de BD au stylo sur papier blanc.
«Jusqu’alors, je n’avais encore jamais vu quelqu’un peindre», se souvient-il.
Il prendra ensuite le chemin de Sangmélima, plus au sud du pays, où il croisera
son premier mentor qui n’est autre que son voisin de banc en classe de
Terminale. Une sacrée pêche dans la mesure où André Seppo Toko arrive de Buea
où il avait droit avec ses camarades aux cours d’art, et qui forcément en sait
un peu plus que le jeune dessinateur. En voyant faire ce dernier, son nouveau
pote lui offre son premier attirail : un paquet de gouaches et du papier
Canson. Non sans lui recommander de prendre congé des dessins. Un signe du
destin que Youmbi saisit avec gourmandise et entrain. «C’est alors que j’ai
commencé à chercher les couleurs et à essayer de les associer tout seul, à
multiplier des essais à cette fin à n’en plus finir. J’étais inspiré par ce que
je voyais autour de moi».
Université
Très vite pourtant, il faut déménager pour Yaoundé
où il doit poursuivre ses études à la seule université camerounaise de
l’époque. Il prend alors une inscription au département de Maths ainsi qu’au
Club des arts plastiques. Le quotidien au campus de Ngoa Ekellé est tout sauf tranquille
avec le mouvement estudiantin Le Parlement et ses leaders qui, à la suite de la
première guerre du Golfe s’appellent Schwarzkopf, Powell, etc. et ont adopté le
vocabulaire guerrier en cours pour faire entendre leurs revendications pour un
mieux être dans ce qui apparaît comme une fournaise. Face à eux, les autorités
réagissent avec une certaine brutalité et une rupture entre les deux camps
apparaît assez rapidement. Pendant ce temps, Youmbi n’a la tête, les yeux et
les oreilles que pour l’art. Car au Club, il a découvert l’art abstrait qu’il
veut à tout prix domestiquer. Les maîtres en ce Club ont pour noms Gaston
Kenfack dit Ken’s, l’historien Idrissou Njoya, le dessinateur de presse en
service à Cameroon Tribune Retin, Goddy Leye, Louise Epée de l’Ensemble
national, etc.
Ici, le climat est bon enfant malgré
l’environnement difficile. Un cocon où mijotent bien de projets dont cette
«Nuit colorée» qui permettra à notre jeune premier de sortir de l’anonymat.
«Cet événement consistait pour les membres du Club à présenter leur travail.
Avec mes propositions, il m’a de suite été donné le qualificatif de maître de
la couleur». Quelques temps après, il participe à la création du Collectif
Prim’Art qui prend ses quartiers pas loin du campus, à Obili. «Nous étions de
jeunes chercheurs et en tant que tel, chacun d’entre nous avait un axe de
recherche et proposait un travail qu’il défendait devant le groupe réuni».
Inutile de préciser que les nuits seront longues et que ses études en pâtiront.
Il opte alors «sans problème aucun» pour l’art qu’il étreint désormais
fermement et qui le lui rendra bien dans les années qui vont suivre.
Car très rapidement, il sera question pour l’ado de
plancher sur son expo perso après en avoir multiplié avec ses camarades de
cordée. C’est alors qu’entre en ligne de compte le directeur du Goethe Institut
Kamerun (GIK), un certain Peter Anders dont l’histoire dira un jour sa part
dans l’évolution de l’art contemporain au Cameroun. «Grâce à son soutien, le
Club a essayé beaucoup de choses qui n’avaient pas encore pignon sur rue ici -comme
l’art public- et qui nous a amenés à faire des interventions artistiques dans
les quartiers et les marchés». Mais déjà, le Collectif s’essouffle puisqu’il
devient difficile de réunir les membres à échéance régulière, surtout que
certains ne vivent plus à Yaoundé. C’est alors que Youmbi présente en solo sa
première expo au GIK alors situé à l’Avenue du président Kennedy et intitulé
«Iconoclast Masters». Nous sommes en 1996 et les œuvres de l’expo questionnent
l’identité de leur géniteur. Un travail qui a permis à Youmbi d’entrer en
profondeur de la tradition de l’Ouest Cameroun dont il est originaire pour en
sonder les messages et les futilités. Une odyssée qui enfantera d’autres expos
sur les années qui vont suivre et qui va aboutir après aux fameuses ombres
qu’il continue de butiner encore aujourd’hui.
Dans la foulée aussi, d’autres expos vont suivre à
Yaoundé, à Douala (espace Doual’art notamment) et à l’étranger. Suivront
également des ateliers de perfectionnement partout où il est invité. Et
d’invitations, il y en aura. Tout comme les rencontres avec des ténors du monde
de l’art comme celle d’avec le feu Aimé Césaire à Fort de France en 2003 et qui
l’a marqué à jamais. Peu à peu au Cameroun, son travail commence à porter ses
fruits, même si la critique n’a pas été toujours tendre avec lui à ses débuts.
Les commandes aussi commencent à affluer. Ce qui ne l’empêche pourtant pas à
continuer son travail sur l’identité. Si avant il était porté par le souffle de
la découverte et de la présentation de celle-ci, désormais il questionne la
tradition à partir de son propre point de vue. «Avant, je travaillais un peu
par procuration, à partir des témoignages et autres discours sur mes
observations ; désormais je dis ce que je pense de telle ou telle
situation plutôt que ce que j’en entends. C’est à mes yeux une continuité
logique, sauf que l’univers n’est plus ma tradition, mais le monde entier».
Expos
En 1999, il expose à Doual’art un «Carré-four» au
cours duquel il transforme les coques de voitures abandonnées en sculptures.
C’est à cette époque qu’il parcourt la capitale économique en compagnie de ses
assistants pour récupérer les carcasses d’auto afin de leur donner une nouvelle
vie, trois ans après le travail immense de Joseph Francis Sumégné matérialisé
par «La nouvelle liberté» érigée au Rond-point Déido. Ce travail, il le faisait
convaincu que «chaque période a son expression». Et si l’on n’est pas d’accord
avec lui, il assène : «je le crois d’autant plus que dans la foulée, je me
suis mis à incorporer des sculptures à mes tableaux parce que je voulais donner
un autre regard sur les volumes». A-t-il pour autant convaincu ? Il
préfère poursuivre le récit de cette vie de plasticien qui n’a pas encore livré
tous ses secrets.
Quelques temps après, il est retenu pour un atelier
de formation en sculpture de bronze organisé à Brazzaville avec le financement
de l’Union européenne et qui portait sur la «technique de la cire perdue». Il y
mordra comme dans une tranche de pastèque au point d’en faire un moyen central
d’élargir sa palette créatrice. «Avant cet atelier, je travaillais déjà avec le
fer mais il était trop rigide alors que le bronze est plus malléable». Marqué
par cette nouvelle technique, il essayera avec succès l’association, a priori
impossible, des deux matériaux.
En 2011, avec son compère Pascale Marthine Tayou,
il a donné corps au projet «Les flâneurs» que l’on peut apercevoir sur le pont
d’Edéa et qui constituait la partie visible et indélébile du cinquantenaire du
GIK (Voir Mosaïques N°003). Une œuvre monumentale dont il n’est pas peu fier
mais dont il ne compte pas donner plus de résonnance que cela, englué qu’il est
aujourd’hui par un autre projet plus gigantesque encore. Un projet est
actuellement en train de mûrir à la Communauté urbaine de Douala (CUD) et pour
lequel Youmbi jouera un rôle central : il est question d’ériger une sorte
de mémorial en l’honneur d’un fils douala au lieu dit ‘Feu rouge Bessengué’ à Douala.
Si le plasticien ne souhaite pas s’étendre longuement sur une œuvre attendue
par la CUD et la famille, c’est qu’il est très occupé, «stressé même», par un
travail de sculpture de huit œuvres en bronze qui prendront bientôt le chemin
de la France où il sera exposé. Avec ses assistants, il y travaille jour et
nuit depuis quelques semaines et croise les doigts afin d’être prêt à échéance
dite. Un défi pour celui qui a achevé il y a peu une œuvre sur la célébration
du cinquantenaire de la réunification du Cameroun actuellement exposé au lieu
dit ‘Carrefour Sodiko’ à Bonabéri, ou encore le buste de Senghor réalisé il y a
quelques années et qui trône au campus de l’Université de Yaoundé II à Soa.
Parfait
Tabapsi
Emile Youmbi
en quelques dates
1969 :
naissance
1990 :
reproduit les BD
1993 :
fonde avec d’autres le Collectif Prim’art à l’université de Yaoundé
1996 :
première expo perso à Doual’art
2002 :
expo ‘Couleurs de la francophonie’ à l’espace Kiron à Paris
2003 :
expo ‘Racines et résonnances’ à l’espace Atrium à Fort de France
2006 :
participation au OFF du Dak’Art et au salon d’art contemporain de Zurich
2008 :
2è participation à ‘The last picture show’ à Douala et au Palais de l’Unesco à
Paris
2012 :
expo ‘Regards’ à Louveciennes à Paris
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire