Livre
Avec son
premier roman, Kayabochan pose le diagnostic d’une profession plus sinistrée
qu’il n’y paraît.
L’enseignement, noble métier ? Oui. Mais ailleurs. Pas au Cameroun.
Qui a, depuis la crise économique de la fin des années 80 et l’ouverture
démocratique, maille à partir avec ce corps en charge la formation de son
élite. A tel point qu’être enseignant aujourd’hui au Cameroun c’est accepter de
se mettre dans une situation pour le moins inextricable qui aboutit
indubitablement à la dégradation du corps social tout en obérant l’avenir d’une
nation qui, on ne le dira jamais assez, a plus d’un atout pour sortir de la
misère généralisée.
Comme le démontre Kayabochan dans son roman «La craie noire», ce n’est
pourtant pas la vocation qui manque. Ou même le potentiel. C’est plutôt le
système, fait de corruption, d’injustice, de tribalisme, de favoritisme, et
j’en oublie, qui tire l’enseignant et son métier vers le bas. Vers l’abîme même
tant la posture d’enseignant souffre d’une sorte de travestissement et
d’irrespect. Au Cameroun, comme sans doute ailleurs pourtant, l’enseignant est
au carrefour d’un repère auto-normé. Sur la ligne horizontale, celle des
abscisses, il constitue avec la communauté de ses collègues et des parents
d’élèves une famille dont l’apport est déterminant pour la réussite des
enfants. Sur la ligne verticale, celle des ordonnées, le prof est au milieu
d’une relation qui fait de lui un exécutant et un ordonnateur en même temps.
Exécutant du point de vue administratif, ordonnateur du point de vue
pédagogique.
Tout serait simple si ce repère était autonome et que l‘enseignant
avait une marge de manœuvre suffisante pour former le Camerounais de demain. On
en est loin comme le fait savoir en filigrane Kayabochan. Clochardisé,
l’enseignant joue d’abord sa survie, y pense en premier. Vivant dans la misère
souvent comme son héros, il se doit de subvenir au besoin de la maisonnée si ce
n’est de la famille ; avant même les siens. Puis, il doit former des
élèves qui ne lui facilitent pas la tâche du fait de leur indiscipline souvent
encouragée par les parents eux-mêmes. Après quoi il doit subir les ordres et
contrordres, souvent tordus et dépourvus de tout bon sens, de la hiérarchie
administrative. Le tout avec parfois un zeste de mépris et de condescendance.
Réduit ainsi à avaler des couleuvres au quotidien, sa fonction sociale
s’en trouve affectée pour le mal d’une société camerounaise dont les priorités
gouvernementales semblent confiner à l’accumulation sans réserve et tous
azimuts. Résultat des courses, l’enseignant se retrouve à penser «qu’aucun
métier ne nous fait mieux sentir parfois la monotonie de la vie que
l’enseignement». Et pour conjurer cette monotonie, rien de mieux que de plonger
dans «la malédiction des enseignants (à savoir) les vacations dans les
établissements privés», qui en fait multiplie les problèmes plus qu’il ne les
résout.
Avec ce beau texte, Kayabochan, qui commet là son premier ouvrage
perso, nous renseigne sur un métier qu’elle pratique depuis près de deux
décennies. Dans une langue châtiée qui gagnerait pour les prochaines créations
à être plus serrée dans la narration, surtout si elle veut suivre les pas de ce
Séverin Cécil Abéga qui lui a «transmis le goût de l’enseignement des lettres»,
qui était un conteur né, et à qui elle rend hommage dès le frontispice. On sort
de son récit un peu ébaubi par la réalité dans les lycées et collèges, mais
surtout groggy. Tant ce métier ainsi dévalué est central dans le développement
de toute nation. L’Etat camerounais saisira-t-il cette balle au bond pour en
faire un élément de poids dans sa lancée vers l’émergence ?
Parfait Tabapsi
Kayabochan, La craie noire, Yaoundé, Editions
Ifrikiya, avril 2013, 152 pages.
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