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lundi 10 décembre 2012

cinéma: "Quartier Mozart", un panache éternel


Jean-Pierre Bekolo, Tunis, novembre 2012.@ Tabapsi

 «Il y a des gens bizarres dans ce quartier». Oui, au quartier Mozart, il se passe des choses pas claires, sordides. A tel point que les spectateurs, tout comme les personnages qui défilent à l’écran, ne s’ennuient guère. Dans ce quartier qui ressemble à nombre d’autres des grandes bourgades africaines, la sorcellerie rentre en collision avec le sexe et la vie ordinaire pour produire un cocktail détonnant et épicé, un peu comme si la vie au final n’y tenait pas à grand-chose, surtout pas à la grandeur supposée ou réelle des habitants.
Avec ce premier film, Pascal Bekolo, qui depuis a ressuscité son 2è nom Obama, a frappé un coup à plusieurs impacts. Il y a d’abord cette manie au montage qui consiste à présenter les personnages par eux-mêmes comme une mise en bouche avant le show. Le spectateur qui loupe cette entrée là aura du mal à bien cerner le film qui peut alors commencer tout en douceur avec ce dialogue fondateur entre une femme et une fillette qui seront toutes deux transformées en homme et ado par la suite. Et c’est là le 2è élément particulier de Bekolo qui transporte le spectateur dans les dédales du quartier à travers les yeux des deux mâles.
Mais la touche qui nous semble la plus intéressante ici c’est d’une part l’intrusion de la photographie en plein milieu de la narration. Des images animées par des dialogues écrits, un peu comme des légendes, et qui ont le mérite de ne pas casser le rythme du récit tout en apportant une touche de fraîcheur et d’étonnement à la fois. D’autre part, il y a ces 15 secondes de noir, avec en fond les échanges, au cours desquelles la télévision de Chien méchant disparaît. Une trouvaille qui contribue à rajouter la tension à l’intrigue. Au passage, le jeune réalisateur, il a alors 25 ans, fustige, bien qu’en douceur, ce goût des églises occidentales pour l’argent comme on peut le voir au cours du dialogue entre Chien méchant et le prête appelé au secours pour bénir sa maison. Et là, faut être très attentif pour apercevoir la carte des tarifs de prestation de l’homme de Dieu au mur.
L'affiche du film.
Avec ce film également, l’on se rend compte qu’en plus des bizarreries des personnages et la métaphysique qui sont l’apanage des quartiers de chez nous, il y a une sorte d’oisiveté qui sourd des profils des personnages principaux. Qui peut ainsi dire de quoi vivent Montype, Kongossa ou Kapo ? Une oisiveté qui ne confine pas à l’ennui, mais qui sonne comme une harmonie avec cet espace citadin où les infrastructures de base manquent. Il n’y a ainsi que le commissariat qui est montré –au moment où la femme de Chien méchant va s’ouvrir au patron d’icelui quand elle est répudiée. Quid des écoles et lycées, des centres de santé ou encore des infrastructures de loisirs comme les cinémas, les bibliothèques ou les parcs d’attraction ? Une question d’autant plus lancinante qu’une bonne partie du film se joue dans une boutique et qu’une scène vers la fin a pour théâtre un bar.
Avec ce film aussi, Bekolo fait étalage de sa capacité à écrire des dialogues dans une langue que les Camerounais ne connaissent que trop bien et qui est une mixture du français et des langues locales. C’est même la force du film, en concurrence peut-être avec le montage. Les répliques successives sont à mourir de rire et traduisent efficacement une narration parfois trépidante, mais globalement maîtrisée. L’on sort du film ému, touché, mais pensif également. Surtout 20 ans plus loin car depuis la sortie, le paysage est loin d’avoir évolué de manière satisfaisante. L’oisiveté est toujours de mise et les infrastructures de proximité sont toujours attendus ou alors dans certains cas attendent de fonctionner correctement. Une cruelle leçon pour une Afrique qui donne quelquefois l’impression de faire fi du bien être de ses habitants.
Parfait Tabapsi

Pascal Bekolo Obama
Aux sources du projet
Quartier Mozart pour moi c’est le film finalement. Je suis parti d’un concept. J’avais des personnages assez forts et me suis dit que j’allais créer un univers vivant inspiré de quartiers que je connaissais très bien au Cameroun. Le titre n’était pas un hasard, vu qu’un quartier Mozart existe à Douala, un quartier très chaud. Je devais avoir un vague souvenir de ce quartier. J’ai d’ailleurs un jour croisé Manu Dibango qui m’a dit «tu es trop jeune pour connaître le quartier Mozart» ! Ce vague souvenir, qui n’en était pas un en fait, s’est mélangé à ce concept de faire un quartier vivant où les personnages seraient assez forts et où le thème central serait le sexe, mieux la relation homme femme sous toutes les coutures. J’ai joué avec tout ça mais l’idée pour moi c’était d’avoir un titre qui aurait une référence pour les Occidentaux, mais qui ne serait pas la même pour les Camerounais.
Quand on dit «quartier Mozart» au Cameroun, tout le monde pense à ce quartier mais personne ne pense au compositeur Mozart. Je trouvais cela bien, car c’est cela même l’esprit du film.
Sur la présentation des personnages dès le départ, je pense que c’était important de dire : «nous allons faire du cinéma». Au cinéma, on triche toujours un peu, on essaye de faire croire que c’est vrai ce qu’on montre. Cette façon de procéder aidait beaucoup l’esprit du film de mon point de vue. Ce côté théâtre m’aide en fait à casser justement le côté théâtral des films africains. Cela aidait aussi le spectateur à mieux rentrer dans le film.
Tout est parti des dialogues. J’ai d’ailleurs passé toute une année à les écrire. J’aime bien cette façon de parler dans le film que je trouve originale, inattendue. Car si tu demandes au Cameroun à quelqu’un «comment tu vas ?», tu ne sais jamais ce qu’il va te répondre. Il fallait bien se distancer de ce parler local pour arriver à créer un style. Il y a un côté drôle, un côté absurde et en même temps très imagé. Je trouve qu’il y a un fond. En plus, la langue véhicule une philosophie sur la vision du monde. Ce que beaucoup de gens font c’est qu’ils traduisent leur langue en français et comme il y a plus de deux cents langues au Cameroun, c’est le seul moyen de communiquer en fait. Je n’ai fait qu’exploiter cette spécificité du Cameroun dans le film.
Dès qu’on voit des noirs, un décor africain, tout de suite on croit que c’est ethnique, mais tout n’est pas ethnique !
J’ai fait le film sans voix off au départ parce que je n’en voulais pas. C’est en montant que j’ai décidé de la rajouter, parce que je sentais que le film avait du mal à démarrer. En faisant ce film, je me suis concentré sur mes forces en me disant qu’il ne fallait pas se hasarder dans les domaines inconnus de moi.
J’ai créé un quartier, ce qui fait que même si j’avais des problèmes avec mon récit, j’avais  tellement de personnages sur lesquels je pouvais m’accrocher pour le faire avancer. J’ai aussi appuyé le film au montage. D’abord parce que je pense que le Cameroun que je connais bouge tout le temps ; il y a une dynamique, une vie, un tonus. Moi je voulais l’Afrique complètement dans un fouillis, dans un bordel. Et ce rythme, on le sent tel un battement de cœur. Le montage de ce film là est pour moi comme la danse.
Sur la musique, je dirais que c’est grâce à elle que je fais le cinéma. C’est parce que je n’ai pas pu faire la musique que je fais le cinéma.
Quand tu vis en Afrique, tu vois des enfants naître partout, et cela me fascine. Tout à l’air très calme, mais il y a plein d’enfants. Cela veut tout simplement dire qu’il y a une vie que personne ne voit. La vie des gens est un peu centrée autour du sexe, on vit de ça.

Extrait du DVD du film sorti en 2003 en France

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