spécial JCC 2012
Hinde Boujemaa, Tunis, 09/012 |
Les réalisateurs estiment que le changement politique
a impacté positivement sur leur travail, en attendant la réorganisation du
secteur.
par Parfait Tabapsi à Tunis
En prenant ses quartiers à
un jet de pierre de la «Place du 14 janvier 2011», les JCC ont fait un clin
d’œil –volontaire ou non- à la révolution qui l’année dernière poussa Zine El
Abidine Ben Ali à l’exil. En y consignant en effet deux hôtels, dont l’un servait
de QG et en réquisitionnant neuf cinémas et espaces culturels pas loin de cette
place symbolique, le comité d’organisation a passé un message.
Subtilement. Un symbole qui renseigne
aussi un peu sur ce qu’est devenu le 7è art ces derniers mois au pays du plus
vieux festival de cinéma du continent.
A Tunis et partout en
Tunisie en effet, la révolution a marqué les esprits. Surtout chez les artistes
qui ont dû se revêtir de nouveaux atours créatifs et adopté de nouvelles
postures artistiques. Pour Nejib Ben Azouz, réalisateur de «Aux origines de la
révolution tunisienne» (15’) «il est indéniable que la révolution a conféré une
certaine liberté de parole à tout le monde». Un sésame indispensable pour tout
artiste tant l’art n’a pas de frontières ni géographiques ni psychologiques ou
mentales. Il ajoute : «avant, on n’avait pas le droit de faire un film sur
la politique, or rien ne nous oblige plus à cela depuis les événements de
2011».
Mohamed Zran, Tunis, 09/012 |
Un avis que confortent
nombre de réalisateurs au rang desquels Hinde Boujemaa dont le film «C’était
mieux demain» a fait couler encre et salive ici. Elle insiste pour dire que
«rien n’a changé à part la liberté d’expression qui, il ne faut pas l’oublier,
a été arraché de haute lutte par nos compatriotes». Un avis pas loin de celui
de Mohamed Zran, le réalisateur de «Dégage» qui a ouvert les JCC 2012 pour qui
«un cinéaste reste cinéaste malgré la conjoncture. Sa force ne dépend pas des
changements sociopolitiques».
Ainsi, tous ou presque
s’accordent pour dire que «la censure a disparu». Ce qui augure peut-être de
lendemains meilleurs. Mais avant d’y être ou de s’y projeter, Bilel Bali qui a
réalisé «1,2,3…5,6,7…» fait savoir que pendant la révolution, lui, comme
certains, a «eu peur, car on ne savait pas de quoi sera fait l’avenir»,
sous-entendu la vie post-révolution. Il précise cependant que «durant les
périodes de couvre-feu, certains continuaient de vivre normalement ; on
organisait même des soirées, notamment de danse de salsa, ce qui m’a amené à
filmer pour mon film. C’était un moyen pour les populations d’évacuer la
pression médiatique, politique et sociale».
La liberté semble donc être
le seul acquis de la révolution. Car à en croire Bilel Bali, «l’état du cinéma
a régressé malgré le nombre de productions multipliées par 10 ou 15». Il faut
dire que les réalisateurs ont leur seul courage et détermination pour munitions
dans leur travail de création. Bali poursuit : «il y a une régression au niveau
des subventions de l’Etat et de l’aide du ministère de la Culture». Une
commission d’aide aux films existe pourtant depuis décembre 2011 mais souffre
encore des problèmes de trésorerie dans une phase de transition où les
priorités sont visiblement ailleurs. Car comment expliquer autrement qu’après
l’annonce il y a cinq mois de la délivrance des premières aides on en soit
encore au stade des discours ?
Bilel Bali, Tunis, 09/012 |
Hinde Boujemaa pour sa part
préfère demander à ses compatriotes de garder les yeux ouverts sur cette
transition qui peut basculer dans le fondamentalisme avec le risque de perte
des acquis de la révolution comme la liberté d’expression. Zran, lui, dit que
«faire des films est devenu plus compliqué financièrement car avec le
gouvernement provisoire, les choses sont loin d’être claires». Pour l’avenir
donc, il y a tant à faire pour le bonheur du 7è art en Tunisie. Zran estime que
l’accent doit être mis sur l’éducation du public, la restauration des
infrastructures, bref «donner plus de moyens à la culture, car il faut que nous
produisons nos images nous-mêmes». Il va même jusqu’à proposer «une révolution
culturelle qui consiste à mettre les moyens dans la culture, éduquer le public
sur les arts, nourrir et éclairer les esprits des citoyens afin qu’ils soient
responsables demain pour mieux gérer le pays et comprendre le monde.»
En attendant, Ben Azouz,
Boujemaa ou Bali se disent optimistes pour demain, à condition selon Boujemaa
que le public soit amené à prendre conscience du changement en cours et à
venir». Faut-il ouvrir les paris ?
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