Le responsable du Centre pour la coopération scientifique
entre l’Afrique et l’Allemagne revient sur le colloque organisé les 24 et 25
Septembre 2012 sur la migration.
Vous venez de coordonner un séminaire à
l’université de Yaoundé I sur la thématique de la migration. Pouvez-vous nous
dire quelle en était la justification ainsi que le principal objectif ?
L’idée
nous est venue après que le Goethe Institut Kamerun nous ait soumis un projet
venu de la centrale à Munich souhaitant ou sollicitant la constitution d’une
sorte de groupe de réflexion formé autour des anciens d’Allemagne. Le thème
générique qui nous a ainsi été proposé était «Culture et développement». Nous leur
avons proposé à notre tour de nous intéresser à un phénomène particulier qui
est d’actualité à savoir la migration. Nous nous proposions de montrer qu’en
nous intéressant à cette thématique, nous allions intégrer nécessairement tous
les horizons que leur thème générique suggérait.
Au cours des échanges, l’on a appris
plein de choses comme dans cet exposé du sociologue Missè Missè qui a étudié le
phénomène de la migration européenne et occidentale vers l’Afrique. Cet aspect là
vous semble-t-il s’inscrire dans la durée ?
L’impression
qui est donnée que la migration est avant tout un phénomène de mouvement de populations
du sud vers le nord provient des journaux et de ce qu’on appelle agenda setting
des journaux ; lequel agenda setting est lui-même lié à la nature des
médias qui sont fortement influencés par des grands groupes internationaux liés
aux Etats, notamment européens ou américains, ou alors à certains intérêts
privés des mêmes Etats. Dans ce cadre où ce sont les journaux qui décident de
ce qui est pour eux important à présenter, il y a fatalement une focalisation
vers ce qui pour les Américains ou Européens fait problème à savoir les
mouvements de populations du sud vers le nord. Or la réalité, qu’elle soit
statistique, historique ou humaine, est tout autre. Lorsque l’on observe au
niveau actuel les problèmes de migration, l’on s’aperçoit qu’en Afrique, les
4/5 des migrants ne vont nullement en direction d’Europe ou d’Amérique, mais
d’abord en direction de l’Afrique ou de l’Asie. A partir de là, on réalise que
même en se focalisant exclusivement sur le présent, l’impression que les médias
donnent est fausse. Maintenant, si l’on voit le problème d’un point de vue
historique, l’on constatera que les choses sont faussées si on regarde à
l’échelle de ce que les médias nous présentent. Historiquement en effet, les
mouvements de populations, il y en a eu. Et l’un de ces mouvements eut lieu durant
la traite des esclaves qui a mobilisé des populations africaines vers ce qui
constitue aujourd’hui le nord. Après cette ponction des populations africaines,
le mouvement s’est très rapidement inversé, notamment durant la colonisation
par un afflux massif d’Européens qui sont venus s’installer en terre d’Afrique.
Si certains pays comme le Cameroun ou le Togo n’ont pas connu cet afflux
massif, ce ne fut pas le cas d’autres pays d’Afrique. Car il ne faut pas
oublier qu’il y avait alors à côté des colonies d’exploitation -comme au
Cameroun- des colonies de peuplement –Afrique du Sud, Namibie, Algérie ... Pendant
la guerre mondiale en outre, il y eut également des juifs qui, fuyant les
répressions et les discriminations en Europe, n’ont survécu qu’en s’installant
en Afrique. Le phénomène ne fait donc que se poursuivre aujourd’hui. Dans les
années 60, 70 et même 80, il y avait plus de Français en Côte d’Ivoire que
d’Ivoiriens en France. Si cette situation a évolué, c’est sans doute du fait
des guerres que la Côte d’Ivoire a connu récemment. Je cite cet exemple afin
qu’on comprenne qu’il ya une très mauvaise perception de cette réalité du fait
des médias. A cela s’ajoute ces dernières années la crise qui est en train de
s’installer en Europe. Depuis une dizaine d’années, on a pensé que la crise
était purement conjoncturelle en Europe ; qu’avec les mécanismes habituels
de régularisation on allait la geler. Mais l’on s’aperçoit au fil des semaines
et des mois qu’il s’agit d’une crise structurelle et non conjoncturelle. Avec
le chômage qui commence à déstabiliser beaucoup d’Etats. Ceux parmi eux qui ont
tiré une conclusion claire et sans équivoque ce sont le Portugal et l’Espagne
qui ont lancé un appel à leurs ressortissants chômeurs d’aller chercher fortune
ailleurs, et surtout en Afrique. Et le Portugal précisément a des liens
historiques avec un certain nombre de pays où ses ressortissants peuvent
s’épanouir : l’Angola et le Mozambique. Il y a donc un mouvement
clairement organisé et orienté de migration de l’Europe vers l’Afrique.
Pensez-vous que les Etats africains
hôtes de ces migrants soient armés pour faire face à ce qui apparaît, du moins
pour l’Angola, de plus en plus comme une ruée ?
Les
Etas africains sont souvent coincés dans certaines difficultés qu’ils doivent
gérer pratiquement au jour le jour. Ce qui les oblige à ne pas avoir de
structures de veille qui observent les tendances et anticipent des solutions. C’est
lorsque ce phénomène va devenir un problème dans la gestion du quotidien qu’on
va chercher les moyens pour le conjurer. Il y a donc nécessité d’y penser
sérieusement en faisant cependant attention, dans ce que nous appelons
perspective réaliste. Pour certains y penser c’est s’arcbouter, se
fermer ; ce qui n’a jamais servi un pays. Il ne faut pas oublier que la
migration a souvent servi au décollage de certains pays. Mais seulement, cela
signifie que ceux vers qui on vient se sont organisés pour tirer le meilleur
parti de la situation. Quand je dis donc qu’il faut une veille, une stratégie
d’approche et de gestion, je ne veux nullement dire qu’il faille se fermer.
Subir sans gérer, c’est cela que j’estime inacceptable.
Dans votre intervention, vous avez
insisté sur les nouveaux paradigmes qui ne sont pas toujours l’apanage de vos
collègues sur le continent et qui doivent pourtant encadrer la recherche en
Afrique. A ceux-là, vous avez demandé d’abandonner ce que vous appelez
l’humaniste nationaliste africain et le particularisme déterministe.
Pouvez-vous préciser ici la perspective que vous voulez donner à la recherche
en Afrique ?
D’abord,
il faut préciser ce qu’on critique. Personne ne critique le nationalisme qui a
été capital pour l’émancipation des peuples africains. Encore moins l’humanisme
qui l’a accompagné à savoir la définition de l’homme africain dans ce contexte.
Ce qui constitue un problème c’est lorsque cet humanisme nationaliste devient
un credo que l’on répète sans réfléchir, juste par paresse de l’esprit,
c’est-à-dire qui fournit des schémas quasi automatiques, qui se traduisent par
des réflexes qui n’impliquent plus une réflexion sérieuse sur sa nécessité et
ses objectifs. Ce que je dis c’est que cet humanisme nationaliste à force de se
reproduire indéfiniment s’est transformé en son contraire pour ce qui est des
objectifs à atteindre à savoir l’émancipation de l’Afrique, l’accession à une
autonomie réelle de la personne africaine. Démontrer cela ici sera long.
L’autre chose se rapporte au particularisme déterministe qui engendre également
un certain nombre de réflexes nativistes qui consistent à dire que les
Africains sont comme ceci ou comme cela, et à partir de là justifier quelques
fois même l’indéfendable. A partir de là, je dis que nous ne faisons plus œuvre
de réflexion, mais œuvre de reproduction paresseuse des schémas faciles d’une
rhétorique facile, ce qui nous empêche de faire sérieusement face aux défis qui
sont les nôtres. Il ne faut pas oublier que toute science est remise en cause
des évidences. Si nous ne sommes pas capables de le faire, alors nous avons
abdiqué comme scientifique.
Dans le même exposé, vous avez convoqué
le chercheur américain d’origine indienne Arjun Appadurai à qui vous avez
emprunté la notion de travail de l’imagination que vous avez combiné au
phénomène de la migration. Quelle en était la nécessité et à quel résultat
êtes-vous parvenu ?
J’ai
convoqué cette catégorie du travail de l’imagination pour d’abord me donner les
moyens d’aborder un aspect de la migration trop souvent négligé. Car c’est
souvent aux niveaux sociologique, économique et politique que le problème de la
migration a tendance à se penser. Ce qui manque c’est l’interrogation sur ce
qui se passe au plus profond de l’être lorsqu’il migre. Que se passe-t-il dans
sa tête, au niveau de sa personnalité, du développement de sa subjectivité, de
sa gestion de sa relation à l’autre ? Autant de questions que la notion de
travail de l’imagination vous permet d’aborder de manière efficace. Cette
convocation nous permet de fonder d’autres interrogations autour de la migration
et qui ne semblaient pas être prises en considération. Mais qui au plan
international commencent à prendre une très grande importance, surtout depuis
le fameux 11 septembre 2001 avec l’explosion de trois avions sur des sites
stratégiques américains. Car il s’agit avant tout d’actes de migrants qui
paraissaient à première vue intégrés. C’étaient des étudiants qui avaient
acquis des compétences certaines et qui tout d’un coup mettent leurs vies ainsi
que celles des autres en péril. Fatalement, on s’est dit qu’il doit se passer
quelque chose dans leurs têtes qu’on ne voit pas et à laquelle personne ne
s’est intéressée jusque là. Il devient dès lors impératif de s’intéresser à
cette dimension de la formation de la personnalité qui se fait dans le contexte
de la migration. Cette notion me paraissait donc importante pour permettre de
cadrer cette interrogation et de l’orienter.
Pouvez-vous nous dire qu’elle était
l’implication et le rôle du Goethe Institut dans l’organisation de ce
colloque ?
Avec
ce colloque, nous avons tenté un modèle de collaboration qui, je l’espère, fera
école. Le Goethe Institut a certes imaginé le cadre et mis à disposition des
moyens. Mais c’est nous qui avons pensé le projet, lui avons donné un contenu
et une méthode. Ce qui n’est pas évident soit dit en passant. Car très souvent
on vient vers nous avec des projets complets et nous devons juste participer à
leur réalisation. Cela laisse penser que du côté de notre partenaire, des
choses sont en train manifestement de s’opérer.
Cela augure-t-il in fine à des
lendemains plus fructueux en termes de collaboration ?
La directrice du Goethe Institut a clairement
exprimé son vœu de voir à l’avenir un fonctionnement dans cette nouvelle
direction qui ne nous verra plus être de simples consommateurs.
Parlant d’avenir, que prévoit l’agenda
par rapport aux contributions qui ont été rendues au cours du colloque ?
Les
résumés des contributions vont être placés sur le site web Allumni portail
Deutschland géré par les Allemands. Résumés qui seront ainsi à la disposition
d’autres groupes du même type qui existent en Afrique -il y en a quatre- et qui
soumettront également les produits de leurs réflexions à notre connaissance via
le site. Dans le monde, il y a 12 groupes engagés dans une réflexion similaire
mais avec des focalisations différentes. Il va donc y avoir échange au niveau
de ce site. C’est pourquoi ces résumés seront traduits en anglais. De plus,
tous ces groupes vont se retrouver à Berlin en décembre lors d’un colloque pour
en quelque sorte faire le point de cette expérience et envisager l’avenir. Nous
avons également décidé que les contributions seront publiées par nos soins et
mises à la disposition du public camerounais sous forme de livre papier et
électronique.
Pouvez-vous brièvement nous présenter
ce centre pour la coopération scientifique entre l’Afrique et l’Allemagne qui a
accueilli le colloque ?
C’est
un centre qui se veut un lieu de rencontre et d’échange et qui essaye de mettre
à la disposition de ceux qui ont des projets de recherche scientifique en
coopération un espace ou des possibilités de s’organiser et de se déployer.
C’est également un centre qui veut organiser une documentation conséquente à
mettre à la disposition des scientifiques camerounais. L’un de nos objectifs
est de mettre à court terme à la disposition du chercheur camerounais les
archives coloniales allemandes sous forme électronique. Nous souhaitons
également mettre à la disposition du chercheur toute la production musicale
camerounaise enregistrée. Il y a actuellement un travail qui est en train
d’être fait avec le soutien de l’Allemagne entre la CRTV et l’université de
Munich. Nous souhaitons que les productions scientifiques camerounaises à
l’extérieur soient accessibles à nos chercheurs, tout comme les archives
électroniques de nos journaux, de nos films, etc.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire