Le documentaire de
Kevin Macdonald pose cette figure du
reggae comme le fondateur d’une chapelle de la paix qui irradie le monde
entier.
Le réalisateur devant l'affiche du documentaire. |
Bob Marley a-t-il jamais été heureux ? Il est à
craindre que non tant les souffrances de cette légende de la musique auront été
nombreuses. C’est du moins le sentiment qui transpire du magnifique
documentaire de Kevin Macdonald. Où en près de deux heures et demie l’on perçoit
un Marley très christique. Non seulement parce que sa descente aux enfers fut
douloureuse (une maladie apparemment bénigne au gros orteil qui allait confiner
à un cancer généralisé fatal), mais surtout parce que ce métis prôna au fil de
sa vie bien courte l’amour et la paix. Le tout bien entendu avec cette musique,
arme redoutable dont son contemporain Nigérian Fela s’en était tout aussi
servi, quoique pour des raisons différentes.
Le mérite de Macdonald aura été de ressusciter les images
d’archives éparses et de les rassembler avec bonheur dans ce documentaire où
presque ceux qui ont compté dans la vie du reggae man ont témoigné. L’on voit
ainsi un fils illégitime, d’ailleurs pas reconnu par son père blanc d’origine
anglaise, souffrir le martyre de ces enfants rejetés. Ce qui, mal pour un bien,
le renforce dans son envie de se distinguer au moyen de la musique. De musique
justement, il en prend goût et décide d’en faire son métier lorsqu’il rencontre
Neville «Bunny» Livingstone à Trench Town, le quartier malfamé de Kingston où
il émigre avec sa mère Cedella à 12 ans, en provenance de St Ann. A 16 ans, il
enregistre son premier disque où son art du texte est remarqué. Et déjà, il y
fait savoir sa détermination en chantant que «quand la musique s’empare de toi,
tu ne souffres plus».
Un postulat qu’il mettra un point d’honneur à faire vivre,
peut-être inconsciemment, le long de sa brève existence terrestre. Et qui lui
servira pour faire face à l’escroquerie de ses producteurs exécutifs, car lui
aussi en a souffert ; surtout que le succès est arrivé très vite. «Simmer
Down» qui sort en 1964 en est une bonne preuve. Ambitieux comme pas d’eux, il
ne se contente plus d’être au sommet des charts jamaïcains, et veut conquérir
le monde avec son groupe The Wailers qu’il forme avec Bunny en recrutant Peter
Tosh. Même les démons de la division toujours prompts à saper ce genre
d’initiative n’auront pas raison de la détermination d’un Marley qui, contre
vents et marées, aura l’œil vissé sur son objectif comme un gamin qui tient à
son jouet.
Lors du concert de réconciliation de Kingston. |
Au fil du film, Marley, humain comme pas d’eux et en
s’appuyant sur les prescriptions du rastafarisme, apparaît comme un recours
pour nombre de laissés pour compte à qui il donne sans compter. L’on voit aussi
que le grand timide accumule les aventures qui bien que malheureuses pour sa
compagne officielle et choriste Rita s’avérera utile à sa mort subite
puisqu’elles lui auront permis de laisser à la postérité en plus de ses œuvres
éternelles 11 enfants. Pour ce qui est de l’esthétique, l’on voit la
progression du ska à une mixture joyeuse et chargée de spleen qui convoque
aussi bien le blues, le jazz, le rock que les musiques de Jamaïque. Avec aussi
une influence décisive d’un Joe Higgs qui avait pour talent une oreille unique
et un sens de l’harmonie musicale doublé d’une capacité d’arrangements tout
aussi unique. L’adjonction des chœurs (I-Three) après les départs de Tosh et
Livingstone en 1974 sonne comme le parachèvement d’un puzzle difficile. Le tout
mâtiné de cette croyance en l’Afrique et en Hailé Sélassié comme la
réincarnation du Christ. Un continent qu’il ne découvrira qu’au soir de sa vie
avec une tournée au Gabon d’abord et un concert mémorable à Harare pour
l’indépendance du Zimbabwe et financé par ses soins.
A défaut de mourir
sur scène comme sa maladie l’avait laissé entrevoir, Marley mourra loin des
sunlights. Son chemin de croix commencera avec le verdict sans appel des
médecins, suivi d’une escapade médicale en Bavière en RFA avant de revenir aux États-Unis où les siens feront un adieu à celui qui a refusé d’écrire son
testament, non parce qu’il ne le pouvait pas, mais parce qu’il refusait l’idée
qu’il était condamné et surtout parce que le meilleur héritage qu’il laissait à
l’humanité n’avait pas besoin de testament. Et les images du générique le
montrent bien : aux quatre coins du monde, plus de 30 ans après le décès
de Marley, sa présence est aussi omniprésente que jamais. Une sorte d’église
universelle en droite ligne de son vœu ultime à savoir «Que l’humanité vive en
paix». Amen !
Marley de Kevin Macdonald, Tuff Gong Pictures
Production, 2012, 2h 24’
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