Le Cameroun, il ne le connaît que trop bien. Quand il n’y est pas en
tournée comme en ce moment, il y est en résidence ou est joué par les
compagnies locales. Depuis une dizaine d’années en effet, son ombre traverse la
scène camerounaise avec bonheur. De passage pour la représentation de «La
dernière interview» en hommage à Jean Genet, il parle de ce pays où il a été
édité pour la première fois («Carré blanc suivi de Pisser n’est pas jouer,
Interlignes, 2004) et du projet de sa vie qu’il exposera à Avignon l’année
prochaine.
Dans la cafette de l'IFC de Yaoundé avant le spectacle. |
Vous êtes au Cameroun pour la énième fois et l’on se demande ce que ce pays
représente pour vous ?
C’est un pays qui a un grand potentiel artistique
dans la sous-région et aussi en Afrique avec toutes les composantes qu’il
forme. J’ai toujours eu une fascination incroyable pour l’énergie débordante de
cet endroit-ci à travers les festivals de théâtre, musique et autres. Je suis
également fasciné par la dimension de l’écriture. Le Cameroun est un endroit où
le théâtre a une force vitale et qui très lié à différents corps de métiers
qu’il compose. Quand on rencontre le théâtre au Cameroun, on est en plein dans
une vie, une vie qui est très forte. C’est rare de trouver cela en Afrique où
en général les formes de théâtre sont
assez aseptisées, où l’on retrouve assez généralement ce que j’appelle le
bateau. Par bateau il faut entendre cette affaire qui est venue chez nous aux
environs du 14è ou 15è siècle avec les colons et qui a amené avec lui une sorte
de théâtre pseudo-classique très ennuyeux, très stérile. Mais ce n’est point
cela, Dieu merci, que l’on trouve au Cameroun. C’est plutôt la magie que les
pionniers de ce théâtre ainsi que les jeunes de maintenant ont eu pour donner
une énergie camerounaise et africaine ainsi qu'une dimension contemporaine à la
palette. C’est quelque chose de très fort. Quand je me retrouve ici au Cameroun, je suis en famille ; famille
artistique et famille humaine. Je connais plus de gens ici qu’ailleurs au
monde ; je connais plus d’artistes ici qu’ailleurs ; il y a ici plus
d’artistes qu’ailleurs qui me connaissent. C’est donc un peu particulier pour
moi d’être ici. C’est comme si j’ouvrais la porte pour entrer chez moi.
Vous êtes donc là pour un nouveau spectacle après celui de l’année
dernière, "Les inepties volantes". Ce spectacle-ci a pour titre «La dernière
interview» qui revient sur le personnage de Jean Genet. Quel lien
entretenez-vous avec cet auteur français pour le moins iconoclaste ?
Le premier lien c’est l’amour de l’écriture, la
passion de la langue, la transgression que l’on utilise dans la langue pour
communiquer, comment on est à un endroit de transgression et d’insoumission
d’un certain nombre de convenances et de conventions juste pour interroger la
matière afin qu’elle devienne plus riche que le simple canevas didactique
auquel on veut l’imposer. C’est un endroit que je partage beaucoup avec Genet.
Il y aussi une dimension politique qui interroge la société française. Il a par
exemple défendu les Black Panthers aux États-Unis, il a pris le partie des
Algériens lors de la guerre avec les Français, il a défendu les Palestiniens
après le fameux massacre de Sabra et Chatilla, etc. Du coup c’est quelque chose
d’important quand on se réfère à lui, même si c’est un peu orgueilleux de le
dire. C’est un point de mire sur les questions qui intéressent nos sociétés
aujourd’hui. C’est ce qui m’a mis en
accord avec ce turbulent, tempétueux et impétueux Jean Genet.
Comment est né ce projet sur Genet et comment l’avez-vous mené ?
Ce projet est né de la volonté de Catherine
Boskowitz la metteur en scène de la compagnie ABC que je connais depuis 1996 et
avec qui j’ai travaillé sous différentes formes, avec qui je mène une réflexion
depuis longtemps sur nombre de choses dans le milieu artistique. Elle a une
passion de Genet et a eu envie de faire rencontrer Genet et moi à l’endroit où
une correspondance peut être possible dans une osmose qui se rencontre. C’est
peut-être aussi de ma posture de citoyen du monde que Catherine a eu cette
envie là. Elle m’a dit au début que si je n’étais pas libre pour ce projet-là,
elle ne le ferait pas, car ce n’était pas d’un comédien qu’elle avait besoin
mais de quelqu’un qui a la même posture idéologique et de l’écriture. La
question ici étant que comment le combat
prend forme par l’écriture et comment l’écriture prend forme en devenant acte,
elle m’a dit qu’elle trouvait cette posture bien ancrée chez moi. Il faut
signaler qu’en plus de diriger le festival de théâtre que j’ai créé à
Brazzaville, j’anime des résidences sur l’écriture dramatique ou le jeu
d’acteur ça et là sur le continent, car il faut voir comment créer des
possibles. Ce qui nous plonge dans le politique sans que je sois politicien.
En plus des activités de formateur que vous venez d’énumérer, il y en a
d’autres puisque vous êtes dramaturge, comédien, metteur en scène, etc. On
pourrait d’ailleurs sans exagérer que vous êtes consumé par le théâtre.
Pourquoi vous investissez-vous tant dans cet art et que signifie pour vous le
théâtre ?
Le théâtre est une chose tellement belle et
puissante qu’il faut y consacrer toute sa vie pour arriver à faire comprendre
aux gens tout ce que le théâtre comprend de bien dans une société, tout son
côté éducatif, facteur de développement. Rabelais a dit «science sans
conscience n’est que ruine de l’âme». Mais dans la conscience, la part de la
science est où ? Elle est chez l’artistique, elle est dans la culture. Le
théâtre est un puissant facteur de développement à cet endroit-là. C’est
pourquoi j’ai toujours pensé qu’on ne peut pas faire le théâtre en faisant les
choses à moitié, avec un engagement douteux, une temporalité incertaine. Je n’y
crois pas beaucoup. De plus, avec les faiblesses qu’accuse cet art là dans les
périmètres qui sont les nôtres, manque de soutien du gouvernement, pas de
mécénat privé …il faut qu’il y ait des gens qui s’y consacrent entièrement pour
tenter de relever la pente. Car on ne peut pas vivre dans une Afrique qui sort
de civilisations très puissantes et incroyables et faire autrement vu que ces
civilisations se racontent par des épopées, contes, chansons qui sont des
formes de théâtre, comportent de la théâtralité en leur sein. Ce qui montre
l’importance du théâtre dans notre société.
Vous avez dit un jour que le problème du théâtre est de provoquer la parole
en temps réel. Que faut-il entendre par là ?
Le théâtre est par nature action. Quand une chose
est faite maintenant, elle ne sera plus la même tout à l’heure. Le théâtre est
une action qui est posée en temps réel. Bertolt Brecht disait d’ailleurs à ce
sujet que le théâtre ne doit pas être une propagande de quelque chose, elle ne
doit non plus être une retenue d’une pensée ; le théâtre doit être un
scandale ou alors qu’il se taise.
Vous êtes artistes associé à Avignon l’année prochaine. Avignon où vous
étiez déjà en 2009 avec «Les inepties volantes» que vous avez d’ailleurs joué
au Cameroun en 2011. Au-delà de la reconnaissance, que représente pour vous cette
présence au rendez-vous du plus grand festival de théâtre au monde ?
Cette participation raconte des espoirs. Et le
premier d’entre eux c’est depuis que ce festival existe, c’est la première fois
qu’un auteur venu d’Afrique y est artiste associé. C’est donc un témoin. Et
aussi une preuve qu’il y a des choses de valeur qui se font en Afrique même si
le monde entier n’est pas au courant. C’est le sens qu’il y a des auteurs
puissants et des créations fortes en Afrique. Le fait que je sois artiste
associé témoigne évidemment d’une créativité certaine dans le continent
africain. A côté de cela, il y a une manière de raconter la traversée de
l’artiste que je suis. Une carrière qui commence dans les années 90, qui passe
par des festivals comme les RETIC ici au Cameroun, Les réalités à Bamako ou Les
Francopholies de Limousin en France et qui arrive jusqu’à Avignon où il ne va
pas s’arrêter ! C’est le parcours d’un artiste certes, mais aussi celui de
tous ceux qui ont travaillé avec cet artiste. Moi j’aime bien quand on fait une
traversée, car c’est comme si l’on abordait un livre : on commence par un
premier chapitre, qui va appeler les suivants jusqu’à ce qu’on arrive au point
final qui n’est en fait qu’une illusion car le livre se poursuit dans la tête
du lecteur. La troisième dimension de cette présence à Avignon c’est comment
l’Afrique peut réussir à être présente dans les grands rendez-vous du théâtre
mondial, car en plus de moi, d’autres créations d’Africaines seront de la
partie.
Vous travaillez depuis quelques mois avec le comédien camerounais Wakeu
Fogaing sur la création que vous allez donner à Avignon 2013. Pouvez-vous nous
dire de quoi il retourne ?
L’une des choses que je dois créer à Avignon 2013
en tant que artiste associé c’est le spectacle. Je vais le faire à la carrière
de Boulban qui a été découvert en 1986 par le metteur en scène anglais Peter
Brook quand il y a monté «Maharabarata». C’est un endroit mythique, fabuleux.
Il n’y a pas deux endroits au monde comme cet endroit là. Il est assez spécial.
C’est une ancienne carrière qui a un côté très culturel. En même temps très
contemporain aussi. Quand on y arrive, on est dans une sorte de micro-monde et
de macro-chose. Je me suis dit que je dois me servir de la puissance de cet
endroit-là pour créer une pièce que j’ai intitulé Sheda. Sheda c’est un projet
que j’ai depuis des années. En 2003 déjà, j’en parlais avec Wakeu
Fogaing ! C’était au cours d’une résidence d’écriture organisée par la
Compagnie Ngoti ici à Yaoundé. Je lui disais que le jour où j’aurais de grands
moyens et un grand plateau, je ferai de Sheda le projet de ma vie et souhaitait
qu’il soit de l’aventure le moment venu. J’ai parlé de ce projet aux compagnons
de route depuis 2001 en les invitant à partager avec moi ce rêve. Etant donné
qu’en plus d’être un compagnon de route comme je l’ai dit déjà, Wakeu Fogaing
est un auteur, comédien et metteur en scène avec qui on a partagé beaucoup de
rêve. C’était important qu’il y ait sa touche dans cette création ainsi qu’un
témoin du Cameroun.
S’agissant du projet en lui-même, peut-on avoir une primeur sur le fil
dramatique qui le sous-tend ?
Il s’agit d’une confrontation entre la force et
la fragilité. Une force qui est une espèce de fragilité et une fragilité qui
est également une force. Dans la pièce on met en confrontation ces deux
facteurs-là par des entités et figures qui se croisent sur scène et qui vont
caractériser la bataille de ces dieux-là.
Vous êtes pour nous les journalistes un bon client vu votre prolixité, votre
truculence, votre alacrité à vous ouvrir aux médias, etc. Que représente la
parole pour vous ?
La parole c’est comme une flèche lancée par un
bon tireur d’arc. Cette flèche s’en va mais ne revient jamais. Quand la parole
part, elle doit traverser. Une parole doit être beaucoup plus violente qu’une
balle de Kalachnikov. Sinon il ne sert à rien d’écrire ou d’être debout sur un
plateau. Une parole doit avoir la puissance et complètement la ténacité d’un
cri de guépard, d’un saut de lion ou de panthère ; elle doit avoir une
explosion supérieure à celle d’un tsunami, le côté dévastateur d’une bombe
atomique. Cela parce qu’on est dans un monde qui a subi des violences qui sont
images, destructions, corps éclatés. Si la parole qui arrive pour témoigner de
notre monde n’a pas la même force, la même virulence, n’a pas assez de
souplesse, n’est pas assez tenue et couillue pour témoigner et interroger ce
monde-là, je crois qu’on va arriver à cette parole incapable qui ne sert
finalement pas.
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