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vendredi 23 novembre 2012

Dieudonné Niangouna:Avignon ce sera un témoin très important

Le Cameroun, il ne le connaît que trop bien. Quand il n’y est pas en tournée comme en ce moment, il y est en résidence ou est joué par les compagnies locales. Depuis une dizaine d’années en effet, son ombre traverse la scène camerounaise avec bonheur. De passage pour la représentation de «La dernière interview» en hommage à Jean Genet, il parle de ce pays où il a été édité pour la première fois («Carré blanc suivi de Pisser n’est pas jouer, Interlignes, 2004) et du projet de sa vie qu’il exposera à Avignon l’année prochaine. 

Dans la cafette de l'IFC de Yaoundé avant le spectacle.
Vous êtes au Cameroun pour la énième fois et l’on se demande ce que ce pays représente pour vous ?
C’est un pays qui a un grand potentiel artistique dans la sous-région et aussi en Afrique avec toutes les composantes qu’il forme. J’ai toujours eu une fascination incroyable pour l’énergie débordante de cet endroit-ci à travers les festivals de théâtre, musique et autres. Je suis également fasciné par la dimension de l’écriture. Le Cameroun est un endroit où le théâtre a une force vitale et qui très lié à différents corps de métiers qu’il compose. Quand on rencontre le théâtre au Cameroun, on est en plein dans une vie, une vie qui est très forte. C’est rare de trouver cela en Afrique où en général les formes de  théâtre sont assez aseptisées, où l’on retrouve assez généralement ce que j’appelle le bateau. Par bateau il faut entendre cette affaire qui est venue chez nous aux environs du 14è ou 15è siècle avec les colons et qui a amené avec lui une sorte de théâtre pseudo-classique très ennuyeux, très stérile. Mais ce n’est point cela, Dieu merci, que l’on trouve au Cameroun. C’est plutôt la magie que les pionniers de ce théâtre ainsi que les jeunes de maintenant ont eu pour donner une énergie camerounaise et africaine ainsi qu'une dimension contemporaine à la palette. C’est quelque chose de très fort. Quand je me retrouve ici au Cameroun, je suis en famille ; famille artistique et famille humaine. Je connais plus de gens ici qu’ailleurs au monde ; je connais plus d’artistes ici qu’ailleurs ; il y a ici plus d’artistes qu’ailleurs qui me connaissent. C’est donc un peu particulier pour moi d’être ici. C’est comme si j’ouvrais la porte pour entrer chez moi.

Vous êtes donc là pour un nouveau spectacle après celui de l’année dernière, "Les inepties volantes". Ce spectacle-ci a pour titre «La dernière interview» qui revient sur le personnage de Jean Genet. Quel lien entretenez-vous avec cet auteur français pour le moins iconoclaste ?
Le premier lien c’est l’amour de l’écriture, la passion de la langue, la transgression que l’on utilise dans la langue pour communiquer, comment on est à un endroit de transgression et d’insoumission d’un certain nombre de convenances et de conventions juste pour interroger la matière afin qu’elle devienne plus riche que le simple canevas didactique auquel on veut l’imposer. C’est un endroit que je partage beaucoup avec Genet. Il y aussi une dimension politique qui interroge la société française. Il a par exemple défendu les Black Panthers aux États-Unis, il a pris le partie des Algériens lors de la guerre avec les Français, il a défendu les Palestiniens après le fameux massacre de Sabra et Chatilla, etc. Du coup c’est quelque chose d’important quand on se réfère à lui, même si c’est un peu orgueilleux de le dire. C’est un point de mire sur les questions qui intéressent nos sociétés aujourd’hui.  C’est ce qui m’a mis en accord avec ce turbulent, tempétueux et impétueux Jean Genet.




Comment est né ce projet sur Genet et comment l’avez-vous mené ?
Ce projet est né de la volonté de Catherine Boskowitz la metteur en scène de la compagnie ABC que je connais depuis 1996 et avec qui j’ai travaillé sous différentes formes, avec qui je mène une réflexion depuis longtemps sur nombre de choses dans le milieu artistique. Elle a une passion de Genet et a eu envie de faire rencontrer Genet et moi à l’endroit où une correspondance peut être possible dans une osmose qui se rencontre. C’est peut-être aussi de ma posture de citoyen du monde que Catherine a eu cette envie là. Elle m’a dit au début que si je n’étais pas libre pour ce projet-là, elle ne le ferait pas, car ce n’était pas d’un comédien qu’elle avait besoin mais de quelqu’un qui a la même posture idéologique et de l’écriture. La question  ici étant que comment le combat prend forme par l’écriture et comment l’écriture prend forme en devenant acte, elle m’a dit qu’elle trouvait cette posture bien ancrée chez moi. Il faut signaler qu’en plus de diriger le festival de théâtre que j’ai créé à Brazzaville, j’anime des résidences sur l’écriture dramatique ou le jeu d’acteur ça et là sur le continent, car il faut voir comment créer des possibles. Ce qui nous plonge dans le politique sans que je sois politicien.

En plus des activités de formateur que vous venez d’énumérer, il y en a d’autres puisque vous êtes dramaturge, comédien, metteur en scène, etc. On pourrait d’ailleurs sans exagérer que vous êtes consumé par le théâtre. Pourquoi vous investissez-vous tant dans cet art et que signifie pour vous le théâtre ?
Le théâtre est une chose tellement belle et puissante qu’il faut y consacrer toute sa vie pour arriver à faire comprendre aux gens tout ce que le théâtre comprend de bien dans une société, tout son côté éducatif, facteur de développement. Rabelais a dit «science sans conscience n’est que ruine de l’âme». Mais dans la conscience, la part de la science est où ? Elle est chez l’artistique, elle est dans la culture. Le théâtre est un puissant facteur de développement à cet endroit-là. C’est pourquoi j’ai toujours pensé qu’on ne peut pas faire le théâtre en faisant les choses à moitié, avec un engagement douteux, une temporalité incertaine. Je n’y crois pas beaucoup. De plus, avec les faiblesses qu’accuse cet art là dans les périmètres qui sont les nôtres, manque de soutien du gouvernement, pas de mécénat privé …il faut qu’il y ait des gens qui s’y consacrent entièrement pour tenter de relever la pente. Car on ne peut pas vivre dans une Afrique qui sort de civilisations très puissantes et incroyables et faire autrement vu que ces civilisations se racontent par des épopées, contes, chansons qui sont des formes de théâtre, comportent de la théâtralité en leur sein. Ce qui montre l’importance du théâtre dans notre société.

Vous avez dit un jour que le problème du théâtre est de provoquer la parole en temps réel. Que faut-il entendre par là ?
Le théâtre est par nature action. Quand une chose est faite maintenant, elle ne sera plus la même tout à l’heure. Le théâtre est une action qui est posée en temps réel. Bertolt Brecht disait d’ailleurs à ce sujet que le théâtre ne doit pas être une propagande de quelque chose, elle ne doit non plus être une retenue d’une pensée ; le théâtre doit être un scandale ou alors qu’il se taise.

Vous êtes artistes associé à Avignon l’année prochaine. Avignon où vous étiez déjà en 2009 avec «Les inepties volantes» que vous avez d’ailleurs joué au Cameroun en 2011. Au-delà de la reconnaissance, que représente pour vous cette présence au rendez-vous du plus grand festival de théâtre au monde ?
Cette participation raconte des espoirs. Et le premier d’entre eux c’est depuis que ce festival existe, c’est la première fois qu’un auteur venu d’Afrique y est artiste associé. C’est donc un témoin. Et aussi une preuve qu’il y a des choses de valeur qui se font en Afrique même si le monde entier n’est pas au courant. C’est le sens qu’il y a des auteurs puissants et des créations fortes en Afrique. Le fait que je sois artiste associé témoigne évidemment d’une créativité certaine dans le continent africain. A côté de cela, il y a une manière de raconter la traversée de l’artiste que je suis. Une carrière qui commence dans les années 90, qui passe par des festivals comme les RETIC ici au Cameroun, Les réalités à Bamako ou Les Francopholies de Limousin en France et qui arrive jusqu’à Avignon où il ne va pas s’arrêter ! C’est le parcours d’un artiste certes, mais aussi celui de tous ceux qui ont travaillé avec cet artiste. Moi j’aime bien quand on fait une traversée, car c’est comme si l’on abordait un livre : on commence par un premier chapitre, qui va appeler les suivants jusqu’à ce qu’on arrive au point final qui n’est en fait qu’une illusion car le livre se poursuit dans la tête du lecteur. La troisième dimension de cette présence à Avignon c’est comment l’Afrique peut réussir à être présente dans les grands rendez-vous du théâtre mondial, car en plus de moi, d’autres créations d’Africaines seront de la partie.

Vous travaillez depuis quelques mois avec le comédien camerounais Wakeu Fogaing sur la création que vous allez donner à Avignon 2013. Pouvez-vous nous dire de quoi il retourne ?
L’une des choses que je dois créer à Avignon 2013 en tant que artiste associé c’est le spectacle. Je vais le faire à la carrière de Boulban qui a été découvert en 1986 par le metteur en scène anglais Peter Brook quand il y a monté «Maharabarata». C’est un endroit mythique, fabuleux. Il n’y a pas deux endroits au monde comme cet endroit là. Il est assez spécial. C’est une ancienne carrière qui a un côté très culturel. En même temps très contemporain aussi. Quand on y arrive, on est dans une sorte de micro-monde et de macro-chose. Je me suis dit que je dois me servir de la puissance de cet endroit-là pour créer une pièce que j’ai intitulé Sheda. Sheda c’est un projet que j’ai depuis des années. En 2003 déjà, j’en parlais avec Wakeu Fogaing ! C’était au cours d’une résidence d’écriture organisée par la Compagnie Ngoti ici à Yaoundé. Je lui disais que le jour où j’aurais de grands moyens et un grand plateau, je ferai de Sheda le projet de ma vie et souhaitait qu’il soit de l’aventure le moment venu. J’ai parlé de ce projet aux compagnons de route depuis 2001 en les invitant à partager avec moi ce rêve. Etant donné qu’en plus d’être un compagnon de route comme je l’ai dit déjà, Wakeu Fogaing est un auteur, comédien et metteur en scène avec qui on a partagé beaucoup de rêve. C’était important qu’il y ait sa touche dans cette création ainsi qu’un témoin du Cameroun.

S’agissant du projet en lui-même, peut-on avoir une primeur sur le fil dramatique qui le sous-tend ?
Il s’agit d’une confrontation entre la force et la fragilité. Une force qui est une espèce de fragilité et une fragilité qui est également une force. Dans la pièce on met en confrontation ces deux facteurs-là par des entités et figures qui se croisent sur scène et qui vont caractériser la bataille de ces dieux-là.

Vous êtes pour nous les journalistes un bon client vu votre prolixité, votre truculence, votre alacrité à vous ouvrir aux médias, etc. Que représente la parole pour vous ?
La parole c’est comme une flèche lancée par un bon tireur d’arc. Cette flèche s’en va mais ne revient jamais. Quand la parole part, elle doit traverser. Une parole doit être beaucoup plus violente qu’une balle de Kalachnikov. Sinon il ne sert à rien d’écrire ou d’être debout sur un plateau. Une parole doit avoir la puissance et complètement la ténacité d’un cri de guépard, d’un saut de lion ou de panthère ; elle doit avoir une explosion supérieure à celle d’un tsunami, le côté dévastateur d’une bombe atomique. Cela parce qu’on est dans un monde qui a subi des violences qui sont images, destructions, corps éclatés. Si la parole qui arrive pour témoigner de notre monde n’a pas la même force, la même virulence, n’a pas assez de souplesse, n’est pas assez tenue et couillue pour témoigner et interroger ce monde-là, je crois qu’on va arriver à cette parole incapable qui ne sert finalement pas.

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