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jeudi 22 mars 2012

Interview, art de vivre



Esther Endale
Il y a beaucoup d’appréhensions
La co-créatrice de l’Alvf et responsable de l’antenne Centre revient ici sur le combat de son organisation pour l’adoption d’un Code de la famille. 

Une interview publiée dans l'édition de mars 2012 du mensuel Les Cahiers de Mutations




Quelle classification faites-vous au niveau de votre association de la famille camerounaise à l’heure actuelle ?
Au niveau de l’Association de lutte contre les violences faites aux femmes (Alvf), au vu du vécu des femmes, nous avons recensé plusieurs types ou genres de familles. Ce sont des familles créées par un homme et une femme, sans exclusion d’autres personnes (parents, frères, cousins et autres). A savoir, tout d’abord la famille légitime, recomposée ou non, (classique) qui se compose de l’homme et de la femme qui sont légalement mariés et de leur progéniture. En deuxième lieu, des familles composées de personnes qui n’appartiennent pas au cas de figure précédemment évoqué, c’est-à-dire la famille composée de partenaires qui vivent ensemble et ont des enfants, et enfin la famille constituée d’un homme et d’une femme vivant séparément et ayant des enfants. 
Pensez-vous que, rendu à l’heure qu’il est, le Code de la famille soit une nécessité dans l’organisation de la vie sociale et familiale au Cameroun ?      
Je réponds oui ! Le Code de la famille doit même être un instrument spécifique. Cela veut dire que tout ce qui concerne la réglementation de la vie familiale, déjà contenu dans le Code civil, doit être isolé en un document unique. Cela parce que le citoyen doit être informé au mieux de la situation : il est souvent difficile, même pour des personnes qui travaillent au quotidien sur les questions liées à la famille comme les associations, les travailleurs sociaux, les forces de l’ordre, les religieux et j’en passe, d’aller fouiller dans le Code civil pour retrouver les dispositions liées à la réglementation de la vie familiale. Cela est d’autant plus utile que ce Code, fondu en un document unique, peut être d’un usage facile pour le citoyen et la citoyenne ordinaire qui pourront aisément rentrer en connaissance des règles qui vont régenter leur vie familiale.
C’est donc d’un instrument capital qui devrait rentrer dans notre quotidien qu’il s’agit. Car beaucoup de situations dramatiques actuelles existent du fait de l’ignorance et pas toujours de la mauvaise foi d’un des partenaires. En l’état actuel des choses au Cameroun, ce document unique, et c’est la deuxième raison de la nécessité de ce Code de la famille, permettra au législateur d’internaliser l’ensemble de textes et autres conventions ratifiées par le Cameroun et instaurant l’égalité des droits entre les femmes et les hommes. C’est là une préoccupation que nous avons exprimée depuis le début des débats sur la question d’un Code de la famille au Cameroun, et qui demeure d’actualité.
Un point essentiel reste que toutes les autres organisations sociales, tel le travail, ont un Code spécifique et que seule la famille, qui est l’organisation de base de la société et au sein de laquelle se retrouvent tous les individus, n’en ait pas un. N’oublions surtout pas que tout le monde s’accorde sur ce que la famille est le type d’organisation sociale la plus répandue et que des Codes par secteurs comme celui du travail, pour ne prendre que cet exemple-là, existent. Mais d’où vient-il que le Code de la famille, qui devait être parmi les premiers, tarde à prendre corps chez nous alors même qu’il concerne les fondements de la société ?

S’agissant des débats sur la question, l’on observe que certains pays africains du même niveau que le nôtre ont adopté le Code de la famille (Bénin, Mali, Togo…). Qu’est-ce qui, de votre point de vue, bloque l’adoption et la promulgation de cette loi chez nous ? Où est-ce que le bât blesse ?
Le bât blesse quelque part, car après que les féministes camerounaises ont émis l’idée d’un Code de la famille chez nous, le ministère en charge de la question s’est penché sur le sujet et a proposé un avant-projet de Code. Tout était bien lancé pour voir adopté ce Code. D’ailleurs, le ministère a organisé plusieurs ateliers de réflexion qui associaient des organisations de la société civile. Malheureusement, les pesanteurs il y en a. Il faut aller les chercher à plusieurs endroits. D’abord au niveau des femmes elles-mêmes, qui bien que comprenant les enjeux et le bien fondé de cette initiative ont du mal à se mettre d’accord, à parler d’une seule voix. Cela s’est rendu visible au cours des discussions sur les questions spécifiques touchant à la polygamie, aux enfants nés hors mariage.
Au cours des discussions avec les députés, nous avons senti que les mentalités n’étaient pas encore prêtes à accepter certaines dispositions qui heurtaient l’ordre établi et remettaient en cause les positions de pouvoir de l’homme au sein de la famille, en un mot la famille patriarcale. Les députés, qui sont majoritairement des hommes, ne voyaient pas par exemple d’un bon œil le partage des responsabilités entre l’homme et la femme au sein de la famille et le fait, par exemple, de limiter le régime matrimonial de droit à la monogamie. Il y a donc beaucoup d’appréhensions, car les gens pressentent que ce Code va sérieusement bouleverser les rapports inégalitaires entre les deux sexes dans les ménages, et donc dans la société. Je signale par ailleurs qu’il y a beaucoup de préjugés autour de ce Code, notamment sur le nouveau statut de la femme dans le foyer. Beaucoup estiment ainsi, à tort, par exemple, que ce Code va donner du pouvoir aux femmes au détriment des hommes qui se sentiront dès lors émasculés. Et forcément cela nous mènera droit au mur, car eux seuls ont les capacités d’assurer l’équilibre et la cohésion familiale. C’est le cas du statut de chef de famille, qui est un élément assez fort pour lequel les gens ne sont pas prêts à lâcher du lest ; surtout les hommes qui pensent que si cette brèche-là est ouverte, alors tout, au sein du foyer et de la famille, échappera désormais à leur contrôle.
D’aucuns n’y vont pas par quatre chemins pour faire savoir que l’occasion serait ainsi donnée aux femmes de «marcher sur la tête des hommes». Un Code de la famille égalitaire, faut-il le préciser, donnera enfin des droits aux femmes au sein de la famille. Ce qui ne plaît pas toujours aux hommes. C’est le cas par exemple avec le choix du domicile conjugal, du nom à porter par la conjointe… Des choses banales, me direz-vous, mais qui ont une charge symbolique très importante dans le vécu quotidien de l’égalité hommes/femmes. 

Quelles sont les actions entreprises par votre association pour qu’on en arrive au draft qui circule en ce moment jusque dans les couloirs du Parlement ?
Je ne sais vraiment pas quel est le draft qui circule actuellement. Nous essayons toujours d’entrer en sa possession, sans succès. Nous avons fait un travail de lobbying auprès du ministère en charge des Femmes dès le début des années 2000, et celui-ci a sorti un tout premier draft en 2004-2005. Nous avons dès lors organisé une rencontre des féministes et associations féministes du Cameroun à l’effet de l’examiner et de s’assurer que des différents traités et conventions signés par le Cameroun, reconnaissant l’égalité des droits des hommes et des femmes, ont été pris en compte. Nous avons présenté nos amendements au ministère. D’autres actions ont consisté en une mobilisation sur le sujet des associations de femmes, lors de différentes activités relatives à la commémoration du 8 mars, des 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes.
J’ajoute également que, lors de certaines de nos activités comme les séminaires, à l’Alvf ou ailleurs, la question est souvent à l’ordre du jour. En troisième lieu, nous avons organisé des rencontres avec les femmes parlementaires. Pour ce qui est du plaidoyer, il continue à l’heure actuelle à travers un groupe de travail pluridisciplinaire qui se rencontre à la Friedrich Ebert Stiftung, et auquel nous sommes associés. Ce groupe de travail organise des dîners parlementaires et des rencontres avec la société civile, à l’effet de valider le document de plaidoyer qui sera mis en œuvre.

Dans les actions particulières à l’association que vous évoquiez tantôt, il ressort que l’homme a été mis de côté. N’est-ce pas là un manquement grave, s’agissant de la question du Code de la famille ?
Votre remarque est juste ! Cela n’a pas été fait à dessein, mais constitue à n’en point douter l’une des faiblesses depuis l’enclenchement de ce processus sur le Code de la famille. Je note simplement que ce type de faiblesse est souvent courant chez les personnes défavorisées. Dans nos actions, nous avons davantage tenu compte des femmes qui sont le groupe marginalisé. Nous étions plus obnubilés par l’envie de permettre aux femmes de jouir de leurs droits humains à égalité au sein de la famille. Nous nous sommes rattrapées : les Osc sont parties prenantes de toutes les activités depuis peu, surtout qu’un Code de la famille égalitaire, qui a l’adhésion des hommes, partenaires et membres de famille, ne peut que voir le jour rapidement. N’oublions pas qu’ils ont toujours le pouvoir dans les instances de décision. Je tiens aussi à souligner que les hommes se sont montrés réticents, estimant que nos revendications, quand elles ne relevaient pas des futilités, étaient par trop révolutionnaires et non réalistes.

Quelles sont les dispositions impératives que vous souhaitez voir figurer dans la version finale du Code de la famille ?
En tant qu’association, nous souhaitons voir figurer dans ce Code des dispositions qui vont respecter les droits humains aussi bien des femmes que des hommes. C’est le cas avec l’âge du mariage, qui doit être ramené à 18 ans pour les 2 sexes, la monogamie, qui doit être la règle de droit, la dot, qui doit être supprimée, la notion de chef de famille, qui doit disparaître au profit d’un partage des responsabilités dans le foyer. Nous insistons également sur la possibilité du divorce par consentement mutuel, le choix de la nationalité à la majorité ; le choix du nom pendant le mariage ; la définition de l’enfant ; pour les plus radicales d’entre nous, la libre disposition par les femmes de leur corps qui est un droit inaliénable (reconnaissance du viol conjugal et libéralisation de l’avortement). Nous voulons aussi profiter de ce Code pour interdire certaines pratiques comme les rites de veuvage. 


Avec toutes ces dispositions impératives, l’on subodore que si le Code venait à être adopté, il y aurait de sérieuses difficultés pour son exécution. Voyez-vous les choses de cette manière ?
L’applicabilité du Code de la famille, de mon point de vue, ira de soi puisque la loi c’est la loi pour tous ; elle est donc au-dessus de tous et toutes. Le plus dur viendra cependant des juges et de tous les préposés à l’exécution du droit, qui demeurent sous le joug des mentalités féodales. Nous espérons que tous ceux-là, le moment venu, intègreront cette loi, seront convaincus de sa justesse pour bien l’appliquer. Au niveau de la société en général, l’on peut légitimement parler de révolution culturelle, surtout pour ce qui est des comportements et des mentalités notamment dans le rapport entre l’homme et la femme au quotidien. 

Ce sera un combat, alors…
Oui, bien sûr ! Mais un combat qui est en partie gagné, car la société, dans plusieurs domaines déjà, accepte de plus en plus que la femme est l’égal en droit de l’homme et cela se voit dans les positions que les femmes occupent désormais dans les administrations publiques et privées, ou même dans le commandement. Cela paraît évident aujourd’hui, mais il y a 30 ou 40 ans, cela n’était point à l’ordre du jour. La société ayant intégré cette évolution de la femme, cela va rendre l’application de ce Code moins difficile, surtout pour la génération à venir, elle qui aura une autre perception de la notion de la famille ou même de la femme, d’autres schèmes mentaux différents de ceux de leurs parents.

Vingt ans après la naissance de l’Alvf, l’on imagine que vous avez entrepris de nombreuses actions et avez au passage remporté quelques lauriers. S’il ne fallait retenir qu’une victoire, quelle serait-elle ?
Nous avons réussi, pendant ce laps de temps, à faire sortir les violences faites aux femmes du privé. Les femmes ont exprimé leurs souffrances et, de là, les gens ont pris conscience que la violence faite aux femmes était un véritable problème de société et la plupart des acteurs sociaux (institutions, société civile, politiques…) s’en sont approprié et mettent des actions en place à fin de rendre aux femmes toute leur dignité et de maintenir leur potentiel valorisé. Cela est d’autant plus une grande victoire qu’à nos débuts, parler des violences faites aux femmes constituait un non lieu ou une incompréhension chez nos différents interlocuteurs, qui ne s’embarrassaient souvent pas pour nous faire savoir que c’était une notion importée qui n’avait pas prise avec nos réalités, car selon eux, la femme camerounaise aime la violence. Aujourd’hui, les 16 jours d’activisme contre les violences faites aux femmes sont une réalité dans tout le Cameroun.

Et s’il fallait se projeter, que pourrait-on vous souhaiter ?
D’avoir des moyens accrus pour aider les femmes à sortir de la violence.
Propos recueillis par Parfait Tabapsi

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