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mardi 20 mars 2012

Eugène Ebodé


Yambo représente le rebelle
et l’inclassable

L’écrivain camerounais se livre au lendemain de la réception du prix Yambo Ouologuem à Bamako.

Votre dernière fiction «Madame l’Afrique», vient de remporter le prix Yambo Ouologuem à la Biennale littéraire africaine le mois dernier à Bamako. Que revêt cette nouvelle distinction pour vous ?

C’est toujours un moment heureux que de recevoir une distinction. Elle est d’autant plus intéressante qu’elle vient d’une organisation africaine reconnue par un Etat africain, le Mali. Il faut saluer le pari de l’éditeur algérien Apic qui a misé depuis longtemps sur un véritable ancrage africain et une valorisation des forces créatrices africaines. Yambo Ouologuem est tout un symbole et je l’ai dit à Bamako, Le maître livre de Yambo Ouologuem, «Le devoir de violence», m’a surtout appris le devoir de violence sur moi-même pour sortir des conformismes. Je dédie ce prix à Mère Afrique et aux jeunes !

Pensez-vous avoir des atomes crochus avec Yambo Ouologuem au plan littéraire ? que représente-t-il à vos yeux ?

Je me suis rendu en 2004 au Mali, poussé par le besoin de rencontrer Yambo Ouologuem ! J'avais lu «Le Devoir de violence» et il m'arrivait de me demander ce qu'était devenu l'auteur de ce livre détonnant, sublimement polémique. «Les Saïfs, nous apprenait-il, ne doivent pas être naïfs et aveugles». Les Saïfs, c'est nous ! J'avais donc un grand désir de conversation avec Yambo Ouologuem. Or j'apprenais qu'il était socialement mort, désormais absent en lui-même, qu'il n'écrivait ni ne parlait à personne. «Ceci n'est pas possible !» me suis-je dit. J'ai sauté dans un avion avec pour but unique de le voir. À Bamako, j'ai trouvé une oreille attentive auprès d'Adama Sangaré, l'actuel maire de Bamako. À l'époque, il était un modeste adjoint au maire de la commune 3, alors présidée par l'affable Abdel Kader Sidibé. C'est ainsi qu'il m'a fait conduire auprès de Yambo. Nous sommes allés chez lui et sa mère, qui vivait encore, nous a ouvert la porte de leur maison. L'écrivain nous a fraîchement accueillis, puis le guide qui m'accompagnait lui a expliqué que j'étais un écrivain camerounais qui avait tenu à venir de très loin pour le saluer. Il m'a un peu vivement apostrophé, mais a aussitôt permis que nous puissions dialoguer. Ce fut un extraordinaire moment. Il s’attarda un moment sur l'uniforme de mon guide, le sous-officier de l'armée de l'air. Et là, Yambo, intarissable, fit une description détaillée de l'évolution des tenues militaires depuis l'épopée militaire de Samory Touré, dans la seconde moitié du 19è siècle. Il nous parla des stratégies militaires, de l'armement utilisé, des évolutions des uniformes et notamment les canadiennes et les sahariennes de ce temps-là. À un moment qui me restera, il nous annonça de ne pas bouger : «Attendez-vous à une surprise !» Il nous quitta avec vivacité, partit dans la maison, nous laissant dans le jardin, à l'ombre d'un arbre, un flamboyant encore jeune, me semble-t-il. Il revint avec un fusil. Qu'allait-il en faire ? Il me demanda de venir vers lui et, ouvrant la culasse du fusil, il me montra comment on «chambrait la cartouche» ; mais surtout, il me fit voir un chiffre inscrit dans la culasse : le numéro militaire de son grand-père ! Ce fusil appartenait à son aïeul, un soldat de Samory ! J'accédais ainsi au jardin secret de Yambo Ouologuem. Nous avons passé trois ou quatre heures à parler d'histoire, de politique et... de littérature. Il fut prolixe sur Mongo Beti avec lequel il avait jadis eu un commerce intellectuel agréable. Nous avons aussi parlé de son prix Renaudot. Le sujet le braquait, l'a toujours, me semble-t-il, énervé. Un seul mot revenait à ses lèvres : la trahison française. Oui, il avait le très net sentiment d'avoir été trahi. Yambo représente le rebelle et l’inclassable. Mais aussi, une forme rare de personnage sacrificiel. Poétiquement, il ressemble à un roseau qui plie mais ne rompt pas !

Vous êtes un Camerounais qui vit en France et qui vient d’être primé avec un livre édité en Algérie. Comment faut-il vous définir ? Qui êtes-vous finalement ?

Un Afro-occidental ! J’ai une identité composite, métisse. Je sais d’où je viens : incontestablement d’Afrique. Je vis en France et ne serai jamais oublieux ni de mes racines ni de ce que je dois à la France, ce pays qui m’a accueilli. Je peux néanmoins le regarder dans le blanc des yeux et lui dire ce qui le rend insupportable : les discriminations qui y prospèrent, les hypocrisies dénoncées par Ouologuem, les petits accommodements avec des satrapes africains dénoncés avec virulence hier par Mongo Beti ou par Alain Patrice Nganang aujourd’hui. Nous ne pouvons accepter, en France, la situation faite aux immigrés, aux Roms, au peuple lui-même par un gouvernement Sarkozy qui aura éreinté les cœurs, les reins et la force des Français.

Par ces temps de révolutions et de troubles sur le continent, quel peut être l’apport de la littérature pour un meilleur être de l’Afrique ?

Il faudrait que les peuples s’approprient davantage la diversité africaine et en fassent un atout. La culture y est un point capital pour une projection enthousiaste ver l’avenir. Les révolutions sont salutaires pour relancer la machine à produire du sens et à rebattre les cartes. Lesquelles ? Celles de l’extension de la confiance en soi et de la prospérité partagée. Les troubles ? Les affrontements religieux au Nigeria sont une catastrophe. Les vieux crocodiles qui ont tant mangé leurs enfants et qui continuent à s’accrocher au pouvoir, au Cameroun comme au Sénégal sont aussi une calamité, une effroyable dette que les générations futures paieront d’un lourd et inestimable tribut. Hélas !...

Propos recueillis par Parfait Tabapsi

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