Littérature
La couverture. @PT |
Le chercheur
camerounais a rassemblé un pan de son travail dans un recueil qui transpire le
mal-être du critique en terre africaine.
Choisir d’aller à contre courant de l’orthodoxie critique
en vigueur en Occident, voilà qui ne devrait pas plaire et ne plaît pas du
tout. N’empêche, Ambroise Kom, spécialiste des littératures d’Afrique noire et
de sa diaspora, travaille depuis plus de trois décennies à un autre art de
critiquer qui sonde les œuvres étudiées avec un prisme plus en prise avec le
réel, et qui au bout lui donne une particularité que le grand public peut
apprécier à travers les œuvres qu’il produit presque sans discontinuer.
Son dernier livre, recueil d’articles, paru l’année
dernière prolonge cette «esthétique de la dissidence» que «Education et
démocratie en Afrique, le temps des illusions» (L’Harmattan, 1996) ou «La
malédiction francophone» (Clé/Litt Verlag, 2000) avait si bien entamé. Une belle
somme intéressante à plus d’un titre. Car outre son penchant dissident, l’on en
apprend sur la qualité de la vie socio-politique dans un pays et un continent
pour lesquels il a décidé de se dévouer depuis son retour des Amériques voici
près de trois décennies. Comme le souligne son postfacier et compère Romuald
Fonkoua, Ambroise Kom, dans sa posture intellectuelle, «plaide (pour une
sociocritique) vigoureuse, qui place la société et ses réalités au cœur du
discours esthétique et des préoccupations critiques». Un choix qui a pour
corollaire une analyse froide et sans concession de la société dans laquelle il
vit et travaille.
Si le titre peut sembler coller à une actualité mondiale
empreinte de spleen et de désillusion, il reste qu’en parcourant les textes,
l’on a le sentiment sans équivoque que Kom ne s’est jamais départi de son choix
esthétique. Ce qui n’est pas rien vu que cela ne lui a pas valu que du bonheur
comme on a pu le lire dans «Education et démocratie en Afrique…» Une posture
qu’il assume entièrement donc et qu’il explique en ces termes : «… au-delà
des préoccupations de recherche scientifique qui peuvent être les miennes, peu
de mes prises de position sur l’Afrique sont innocentes et totalement dénuées
de passion, mais une passion qui est essentiellement le fruit de l’indignation
et dont l’effet aura été de nourrir une certaine résistance.» Cela parce que «[s]a
recherche transcende les études littéraires pour s’intéresser aux divers autres
problèmes d’essence culturelle auxquels l’Afrique doit faire face.» Et ces
problèmes là sont légion. Entre opter pour ces langues étrangères introduites
en Afrique comme «moyen de déportation spirituelle» ou écrire pour raconter que
la vie est belle –car comme le confesse le Malgache Jacques Rabemananjara, «C’est
à la seule situation de son peuple dans les circonstances présentes que le
poète noir doit sa distinction des autres poètes, la manière spéciale de son
inspiration et la différence inéluctable de son accent dans le concert poétique
de notre temps» (P202)- il y a du travail pour aboutir à ce que Kom appelle
«une africanité de la littérature africaine». Sans compter que même la
littérature continentale qui «vit et même s’épanouit en exil» est «sous [le] contrôle»
du «monde occidental [qui] développe des stratégies de légitimation de manière
à s’assurer qu’il continuera à détenir les critères de canonisation de l’œuvre
littéraire» (P.207)
Ambroise Kom @ DR |
Comme on le voit, Kom planche sur une esthétique qui va à
rebours des canons étrangers. Ce qui finalement semble légitime, non seulement
parce que ce postulat vient d’un fils du continent qui vit et travaille en
Afrique, mais parce que vu la place qui lui est réservée jusque dans les
cénacles littéraires africains de la littérature du continent, il y a comme une
urgence de la sauver d’une marginalité qui continue à la garder à la périphérie
de la littérature mondiale.
Ambroise Kom, Le
devoir d’indignation. Ethique et esthétique de la dissidence. Paris. Présence
africaine, avril 2012, 372 pages, 18,50 euros.
Parfait Tabapsi
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire