Portrait (Musique)
Jack Djeyim croqué par Landryman! |
Le
gaucher magistral malgré un long exil reste attaché aux rythmes du terroir
qu’il sait mettre en harmonie avec les instruments occidentaux comme il l’a
démontré au public de Douala et Yaoundé dernièrement.
Le
Cameroun est un grenier d’instrumentistes de haut vol. Le dire c’est certes
enfoncer une porte ouverte, mais il convient de souvent le rappeler tant au
Cameroun même, la facilité et la fainéantise semblent alimenter les postures
artistiques de pseudo musiciens. Qui à longueur de journée paressent et tirent
un art qui fait la fierté du Cameroun à l’extérieur par le bas. Devenant des
cadors d’une médiocrité pour laquelle ils affichent par moment, et pour le
malheur de l’art, une alacrité à tout crin. En venant partager sa science de la
guitare et de la sanza avec ses congénères locaux ainsi qu’avec le public, Jack
Djeyim voulait sans doute passer ce message là, mais à sa manière. Par la
transmission de son know how et la rencontre d’un public qui lui manque au fur
et à mesure que son exil avance dans cette France où nombre de nos talents
musicaux ont éclos par le passé avant d’irradier la scène mondiale.
Si
Jack Djeyim, fils du quartier New Bell à Douala, est aujourd’hui un musicien
respecté dans le gotha de la musique originaire d’Afrique, il n’est cependant
pas le plus célébré et le plus adulé. Pas du fait de son jeu aux variations et
sonorités toutes particulières dans le microcosme, mais parce qu’il est avant
tout un bêcheur, un travailleur de l’ombre. Lui dont le doigté a contribué au talent
de bien de confrères africains. C’est que Jack, loin de l’image d’un éventreur
furibard et sans pitié, a bâti son itinéraire artistique avec hargne, ténacité,
abnégation et courage. Comme pour certains, le virus l’a attrapé assez tôt. Au
moment où les carillons du Cameroun indépendant sonnaient à Yaoundé, lui se
mettait au tam-tam en regardant des aînés le jouer lors des réjouissances à
Bafoussam à l’Ouest du Cameroun. En le faisant, il entamait ainsi une
accumulation de sonorités dans son arrière-pays mental, ce qui allait le servir
des décennies plus loin. S’il joue du tam-tam avec un entrain certain, la
guitare l’attire tout autant. Peut-être par curiosité ou par exotisme. Il en
fabriquera d’ailleurs un par lui-même avec des câbles de frein, histoire de
disposer de l’instrument quand l’inspiration lui vient ou encore pour s’exercer
jusqu’à plus soif. Tout près de la maison familiale, se trouve aussi un voisin
qui possède un banjo et avec qui le petit Jack va passer le plus clair de son
temps. Tout comme il se familiarisera à la même période avec une guitare sèche
grâce à un ami.
Dans
l’espace, la figure paternelle s’impose. Non pas pour le blâmer, mais pour
l’encourager, ce qui décuple son envie d’en découdre. Au Collège la
Réunification de Bafoussam, il commence à sortir du lot. C’est alors qu’il
croise le chemin de Francis Njoh, devenu depuis prof de musique, qui
l’encourage à améliorer un jeu encore balbutiant. Au collège très rapidement,
l’orchestre de céans ne lui suffit plus. Il veut faire le saut de la scène, la
vraie qu’il commence à côtoyer une fois son brevet d’études en poche. Il fera
donc les cabarets la nuit et l’école buissonnière le jour. Les études pâtiront
de cette boulimie festive qui consume l’ado. Il se retrouvera d’ailleurs à Douala,
à New Bell, ce quartier chargé d’histoire. Où se recrute les délinquants et
autres subversifs dans un pays dont le chef a fait de l’extermination de
l’opposition ou ce qui lui semble proche le viatique de sa marche forcée vers
l’unité. Un climat tendu qui ne semble pas avoir prise sur le jeune homme dont
le chemin, hasard heureux, croise celui de Brillant Ekambi. En cette
mi-décennie 70, Ekambi est la vedette du moment, la première vraie star de la
musique camerounaise. Avec son Ebishow, il embarque le guitariste gaucher,
objet de toutes les curiosités, pour une tournée en Afrique de l’Ouest.
Justin Bowen en concert à Paris. |
Bafoussam-Lagos-Paris
Au
retour, il rejoint les Sapho Brothers
au cabaret ‘La Payotte’ à Bafoussam où il continue ses classes. Et d’où
ils partiront pour le Nigeria, Mecque de tout musicien noir car y sévit le
seigneur Fela dont la parole constitue une arme contre la dictature
grandissante et le beat une source de conscientisation d’une jeunesse qui rêve
d’un meilleur avenir. Cinq ans durant, Jack et ses compères vont faire des
progrès depuis leur antre du Meeryland Night Club de Lagos. Il y découvre à côté de
l’afrobeat de Fela le jazz, le blues, le rock et le reggae. Il y croise
également du monde : Sony Okusun, Fela, tony okoroji, Third World, etc.
Au
début de la décennie suivante, et alors que le pouvoir change de main à
Yaoundé, Jack part s’installer en France. Il a en tête de faire une carrière
solo, mais n’est pas outillé pour ce monde-là. Certes son doigté peut faire
merveille, mais dans cet environnement qu’il découvre, difficile de faire son
trou. Alors il trime, fait de petits boulots pour survivre tout en continuant,
quand c’est possible, de faire des bœufs ça et là. Il lui faudra finalement
quatre ans pour sortir son premier opus dont quelques titres feront parler
d’eux au bercail. Face à la difficulté cependant, Jack ne faillit pas. Mieux,
il reprend le chemin de l’école. Après des années de cabaret, il rejoint l’IACP
pour des études musicales. «Le conservatoire était devenu une nécessité pour
moi dans la mesure où il vous donne les outils pour comprendre le langage de la
musique et pouvoir ainsi jouer avec tout le monde», argue-t-il aujourd’hui. A
cette époque là, et malgré les dissensions entre Guillaume Toto et Aladji
Touré, les deux figures de proue du makossa qui est à son pinacle sur le
continent, Jack participe quand il est sollicité aux albums des uns et des
autres. De cette époque, il dit être reconnaissant à Guillaume Toto, autre
guitariste de génie, qui lui a «tenu la main» et auprès de qui il a «beaucoup
appris».
Dans
les studios parisiens, il croise un autre guitariste qui connaît alors très
bien le Cameroun artistique : Slim Pezin, grand complice de Manu Dibango.
Qui a joué avec les plus grands en France et qui va l’aider à peaufiner son 2è
opus «Le marabout». C’est l’époque
de la chute du mur de Berlin et l’envolée de la démocratie dans les zones
grises de la carte du monde. Cet album est l’occasion pour Jack de faire le
point sur le chemin parcouru. Avec l’expérience d’une quinzaine d’années ainsi
que le bagage engrangé à l’IACP, il entame les tournées avec de grands noms
comme Sam Fan Thomas, Tshala Muana, Sory Bamba, Moni Bile, ou Abéti Massikini. Sa
cote grimpe alors dans le milieu, la reconnaissance avec. Il se sent plus en confiance
et songe à le faire savoir dans un nouvel album sur lequel il travaille sans
relâche avec son ami et complice Justin Bowen, pianiste de génie qui vient de
quitter le Soul Makossa Gang,
l’orchestre de Manu Dibango qu’il dirigeait jusqu’alors. Ensemble, Jack et
Justin se tuent à la tâche et offrent après une parturition difficile de
plusieurs mois un magnifique «Dance
around the fire». Qui sonne comme l’album de la maturité ; où le style
de Jack s’affirme entièrement et où il prend date pour la suite en disant au
monde d’où il vient et à partir de quel terroir il parle.
Sur la scène de l'IFC de Douala en janvier 2013. |
Retour malheureux ?
Au
Cameroun pendant ce temps, le peuple, exsangue après près de huit mois de grève généralisée, est groggy. Même si
André-Marie Talla fait feu de tout bois dans les bacs avec son tube ‘bendskin’
qui donne du baume au cœur et contribue à réveiller un rythme qui en avait
besoin. Avant qu’un coup de massue d’une administration ne survienne sous la
forme d’abord d’une baisse drastique de salaire à la fonction publique, d’une
dévaluation du franc CFA et d’un gel des recrutements par l’Etat. Jack quant à
lui est tout confiant quand il prend langue avec un distributeur du marché
Congo à Douala en 1995. Il sait qu’il vient de produire «quelque chose de
puissant» et souhaite le faire savoir aux siens. Une campagne médiatique est
enclenchée. Avec au bout une maigre consolation : reparti en France, Jack
attend en vain les dividendes des ventes de son album. Filouterie, roublardise
ou conjoncture ? Il ne sait quoi dire devant le silence de son
distributeur. Aujourd’hui encore, Jack a du mal en s’en remettre et préfère ne
pas s’épancher sur cet épisode douloureux. Mais ce qu’il ne sait pas c’est que
cet album va finir de l’installer dans le cœur des mélomanes qui ne
l’oublieront plus.
En
France déjà, le couple Jack-Justin est en plein chantier pour l’album du
second. Tout comme avec «Dance around
the fire», «Flash back» va
bénéficier de tous les savoirs artistiques et autres know how des deux
compères. Avec au final un autre maître album qui portera au pinacle le jeu des
deux instrumentistes. Les deux peuvent alors souffler, non sans que Jack ait
laissé à la postérité sa griffe : son jeu est plus volubile et aigu,
couché qu’il est sur les rythmes de son terroir de l’ouest Cameroun qui abrite
ses ancêtres. Jack désarçonne par son jeu en étoile qui sied bien aux musiques
ternaires que sont le bikutsi et le danzi qu’il fusionne avec maestria au moyen
d’arrangements originaux et du son cristallin de sa guitare. Une performance
qui n’est pas sans porter la griffe du batteur Brice Wassy, autre transfuge du Soul Makossa Gang dont la rythmique
s’harmonise à merveille avec Jack.
Déjà
à cette époque, Jack a renoué avec la sanza qu’il a découverte quelques années
plus tôt à Harare lors d’une tournée. Il a l’intuition que couplée à sa
guitare, cet instrument va asseoir définitivement ce danzi qui lui tient à
cœur. Il entame d’apprendre à manier ce joujou que le Tsigane Joe Zawinul est
en train d’incorporer dans son ‘Zawinul syndicate’ au travers d’un Paco Serry
inimitable. Au Cameroun pendant ce temps, pierre Didy Tchakounté par qui cet
instrument a perdu de son anonymat semble être à bout de souffle. Certes la
sanza n’a pas complètement disparu comme on peut le voir par exemple dans les albums
«Mendu» de Guy Mbiro ou «Balengu
Village» de Brice Wassy, mais ce n’est pas la grande forme. Jack travaille donc
d’arrache pied et peaufine avec Emilio Bissaya et Jean-Philippe Rykiel son
sanza trio. La célébration du cinquantenaire de l’indépendance en 2010 sera
l’occasion pour lui de tester son travail lors du concert du Palais des sports.
A travers le titre ‘Magni’. Avec un certain succès si l’on s’en tient à
l’accueil de ses concerts à Yaoundé et Douala il y a quelques jours.
Par Parfait Tabapsi
Jack Djeyim |
Djeyim en dates
1954 : naissance à New Bell
1965 : fabrication d’une guitare à base de câbles de
freins
1975 : intégration des Sapho brothers
1977 : départ pour Lagos
1983 : arrivée en France
1987 : sortie de «Chérie coco», 1er album
solo chez Espace Tropical
1989 : «Le marabout» (Buda Musique – Mélodie)
1995 : “Dance around the fire” chez Binam
Production
2009: “Show me the way” (auto-production)
2012: “Magni” (auto-production)
2013: concerts à Yaoundé et Douala
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