Musique
Par Joseph Owona Ntsama
Avec Owona Ntsama à dr. et Parfait Tabapsi à g. chez lui en 2012. |
Sunshine Day
La journée est belle de ce soleil
caractéristique de décembre sous les Tropiques dont les rayons, agressifs à
souhait, vous picotent l’échine et le crâne, transformant toute initiative de
marche à pieds en projet téméraire. Heureusement que pour une fois je n’aurais
pas à battre le pavé. Le 28 décembre 2012, à Obala, dans sa ville natale, j’ai
rencontré Vincent Nguini, lechef d’orchestre de Paul Simon depuis une bonne
vingtaine d’année maintenant ; Paul Simon, co-auteur avec Arthur Garfunkel
des albums de pop music «Bridge Over
Troubled Water» et «Wednesday morning. 3 A. M.», entre autres albums
planétaires. Je suis très
impressionné et pour être tout à fait honnête avec vous, je nourris même
quelques appréhensions… Les artistes, je veux dire les grands esprits, sont
réputés caractériels. Et Vincent Nguini qui en est un, est en congé au pays,
m’a-t-on dit, donc il est là pour se reposer. Ce qui est tout à fait légitime
quand on parcourt le monde comme il le fait depuis près de 40 ans en bon
ambassadeur de la musique africaine.
La ville d’Obala que j’ai connue jadis,
s’est littéralement transformée, ces dernières années, notamment grâce au
goudron qui serpente la ville et ses artères : exit donc le patelin
poussiéreux que j’ai fréquenté à l’époque du complexe touristique «Luna Parc»
et de la très redoutée équipe de football, «Tarzan d’Obala», aussi célèbre pour
son jeu à prédominance force («Kick &
Rush !!») que pour les bagarres épiques que ses supporters
n’hésitaient pas à engager, les joueurs avec ! A ce moment précis, je
pense à cette bourgade passablement éclairée qui me rappelait toujours
l’univers culturel des romans d’Exbrayat lorsqu’il décrivait, avec force
détails, les échauffourées, rixes et autres pugilats monstres des villageois
irlandais ou écossais après une soirée bien arrosée… Cette ville aux gens
accueillants malgré une réputation de bagarreurs non surfaite, Nguini lui a
dédiée, plusieurs années plus tard, une tonique mélodie mi-chant de guerre,
mi-chant d’adieux et mi-chant de réjouissance intitulée «Obala», où l’«Esani» [danse traditionnelle funéraire
d’adieux des peuples Beti-Bulu-Fang de la grande forêt équatoriale d’Afrique
centrale] qui est déjà émotionnellement très chargée fondamentalement, est
magnifiée à son plus haut niveau. L’homme qui a perdu son père à 14 ans, en a
certainement vu de toutes les couleurs dans cet environnement sociologique où
les orphelins, de père justement, sont des proies faciles pour des
prédateurs de toutes sortes…
«Obala» lui a certainement donné
l’opportunité de faire la paix avec lui-même en cautérisant définitivement
quelques blessures narcissiques… Nous roulons paisiblement en ce moment de
fête, croisant aussi quelques chauffards qui nous flanquent la trouille, nous
rappelant incidemment que la vie ne tient qu’à un fil... Notre guide
rassure : l’homme, à l’occasion, passe même quelques coups de fil au
maître des céans, question de bien nous situer sur la position géographique de
son nouveau domicile. Enfin, on se gare devant l’entrée du domicile de Vincent
Nguini. Gazouillis d’oiseaux au lointain, l’endroit est calme et on y respire
l’air pur. Je ne suis pas surpris : Nguini est boudhiste, ce qui explique
certainement le choix de cet environnement bucolique. Le ciel est radieux et
nous sommes heureux. Nous sommes arrivés à bon port.
Chez lui à Obala en décembre 2012. |
Traveller
L’homme, à la démarche nonchalante,
souriant et immédiatement disponible, nous recevra sans protocole aucun. Ce fut
ma première agréable surprise. Et il y en eut bien d’autres, durant cet échange
libre, convivial et franc que nous eûmes dans son salon spacieux. Le regard
vif, un tantinet rieur et le rictus charmeur bien en coin, il sera disert voire
prolixe sur les détails de sa longue et riche carrière de musicien, compositeur
et arrangeur. Il a étudié l’harmonie et autres subtilités de la musique d’abord
auprès du Ghanéen Teddy Ossey aujourd’hui disparu, qui fut un ancien enseignant
de musique à la Berkeley, en Californie ; et, ensuite, à Genève, en
Suisse, dans une académie aseptisée. Cela après qu’il a fini de bourlinguer
dans tous les cabarets en vue, à l’époque, à Yaoundé, auprès du guitariste
Lazare Ndénang et autres Paul Tina (claviers et guitare) stockant
méthodiquement un bagage technique qui, certainement, explique aujourd’hui sa
longévité auprès d’un musicien de la trempe de Paul Simon. Lui qui était
pourtant au départ attiré par le football et qui va entrer dans la musique par
la…batterie ! Si Teddy Ossey est resté pour lui le maître des maîtres (il
évoque son souvenir avec une pointe de nostalgie et beaucoup d’émotion), il
faudrait bien garder en tête qu’en esprit libre, Vincent Nguini est d’abord un
autodidacte compulsif (il continue à ce jour à se documenter en musique en ses
divers aspects et possède un nombre impressionnant d’ouvrages théoriques et
pratiques qui vont dans ce sens).
C’est d’ailleurs cette quête du savoir
qui lui fera prendre la route très tôt, pour une aventure pleine de galères les
unes aussi cocasses que les autres, des fois périlleuses aussi à cause de la
roublardise de quelques frères d’armes très peu respectueux de la morale et de
l’image de soi. Le Ghana, le Nigéria, la Côte-d’Ivoire et j’en passe ;
l’Europe, par la suite et enfin les Etats-Unis où, en fin de tournée avec Manu
Dibango, il prendra la décision irrévocable de rester. Il s’y retrouvera
d’ailleurs tout seul faute de «courageux» voulant tenter l’aventure comme lui.
On le devine aisément, notre colosse d’Obala, dans les turpitudes d’une «Easy
Ryder» interminable et parsemée d’embûches, les poches désespérément vides mais
la musique plein la tête ; lui qui, très tôt, eut un «projet», autre chose
de particulier que de jouer éternellement comme «sideman» : faire de la musique africaine tout court, mais en
emmagasinant le maximum de connaissances théoriques et techniques pour pouvoir
donner libre cours à une inspiration originelle qui ne saurait trahir ses
aspirations profondes. Il lui aura donc fallu apprendre -et beaucoup- pour
parvenir à ses fins. Ce qu’il fit en totale immersion dans divers univers
musicaux incubateurs de talents comme à l’époque quand il eut à côtoyer, certes
pendant un laps de temps, le roi de Kalakuta City : l’immense Fela
Anikulapo Kuti. La quête de Vincent Nguini a quelque chose de complexe, à forts
relents mystiques (Cf. album «Symphony Bantu»), à la recherche d’une
inspiration originelle pour exhumer sans la dénaturer la musique africaine
du tréfonds de son univers basique : c’est ce qui peut d’ailleurs expliquer, à
l’occasion, qu’il revienne musicalement se ressourcer auprès du riche
répertoire du grand maître Martin Messi me Nkonda (1946-2005) en revisitant
quelques-uns de ses standards, ou, plus proche de nous, les compositions du
regretté Sala Bekono qui fut très proche du même Messi.
En spectacle avec son boss Paul Simon en 2011. |
Take it easy!
Philosophe parce bouddhiste
aujourd’hui, Vincent Nguini ne laisse rien transparaitre de tous ces moments de
galère, de doute, pour laisser libre cours à une joie de vivre non
feinte et communicatrice : il y a quelques années, ici en plein Yaoundé,
sortant d’une émission radiophonique, un esprit retord lui déroba son disque de
platine ; ou pire quand tous les contacts avaient été bouclés pour qu’il
puisse faire un concert gratuit dans notre vieux stade omnisports, et que tout
sera annulé à la dernière minute parce qu’on lui refusera de vérifier de «tactu» l’état de la pelouse qui allait
accueillir des milliers d’individus venus des quatre coins du pays… Et jusqu’à
ce jour rien n’a été fait pour que ce digne fils du pays nous montre dans un
live monstre ce qu’il sait faire. Nguini parle de tout ça avec détachement, on
a même comme l’impression qu’il n’est nullement concerné tant il reste
concentré sur ce qu’il a à faire, je veux dire sur ce qu’il sait bien
faire : exécuter de la musique africaine, musiques dont on est encore très
loin d’épuiser le potentiel et de percer le mystère d’après lui. C’est cette
sorte d’hédonisme musical qui au final le rend modeste, parce qu’il sait que le
chemin est encore long à parcourir pour étudier, comprendre et enfin exploiter
à fond toutes les capacités techniques que nous offre le myxolydien de nos
musiques traditionnelles du cru. Même si il a abdiqué à jouer du mvet dont il
n’imaginait pas la complexité. Observer que je ne parle pas de «Jazz», mais
bien de «musiques traditionnelles africaines», je veux dire ce fond culturel
sonore complexe dans la structuration harmonique qui avait déjà, en son temps,
fasciné un Francis Bebey, si l’on ne retient que les mélodies des Pygmées par
exemple.
Avec Paul Mccarthney |
Notre visite se terminera dans une
ambiance relaxe, voire même bonne enfant : Nguini ira jusqu’à reprendre,
sur son inséparable et vieille Gretsch orange cirée, pour notre plaisir à tous
et je crois surtout pour mon ego personnel, le célèbre titre de Sissy Dipoko,
«Mouvement uniforme», qu’il joua et enregistra en studio, à Paris, entouré pour
la circonstance de Justin Bowen (Synthé), Jojo Kouoh (batterie), et Petit Manga
(bass). Je crois que Jimmy Sax faisait aussi partie de cette bande de joyeux
drilles. On ne se fera guère prier pour immortaliser ce direct qui vaut de l’or
à mon avis. Un ange passa suivi d’une cohorte de petits santons qui semblent
donner le La… Je suis aux anges et je me jure «in petto» de reprendre mes gammes dès que possible. Mais juste
pour me faire plaisir, «Just for
fun !». Vincent Nguini va nous raccompagner jusqu’à son portail,
relaxe et toujours souriant. Dernières photos. Dehors c’est toujours le même
temps radieux. On se remet en route en se promettant de se revoir dès que
possible.
Dicographie:
Symphony Bantu (1994); Mesa/Bluemoon / Rhino
Mezik Me Mvamba (1997); Vincent Nguini
Sunshine day (1999); Vincent Nguini
Traveler (2002); Vincent Nguini
Douma (2006) ; Vincent Nguini
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