Littérature
Un habitat collectif dans
une rue malfamée de Montréal sert de cadre au récit de Lottin Wekapé sur la
tolérance identitaire.
Il y a un peu plus de quatre ans et alors qu’il
émigrait pour les Amériques, ceux qui avaient lu ses premières saillies chez
L’Harmattan dans la collection Encres Noires avaient craint que ce départ ne
soit l’hallali de sa créativité littéraire. Ce d’autant plus qu’il allait y
rejoindre sa famille et poursuivre son activité principale d’enseignant de
langue française. C’était visiblement un peu aller vite en besogne tout en
ignorant que le changement d’atmosphère ne pouvait en aucun cas avoir gain de
cause sur l’inspiration et la capacité d’adaptation de celui-là qui au fil des
livraisons s’affirme comme l’un des narrateurs sur lequel il va falloir compter
désormais.
Après donc ‘Chasse
à l’étranger’, ‘Je ne sifflerai pas
deux fois’ ou encore ‘Montréal mon
amour’, voici ‘J’appartiens au
monde’. Une fresque de la vie africaine à Montréal, cette destination rêvée
pour nombre d’Africains, mais qui visiblement a du mal à recaser le trop plein
de migrants qui s’y amoncelle au quotidien. Et pour bien évoquer la situation
sans verser dans la flagornerie, Wekape a choisi une fillette d’une dizaine
d’années pour nous faire vivre une ambiance que l’on peut situer aussi bien
dans une capitale africaine, tant les histoires de chaque membre de la
collectivité africaine ressemblent à s’y méprendre à ce qui se passe sur le
continent berceau de l’humanité.
L’histoire est celle d’une brillante camerounaise qui
débarque à Montréal pour y poursuivre ses études avant que sa naïveté ne lui
joue des tours. Elle rencontre en effet un homme marié qui, l’instant de
l’absence de son épouse, tombe sous le charme de sa bonne à mi-temps. Alors que
Mlle Ngassam pensait avoir trouvé une épaule par moment difficile et un soutien
dans cet univers qu’elle apprend à connaître, voilà que débarque l’épouse qui
reprend son bien quand la voleuse de mari se retrouve à la rue, une grossesse
sur les bras. Elle accouchera d’une petite fille intelligente qu’elle va
commencer à détester. Car au fur et à mesure que la fille grandit, son sort à
elle se détériore au point où elle échoue dans la déprime avant d’être à la fin
du roman renvoyé dans son pays natal.
Au-delà du récit qui n’a rien d’original, c’est la
qualité de la narration et l’art des rebondissements qu’il faut saluer chez
Wekape. Son récit flirte parfois le polar avant de nous ramener dans les
méandres de la vie difficile des émigrés. Où le bon (Slim) côtoie le moins bon
(Rodriguez). Dans le roman, l’auteur prend également le parti de la diversité.
En faisant de son héroïne une hybride qui réussit, il plaide en faveur d’une
meilleure considération et acceptation
de l’étranger qui, loin des clichés et des stéréotypes est un être comme tout
le monde. Il pose également par là la question de l’identité de ceux qui sont
nés de la rencontre de plusieurs cultures au carrefour desquelles ils finissent
par trouver leur voie, pour peu qu’on veuille simplement les laisser vivre en
paix.
Avec l’issue heureuse de Lucifer-Espoir, l’auteur
clame aussi une vérité qui dans sa culture d’origine continue d’avoir cours
malgré les affres de la modernité et qui veut que l’enfant n’appartienne pas
seulement à ses parents, mais à tout le village. A charge pour celui-ci de
s’impliquer dans son évolution avec chacun sa sensibilité et son talent. Une
vérité qui renvoie le lecteur où qu’il se trouve à questionner sa propre
humanitude par ces temps où les valeurs de tolérance et de compréhension claudiquent
sous les coups de boutoir d’un village global de plus en plus individualisé.
Mais est-on seulement prêt à suivre cette voie ? Wekape lui ne demande que
cela.
Lottin Wekape,
J’appartiens au monde, France, L’Harmattan, 2012, 172 pages, 17 euros
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