Livre
Dans le 2è tomme de
ses mémoires, le Nobel de littérature détaille ses combats dans un pays aux
prises avec la violence politique.
Le Penkelemes, la
grande pagaille, n’est pas une situation qu’il faille souhaiter à un
pays ; surtout s’il sort d’une colonisation. Le Nigeria, comme nombre de
pays africains, a connu cette atmosphère où le tribalisme le disputait à la
violence ainsi qu’à une appréciation bien particulière de la gestion de la
cité. Dans le 2è tome de ses mémoires Ibadan, les années pagaille, Wole
Soyinka, méticuleux comme jamais, décrit la pagaille du point de vue de son
héros Maren qui n’est personne d’autre que lui-même. Ce faisant, il renseigne
sur un pan de l’histoire récente de son pays qui, à bien des égards, est loin
d’avoir pansé cette conjoncture qui par métastases et malgré le semblant de
démocratisation n’en finit plus de perdurer. Au grand dam de ceux comme lui qui
ont tout misé sur ce géant finalement aux pieds d’argile.
Dans cette magnifique somme que l’auteur lui-même classe
dans le genre docu-roman, il est frappant de constater que les turpitudes de la
vie de l’auteur et ses pérégrination ici et là depuis 1965, date de la fin de
ce 2è volume consacré à sa vie, jusqu’en 1994 quand paraît le livre, n’ont en
rien altéré le sens du souvenir et parfois de la précision du Nobel de
littérature 1986. Mieux encore, l’on constate combien il s’est dévoué pour ce
pays qui s’échinait à l’éconduire et même à le martyriser. Car comment
expliquer autrement toutes les difficultés qui se sont dressées sur le passage
de Maren, aussi bien à l’université que dans la vie sociale. A cela, il faut ajouter cependant le penchant
de l’auteur-héros à s’obstiner à faire son travail de chercheur en art
théâtral, de metteur en scène et d’écrivain. Une quête de soi finalement qui
n’est pas sans rappeler Emile Sinclair, le héros de Demian, die Geschichte einer
jugend, le magnifique ouvrage (réédité chez Stock en 2004) d’un autre
Nobel, allemand celui-là, du nom de Herman Esse qui connut la gloire seulement
après sa mort.
Un Hesse qui disait déjà dans l’introduction de ce Demian
philosophique que «… mon histoire est pour moi plus importante que pour
n’importe quel écrivain la sienne, car elle m’appartient en propre, et elle est
l’histoire d’un homme, non pas inventé, idéal, n’existant pas en dehors du
livre, mais d’un homme qui, une fois, a vécu réellement.» une idée qui pourrait
s’appliquer à cet Ibadan sans que l’on ne retrouve à redire. Cela dit, Soyinka
n’emprunte pas les chemins de la psychanalyse, lui est loin du roman magique de
son illustre devancier puisqu’il fait œuvre de narration de ce qui a existé, à
une ou deux exception près. Dans le déroulé de son histoire, l’on voit un
Nigeria où la violence s’est réfugiée et, durant les premières années
d’indépendance, était suspendue sur les têtes des Nigérians comme une épée de
Damoclès pour les empêcher de mieux penser et anticiper leur avenir. Les
politiciens, tout pressés de récolter chacun les dividendes du départ de
l’Angleterre colonisatrice avaient alors pour seul souci leur pouvoir.
Dans ce maelstrom infernal, le héros, tout occupé à
comprendre la situation et à tenter de secouer avec toute sa volonté et ses
idées les idées reçues des uns et des autres en oublie certainement sa propre
existence d’homme. Dans ce pavé de 500 pages, on trouvera difficilement une
cinquantaine de pages en tout consacrée à sa vie d’époux multiple ou de fils.
Ce qui finalement n’est pas plus mal mais témoigne bien de ce que la famille
comptait pour le jeune diplômé de Leeds revenu au pays. Au gré de ses
pérégrinations aussi, l’on savoure son opiniâtreté bien sûr, mais aussi son
goût pour le théâtre et l’écriture que les politiciens, portés par le virus de
la violence feignent ou ignorent de prendre en compte dans le développement du
jeune Etat fédéral. L’on prend aussi connaissance de la vie et de
l’organisation politique et sociale de ce temps-là au Nigeria. Porté par la
narration, l’on en vient à oublier que le récit a une fin tant celle-ci semble
tomber au mauvais moment, celui où Maren s’apprête à sortir de sa cellule pour
aller prendre connaissance du verdict de son procès. Une sorte du suspense qui
sans doute invite le lecteur au 3è tomme des mémoires de celui qui 20 ans après
les années Ibadan va être reçu à Oslo avec la distinction que l’on sait.
Wole Soyinka, Ibadan,
les années pagaille, Actes sud, 1997, 500 pages
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