sur scène. DR |
Théâtre
L’ex sociétaire du «Théâtre universitaire» aujourd’hui
salarié à la Theater Haus de Stuttgart en RFA revient sur la période faste du théâtre camerounais et ne désespère pas d'un avenir meilleur pour cet art dans son pays.
Entretien à Stuttgart
On vous retrouve ici à Stuttgart alors même qu’au
Cameroun l’on se demande ce que vous êtes devenu. Pouvez-vous d’abord nous dire
ce qui vous a amené à vous installer ici en Allemagne ?
Les raisons de cette
migration sont nombreuses. D’abord, j’ai grandi dans le théâtre universitaire
des années 80 où j’ai fait mes armes de comédien sous la férule de Jacqueline Leloup.
Malheureusement quatre années après mon entrée au sein de cette troupe
prestigieuse, elle quittait le Cameroun. On est là en 1988. Il était alors
question de continuer de travailler et de fructifier ce qui avait été fait
jusque là vu qu’elle avait placé la barre à un certain niveau. Malheureusement,
avec son départ, les autorités de l’Université du Cameroun n’ont pas continué
leur action envers la troupe de la même manière. Nous avons comme ça été lâchés
par notre tutelle, ce qui a créé une démobilisation et un effritement de la
troupe qui vivotait sans moyens. Pour que vos lecteurs comprennent, je dois
dire que même la salle de répétitions qui nous était alloué nous a été retirée,
au point où dans les derniers moments nous travaillons sous le manguier qui
était devant le bâtiment prévu pour les répétitions.
Pouvez-vous nous raconter l’ambiance qu’il y avait au
sein de la troupe du temps de Mme Leloup ?
On avait avant toute
chose un parapluie financier. L’université, qui était notre tutelle, s’occupait
de tous nos déplacements et de toutes nos productions. Nous ne nous
préoccupions guère de la recherche des financements, ce qui nous permettait de
nous concentrer sur nos créations. Cela est important dans la mesure où la fin
de ce financement a provoqué une démobilisation et plus tard la disparition du
Théâtre universitaire. L’autre chose est que nous étions une bande de gamins
qui était unie par la passion bénévole du théâtre, car malgré notre travail
hautement professionnel, nous n’étions pas rémunérés. Il n’y a donc que la
passion qui nous animait. Et c’est celle-ci qui a mis le Théâtre universitaire
au niveau où il se trouvait en ces années-là. En troisième lieu, la troupe
comprenait en plus des comédiens des dramaturges de haute facture. Ce sont ces
dramaturges qui ont créé les différents personnages et intrigues qui marquent
encore les esprits au Cameroun et en Afrique aujourd’hui.
C’est donc cette harmonie dramaturges-comédiens qui a
rendu le Théâtre universitaire du Cameroun célèbre sur le continent. Comment
analysez-vous ce succès-là 25 ans plus loin ?
Deux choses sont à
prendre en considération pour expliquer et analyser ce succès qui a dépassé les
frontières camerounaises. Il y a la passion et le travail. Malheureusement, il
est arrivé beaucoup de temps après que la situation a changé et d’autres
intérêts ont pris le dessus sur la passion et le travail sur la scène
camerounaise. Il reste quelques fous qui croient en l’art et qui donneraient
leur dernière chemise pour lui. Exactement un peu comme nous le faisions jadis
lorsque nous allions aux répétitions à pied pendant des mois pour préparer un
spectacle ou que nous jouions sans rémunération. Il nous est arrivé plusieurs
fois mes compères et moi de sortir de la salle d’examen en fac pour courir à
une répétition ou à un spectacle à dix
ou 15 Kms du campus. Je ne voudrais pas préjuger de mes jeunes confrères de la
scène au Cameroun, mais je crains que beaucoup soient capables d’en faire de
même aujourd’hui.
Jouant "Wo ist besser", sa pièce à succès. DR |
Quand le Théâtre universitaire se démobilise complètement
à la fin de la décennie 80, que devenez-vous ?
Il est très difficile
de courir contre un mur plusieurs fois, à moins d’être un kamikaze. Nous avons
pendant trois ans essayé de lutter avec nos modestes moyens pour entretenir la
flamme et ce avec quelques succès à la clé. Le premier d’ailleurs était en 1989
à Bouaké en Côte d’Ivoire où nous avons représenté le Cameroun à un festival
universitaire du théâtre. J’en veux pour preuve simplement le fait que c’était
la première fois que les organisateurs donnaient la possibilité au public
d’élire les meilleurs spectacles, comédiens, troupes et metteurs en scène … Et
dire que nous y avions été invités sans être informés qu’il y aurait
compétition ! Nous nous y sommes retrouvés avec des compagnies
ouest-africaines et de la Martinique. Chaque troupe devait exécuter un
spectacle et en une seule fois. A cette période, le Théâtre universitaire avait
deux pièces : «Le testament du chien» et «Gueïdo». Une fois sur place, la
Martinique ayant désisté, nous proposons aux organisateurs de les dépanner en
jouant gratuitement une pièce de notre besace avant notre date fixée à deux
jours de la fin du festival. Ce qu’ils acceptent. La représentation du
«Testament…», a jeté un frisson sur la compétition, au point que le lendemain,
l’alors ministre ivoirien en charge de la culture Laurent Dona Fologo est monté
sur la scène pour décréter la fin de la compétition. Comme le public, il
s’était sans doute posé la question de savoir que si un spectacle de dépannage
gratuit atteint ce niveau, qu’en sera-t-il du spectacle payant ? Au lendemain
de notre 2è spectacle «Geïdo», le quotidien ivoirien Fraternité Matin titrait
«Le Cameroun et les autres».
Après donc cette expédition à succès en terre ivoirienne,
que devenez-vous ?
Pendant deux ans, nous
avons continué dans des conditions terribles car ni notre aura ni cette épopée
ivoirienne n’ont pas ramené les autorités à de meilleurs sentiments. Dans le
même temps, la plupart d’entre nous avaient terminé leurs études et certains avaient
même trouvé du travail. On était en plus devenus adultes et avions déjà des
responsabilités familiales à assurer. Je me souviens même que mon ami David
Noundji avait été affecté comme enseignant à Yokadouma. En plus donc du lâchage
de notre tutelle, il y en avait dans les ministères qui voulaient en découdre
avec nous pour des raisons qu’eux seuls peuvent expliquer. Naïfs, nous sommes
allés à la rencontre de celui qui était en charge de la troupe et qui
enseignait le théâtre à l’effet de voir comment il était possible de ramener le
comédien Noundji à Yaoundé et voici le discours qu’il nous tint : «Vous
n’êtes plus étudiant, vous voulez tromper les gens. Cela est bien fait, on va
vous démanteler complètement.»
Pouvons-nous savoir de qui il s’agit ?
Je ne voudrais pas
donner de nom, juste quelques indications : c’est un monsieur qui a occupé
de hautes fonctions au ministère de la culture, qui a enseigné et continue
d’enseigner à l’Université de Yaoundé et qui était en charge du Théâtre
universitaire anglophone qu’il avait créé.
Après ces péripéties, vous ressuscitez en quelque sorte à
Stuttgart quelques années plus loin. Comment cela s’est-il passé ?
Après cette difficile
expérience, je me suis retrouvé au chômage cinq années durant. J’avais du temps
où j’étais à l’université fait des études littéraires. Animés par la flamme
théâtrale, j’ai cependant continué malgré les affres du chômage à travailler
avec quelques fous comme François Bingono, David Noundji, feus Djapa et Tchio.
Ensemble, nous avons monté le «Théâtre international de Yaoundé» qui comprenais
également l’Italien E. Garzola, Elisabeth Meka... N’ayant pas de tuteur
financier, la situation est rapidement devenue intenable. On s’est donc
finalement dispersé. Avec Bingono, on a voulu assurer la relève et c’est ainsi
qu’on a monté une petite école de formation «Alabado théâtre» d’où sont sortis
quelques fleurons de la scène actuelle. Parallèlement, j’entre à l’Ecole
normale supérieure en 91 et en sors deux ans plus loin comme enseignant de
français. En 94, l’UNESCO lance un appel pour une bourse pour une résidence de
40 artistes de tous les genres à Stuttgart, à la Akademie Schloss Solitude. Je
candidate et sur les près de 2000 candidatures du monde entier, je suis retenu
pour cette résidence d’écriture. J’effectue le voyage en 1996.
En vrai. DR |
Pourquoi êtes-vous resté ici ?
Au bout de huit mois
de résidence, j’ai reçu une proposition de la «Theater Haus» de Stuttgart où
j’ai depuis un emploi permanent.
Quels rapports entretenez-vous avec le Cameroun au plan artistique ?
Je dois dire que je
continue d’écrire et de créer. Etant dans une autre culture qui me donne
d’autres perspectives et horizons, j’écris pour des comédiens camerounais.
David Noundji a par exemple tourné avec l’une de mes pièces au Cameroun avec
beaucoup de succès. Parallèlement à cela, les anciens du Théâtre universitaire
ont voulu recréer les spectacles qui ont fait notre fortune. Cette expérience a
fait long feu. J’y ai injecté de l’argent mais les sponsors escomptés n’ont pas
suivi. Mais je ne désespère pas parce que ce projet reste en nous et chaque
fois que nous nous rencontrons, nous avons une grosse envie de réaliser ce
projet. Nous tenons à faire revivre ces émotions d’antan aux Camerounais.
Des échos que vous avez d’ici sur le théâtre camerounais
vous rendent-ils optimistes ou pessimiste ?
Je suis optimiste
parce que la culture camerounaise est très riche ; il y existe un vivier
inépuisable de talents. Permettez que je ne cite personne pour ne pas en
frustrer davantage. Je suis de très près la scène camerounaise qui comporte des
déchets comme partout ailleurs. C’est un peu comme le foot où malgré des
talents à la réputation mondiale établie, notre football est dans les marais du
foot mondial. Je suis de ceux qui pensent que le talent ne meurt pas. Et tant
que la graine ne meurt pas, il y a espoir.
Sauf que le Cameroun n’a pas de salle de spectacle digne
de ce nom depuis les fermetures successives des cinémas. L’infrastructure
artistique dans le théâtre comme dans beaucoup de champs artistiques manque
cruellement et on a du mal à partager votre optimisme.
Pour réponse, je
rappelle simplement que lors de notre épopée ivoirienne en 1988, nous
travaillions sous les manguiers !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire