Je Carnet de route
Par Parfait
Tabapsi
A l'entrée d'Obala: l'électrification est une réalité |
Les communes de la région du Centre ont des besoins
énormes. Qui se chiffrent en milliards comme on peut le constater dans leurs
Plans communaux de développement (PCD) respectifs. Elles n’en finissent plus de
rechercher le meilleur moyen pouvant permettre à leurs populations de retrouver
enfin le chemin de la modernité. De rompre avec ce passé qui en plus de leur
coller à la peau érode le futur même d’un pays qui dans sa soif d’émergence
semble les négliger. Pauvres communes diriez-vous, mais c’est ignorer qu’elles
regorgent de fils dynamiques, déterminés à vaincre le signe indien par tous les
moyens à leur disposition.
Quand l’opportunité s’est présentée à moi de visiter
cette région qui m’héberge depuis bientôt dix ans, je n’ai pas hésité. Bien
qu’emporté par la lecture du Jeu des perles de verres, le magnifique livre de
l’Allemand Hermann Hesse, lieutenant avec d’autres du «roman d’anticipation»,
j’ai immédiatement dit oui. Même si je savais au départ que ce ne sera pas le
meilleur moyen de découvrir cet espace. Vu que pour moi, découverte rime avec
échange avec les gens simples et ordinaires. J’ai donc accepté en me disant que
cela me permettra de planter quelque jalon pour une prochaine escapade plus
préparée et plus bénéfique.
Le 12 décembre donc, j’ai commencé mon embedding. Grâce
au Programme national de développement participatif (PNDP) qui souhaitait avec
son partenaire de la Banque mondiale visiter quelques réalisations issues de
son partenariat avec les communes du Centre. Si j’avais été souvent embarqué
par le passé, je savais que cette fois sera différente, au moins parce que
j’étais parti pour trois jours de mission sur les routes d’Obala, Nkoteng,
Biyouha, Mbalmayo, Oveng, Ngomedzap, Mbankomo, Kama, etc. Et dès le premier
jour, j’ai compris qu’il fallait agir vite, garder mes sens en éveil plus qu’à
l’accoutumée et surtout parler le plus possible avec les gens ordinaires en
regardant d’un œil le déplacement du chef de mission. Pour ne pas être
abandonné, surtout que j’étais le seul journaliste ainsi embarqué.
Inauguration d'une pompe à eau pas loin de Nkoteng. |
Mon premier haut le cœur survient à Nkoteng. Pas seulement
du fait que le goudron qui y mène s’arrête peu après Mbandjock, mais du degré
de pauvreté que j’y ai vu. Pour avoir grandi à Njombé, où une grande
plantation, appartenant maintenant au groupe Bolloré, existe et m’a fait
prendre conscience très tôt des ravages de celles-ci sur les populations
autochtones, je me croyais blindé. Que nenni. A Nkoteng, j’ai croisé le visage
de la pauvreté la plus abjecte alors même que cette bourgade est située à un
jet de pierre d’une grande société industrielle, la Société sucrière du
Cameroun (SOSUCAM) pour ne pas la nommer. A l’école publique groupe 4 où nous
avons fait escale, j’ai vu des gens simples, affables mais tenaillés par une
fatalité sans nom. Dans cette cour d’école, j’ai ressenti le retard des élèves
à qui les nouvelles salles de classe faisaient plaisir, mais qui en voulaient
beaucoup plus afin que leurs conditions d’apprentissage soient encore
meilleures. Alentour, j’ai vu des torchis, des baraques cramoisies, souvent
penchées, d’où sortaient de temps à autres des gamins à l’embonpoint prononcé.
Ce qui m’a laissé croire qu’ils mangeaient au moins bien.
Que dire d’Obala que j’ai traversé par deux fois ?
Rien de nouveau si ce n’est que la ville m’a donné l’impression de grandir,
surtout maintenant qu’elle est fendue en deux par une route goudronnée. Ça
gazouille de partout, donnant du fil à retordre à un édile pourtant déterminé.
J’y ai croisé le sculpteur Eloundou que j’avais rencontré à Yaoundé il n’y pas
longtemps et nous avons parlé un peu d’art avant que je ne lui promette une
visite très bientôt. Un peu comme celle que j’ai rendu au guitariste et
compositeur Vincent Nguini en début d’année et dont les fruits ont été
présentés ici même.
A Mbankomo, je n’ai pas ressenti d’émotion
particulière. Peut-être parce que la mission s’en est limitée aux villages près
de la grande route. C’est donc sur le trajet de Biyouha que j’ai pensé à ce que
le pays pourrait être. Si j’étais écrivain, j’en aurais profité pour compiler
des éléments en vue d’écrire un roman sur ce qu’aurait été le Cameroun si la
bande des Um Nyobé avait réussi leur combat. Un peu sur le modèle du Complot contre l’Amérique écrit par
l’Américain Philip Roth et dont je repousse toujours la lecture. J’ai pensé à
cela sur la route en terre entre Boumnyébel et Biyouha. Le souvenir du
nationaliste et de ses écrits rassemblés par un fils du coin, Joseph Achille
Mbembe que j’ai rencontré pour la première fois quelques semaines plus tôt, à
Paris, m’a traversé l’esprit. J’ai alors imaginé que c’est dans ces forêts
environnantes sans doute que Um et les siens imaginaient le Cameroun et
nourrissaient leur nationalisme. Durant le trajet et malgré les nids de poule
réguliers, je n’ai cessé d’entrevoir son visage entre les arbres. Je me suis
même surpris à entendre une voix paisible, fine mais déterminée qui me semblait
être la sienne.
Une route dans la commune de Biyouha. Sans commentaire! |
A notre arrivée à Memel, une haie de conseillers
municipaux et de notables engoncés dans une tenue du parti au pouvoir m’a
quelque peu assommé tout en me réveillant. J’ai alors retrouvé mes réflexes de
reporter pour immortaliser les poignées de mains et les échanges. J’ai prêté
l’oreille et scruté les alentours. Un calme paisible avait pris possession des
lieux ; jusqu’à la mairie où les échanges ont commencé. J’ai alors
découvert un maire dynamique, épris de l’avenir de ses populations. Un certain
Paul Henri Ngué qui m’a fait bonne impression, tout sanglé qu’il était dans un
accoutrement à la gloire du président du RDPC. Son propos fourmillait de ses
tentatives d’attirer des ressources financières nouvelles pour sa localité.
Mais à la fin de la visite, j’ai eu comme l’impression qu’il n’était pas
suffisamment entouré pour mener à bien cette mission difficile. Un de ses
proches collaborateurs m’a laissé l’impression d’être en fervent disciple de
Bacchus, quand une autre en était encore au stade de l’apprentissage de la
politique. Reste le prof de philo à la retraite Archange Tonyé, ancien cadre au
ministère de la Culture, que j’ai retrouvé et qui pourrait fort utilement épauler
M. Ngué.
Ngomedzap, je la connaissais un peu à travers les
épopées d’Oncle Otsama, le personnage truculent qui a fait la notoriété ici et
ailleurs d’un fils du coin, l’humoriste Daniel Ndo. Mais du fait que je n’ai
plus écouté les histoires de ce personnage, inutile d’en rechercher la
correspondance dans la ville que j’ai traversé de part en part. Me rendant même
jusqu’à Kama. Ici comme ailleurs, les besoins sont énormes. Le nouvel exécutif
communal mené par l’enseignant Tobias Ndjié Mveng prend encore ses marques. La
bourgade quant à elle respire une ville coloniale, avec ses anciennes bâtisses
et ses comptoirs d’achat de cacao dont les vestiges sont encore présents. L’un
des grands défis ici, surtout pour les villages situés loin de la route
principale, c’est le désengorgement, les voies de communication pour être bref.
Les terres, m’ont assuré les populations, sont encore «en bonne santé» et les
forces pour les cultiver d’attaque. Reste à les motiver en stimulant d’un côté
les productions de cultures vivrières ou de rente, et de l’autre en
réaménageant les routes existantes et en en créant d’autres.
Devant la mairie de Ngomedzap. |
La région du Centre, je l’ai donc traversé, rejoignant
ses extrémités. J’y ai découvert des gens simples, accueillants, travailleurs,
motivés, déterminés à aller bien loin. Ceux qui dans les bureaux à Yaoundé
décident du sort du pays profond devraient souvent y faire des descentes,
discuter avec les populations qui, bien souvent, n’attendent pas des miracles
mais réclament considération. Je suis rentré à Yaoundé plus humble face aux
tracas et pesanteurs que surmontent des gens démunies pour donner un sens à
leur avenir, à leur destin. J’y ai vu le capitalisme dans sa splendeur
dévastatrice pour les riverains. J’y ai croisé le regard hagard d’enfants
délaissés mais contents d’aller à l’école. J’y ai croisé des édiles besogneux
et ouverts. Une mayonnaise qui ne prendra que si l’Etat, c’est-à-dire ceux en
charge de le diriger, décidait d’agir efficacement. Car dans ces villages
résonne encore ce que le sociologue Jean-Marc Ela d’heureuse mémoire appelait
«le cri de l’homme africain». Un homme de compromis certes, mais un homme fier
et digne.
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