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mardi 14 janvier 2014

Alexander Koch présente les «Nouveaux commanditaires»

Innovation Arts plastiques

Alexander Koch.
C’est dans la cour de Doual’art, en marge du Salon urbain de Douala (SUD 2013), que ce curateur allemand nous a expliqué les ressorts d’un concept qui tente d’investir l’Afrique.

Comment vient au monde ce concept ?
L’artiste plasticien belge François Hers a cherché pendant longtemps un autre modèle pour créer des liens dans la réalité sociale, la responsabilité des gens et la création culturelle. Il était clair depuis longtemps que ce rapprochement était nécessaire. Il y a même aujourd’hui toute une histoire de l’art participatif pour répondre à cette exigence. Hers avait trouvé qu’il y avait un problème avec l’approche suivant laquelle ce sont les artistes qui vont vers la société. C’est-à-dire qu’on est toujours dans une structure de l’offre (compétence, création) ; les citoyens n’ayant guère la possibilité d’aller vers les artistes pour articuler une démarche. La question qui se pose dès lors c’est : comment peut-on créer un modèle, une pratique qui permet au citoyen et à toute personne d’articuler une démarche basée sur leurs désirs, besoins, urgences, conflits, rêves, etc. ?
Et c’est la recherche des réponses qui a abouti à cette trouvaille j’imagine. Comment dès lors s’opérationnalise-t-elle ?
Le modèle «Nouveaux commanditaires» offre une réponse qui est un réseau de médiateurs culturels indépendants et qui rentre en contact avec les individus, c’est-à-dire plus précisément qu’ils reçoivent des demandes, de vagues idées des gens qu’ils rencontrent dans leurs univers respectifs. Ils rentrent dans un échange avec les gens avec pour but de développer une compréhension plus profonde de ce que veulent les gens, afin de pouvoir finalement choisir un art qui sera proposé pour une commande précise. A un moment donné donc, il y a une phrase ou deux sur les exigences que souhaitent les gens sur les œuvres à implanter chez eux. Cette procédure permet aux gens d’entrer en collaboration avec des artistes expérimentés, et donc de participer avec une plus grande responsabilité dans la production culturelle de nos jours. Cette approche permet aussi d’éviter des préjugés de la part des commissaires ou institutions d’art sur les besoins des gens et de faire un choix d’artistes et de médiums idoines. En conséquence, il y a toutes les pratiques culturelles qui sont inhérentes à la pratique du programme «Nouveaux commanditaires» et qui vont de l’architecture aux arts plastiques en passant par la musique, le théâtre, la littérature, le cinéma, la danse, etc.
Quelles est l’étape suivante ?
L’artiste choisi va à la rencontre des commanditaires et après un échange, il va développer un projet qu’il va proposer. C’est la première phase qui est en soit très intéressante parce que souvent il y a un processus de compréhension/négociation entre l’artiste et le commanditaire car ils appartiennent souvent à des réalités différentes. Il y a une nécessité, mais également une occasion de créer une relation de confiance et de collaboration qui normalement n’existerait pas. La proposition peut subir des amendements pour l’affiner. Une fois tout le monde d’accord,  la 2è phase qui est la réalisation commence, avec l’accompagnement du médiateur qui va aider à trouver des financements. Une 3è phase existe qui est la prise de responsabilité des commanditaires sur l’œuvre à travers notamment la médiation envers leurs connaissances. Ce programme encourage ainsi les gens à comprendre une production culturelle comme un élément de la vie en société.
Quels sont les résultats de la matérialisation de ce concept à ce jour ?
Le 1er travail de médiation a commencé en France il y a 20 ans. Avec son bon fonctionnement, d’autres pays européens sont entrés dans la danse, au point d’être une bonne douzaine aujourd’hui. Plus de 100 projets basés sur des décisions prises entièrement par des acteurs locaux ont été réalisés. En 2007, nous avons initié le chapitre d’Allemagne, et avons déjà réalisé trois projets ; plusieurs autres sont en cours. En 2012, je me suis posé la question de l’exportation de ce programme sous d’autres cieux. Où l’on recherche un développement de la société civile en même temps qu’un développement culturel. Après le Nigéria et l’Afrique du Sud, je suis au Cameroun avec cette proposition comme une contribution au débat sur le rôle et la place de l’art dans la société. Je serai content de partager mon expérience et de collaborer dans le cadre de ce réseau international de médiateurs.

Recueillis par Parfait Tabapsi à Douala

Exorcisme au lycée

Cinéma

Les acteurs amateurs à l'issue de la projection de Yaoundé. 
Rendez-vous avec les morts, après une longue parturition, nous promène dans les méandres d’un interdit brisé par la curiosité de lycéens déterminés et joyeux.
La curiosité, voilà une notion pour le moins polysémique, surtout quand il s’agit des ados. Sauf que depuis les exploits des grands explorateurs européens hier et des journalistes aujourd’hui, on sait combien elle est importante pour le salut de l’humanité en général. C’est ainsi que lorsque de jeunes lycéens sont sommés par leurs enseignants de ne point faire valoir leur curiosité jusqu’à un certain endroit de l’établissement, ils ne peuvent que refuser d’obtempérer. Avec toutes les conséquences qui peuvent en découler. Car à la curiosité, il faut ajouter l’interdit. Deux notions aux antipodes de la vie des ados d’aujourd’hui.
Pour sa première au cinéma, la jeune Matilda Serna a choisi de s’appuyer sur ces deux notions pour donner corps à ses idées. Ce qui, au final s’avère avoir été un cocktail intéressant. Le 21 décembre dernier lors de la projection de Rendez-vous avec les morts –c’est le titre du film- à l’IFC de Yaoundé, le public venu nombreux a consommé l’œuvre avec un appétit parfois bruyant, preuve que la scénariste avait vu juste. Les trois cinéastes aussi. Dans la mesure où durant deux heures, on ne s’ennuie guère. Si la joie des acteurs –tous amateurs et au sein desquels quelques pépites ont éclos comme Julien Bahel ou Prudence Madji- a su ainsi contaminer le public, c’est que l’affaire était bien ficelée au départ. Ce qui n’est pas si étrange que ça vu que ce projet a d’abord épousé la forme de la représentation théâtrale. Avec une réception à l’époque tout aussi intéressante.
Si ce film qui, durant sa tournée dans le sud du pays, a su satisfaire les foules venues en masse, c’est que les ingrédients ont été bons. L’histoire d’abord qui met en scène des étudiants déterminés à briser un interdit pour satisfaire leur curiosité. Interdits en effet de descendre au sous-sol de l’établissement où règnerait une âme damnée, nos braves ados ne s’en verront que plus attirés par cet endroit. Où dort une partie de l’histoire de leur lycée qui des décennies plus tôt avait été incendiée par une de leurs devancières, soupçonnée à raison d’avoir eu des relations amoureuses –autre interdit- avec son enseignant. Et pour parvenir à cette découverte finale, le réalisateur a su bien agencer les scènes in et out. Aidé en cela par des acteurs déterminés et passionnés. Qui dans leur déploiement scénique ont donné plus que le meilleur. Danses urbaines et traditionnelles ont ainsi nappé une œuvre structurée en tableaux. Et même si le son n’a pas paru uniforme pour les oreilles exercées, le résultat est plus que satisfaisant. Et ce même si la fin a constitué le point faible du film avec un prolongement inexpliqué. Il ne reste plus cependant qu’à souhaiter une plus grande diffusion, surtout en direction des lycéens d’ici et d’ailleurs. Cela pourrait les aider à étendre leurs possibilités artistiques et scolaires.

Rendez-vous avec les morts de  Joseph Pascal Mbarga, Julien Willy Nkiam et Rocco Serna Mattia, 120 min, avec Elena Matilda Serna, Bellange Prudence Madi, Julien Hervé Bahel, David Noundji, Alice Mahop ; produit par Rue 1113
P.T.

Aux sources du projet 
Matilda Serna et les comédiens David Noundji et
Maryse Bonny à la première de Yaoundé (de G. à D.)
Il y a cinq ans, la jeune Serna Elena Matilda, qui en a 20 aujourd’hui, écrit un texte, pensé pour le cinéma, qu’elle intitule Rendez-vous avec les morts. En avril 2009, le Centre Italien (CI) de Yaoundé lui demande de l’adapter pour le théâtre afin que les élèves du centre puissent la représenter en italien. Elle traduit donc son oeuvre du français à l’italien et la pièce est présentée le 11 juin 2009 au centre culturel Petit Tam-tam de Yaoundé. Partiellement satisfaite du résultat, Matilda, qui veut que la danse ait une très grande importance dans sa pièce, décide de représenter Rendez-vous avec les morts en français et avec des vrais danseurs. L’aventure commence vers la mi-septembre 2009 : grâce au « bouche-à-oreille », une vingtaine de danseurs semi-professionnels, venant pour la plupart de la réalité hip-hop de Yaoundé, accepte de faire partie du projet, ainsi que quelques élèves du CI et du Lycée français Fustel de Coulanges, camarades de Matilda. Vers la mi-octobre, David Noundji, un comédien professionnel expérimenté intègre la troupe, qui s’est donné entre-temps le nom de Rue 1113, tiré de celui de la rue où il y a la maison auprès de laquelle se déroulent les répétitions tous les mercredis, samedis et dimanches. Avec de l’acharnement, de la confiance et un grand professionnalisme, Noundji accomplit un petit miracle : la comédie musicale Rendez-vous avec les morts, la première dans son genre jamais réalisée au Cameroun et par des artistes Camerounais, est représentée le 15 décembre 2009 au Centre culturel français de Yaoundé, à guichets fermés. Le début d’une aventure qui connaît une nouvelle étape avec ce film.
(Source dossier de presse)


Richard Bona, salsa symphony !

Concert musique

Le bassiste et compositeur de génie a gratifié le public de Yaoundé d’un spectacle de haut niveau malgré les insuffisances de l’organisation.
Cette année encore, elle a remis ça ! Après une première inaboutie en 2013, l’association Trait d’union a une fois de plus mis à contribution Richard Bona. Pour deux dates à Douala et à Yaoundé. Qui ne resteront pas dans les annales, surtout pour la 2è date qui aura souffert des mêmes tares que le concert de l’année dernière dans la même salle du Palais des congrès pris d’assaut par des mélomanes plutôt sages. Tenez donc, cette fois encore, l’on a eu droit au retard camerounais de près de deux heures. Et comme si cela ne suffisait pas, l’acoustique a encore fait un malheur, pas du même acabit que la dernière fois, mais au point que le guest du jour a dû faire savoir son courroux en suppliant les autorités de faire en sorte que lui et ses pairs n’aient plus à essuyer pareille frustration les prochaines fois, eux qui adorent venir jouer au bercail à la première occasion ou presque.
A part cela, et ce n’est pas mince, l’on eût droit à un Bona des grands soirs. Un enchanteur qui a su pénétrer les cœurs avec son jeu à partir d’un répertoire connu. Pour cette fois, le public venu nombreux, eût droit à une déclinaison latino que Richard butine depuis son premier opus en 199. Entouré de six musiciens (deux cuivres, un keyboard, deux percus, un batteur) le fils de Minta a tenu son rang. Avec manière et élégance. Soulevant des applaudissements d’un public qui ne se privât point de reprendre maints refrains sans toutefois pousser plus loin son exubérance. Une sagesse qui a sans doute blessé un héros qui a pourtant tout fait pour qu’il en soit autrement, terminant même son show de 90 minutes part un medley (It’s all right de Ndédi Dibango et Nen Lambo de Bill Loko, deux tubes de makossa des années 80).
Une reprise qui a affiché les limites du genre makossa sur le plan esthétique vu que ces hits d’antan, exécutés à la suite de compositions plus enlevées et complexes, et non moins pénétrantes et entraînantes, a affiché toute sa pauvreté. Oui ce makossa-là tel qu’il se fit entendre ce soir du 21 décembre à Yaoundé n’est pas de ces musiques pouvant faire décrocher la timbale. A moins qu’il ne soit travaillé par des orfèvres de studio comme Guillaume Toto.
Mais avant ce final très dansant au demeurant, Bona et son Mandekan Cubano, c’est le nom de l’orchestre, a fait parler la musique. Avec le souci de ne laisser aucune note à l’abordage, revisitant des thèmes connus et souvent aux antipodes de la salsa comme Mut’Esukudu ou Uprising of kindness avec une application et une pureté remarquables. Que dire alors des thèmes plus proches comme Te Dikalo, Muntula Moto, O sen sen sen ou Ekwa Muato ? Un regard esthétique qui a frisé le nirvana tant le groupe, qui est sur les routes depuis près de deux ans, a su trouver les ressorts dans son jeu pour clouer le public sur son siège. Lui laissant simplement l’occasion d’apprécier, de bien apprécier. Pour le reste, Richard aura été égal à lui-même, usant de son fameux solo vocal qui a exhalé une composition jusque-là inconnue des mélomanes présents. En un mot comme en mille, c’est un père noël avant l’heure qui a enchanté le public de Yaoundé. Avant, il l’a promis, de nouvelles retrouvailles dans cette ville où il a beaucoup d’amis et de la famille.

Parfait Tabapsi 

Paris: Aux sources du Kelin kelin Orchestra

Musique

Brice Wassy (à gauche) et JJ Elangué.
Monté par Brice Wassy et Jean-Jacques Elangué, cette bande de gais lurons travaille depuis deux ans à valoriser le patrimoine africain à une nouvelle sauce.
C’est en face du New Morning, antre du jazz par excellence à Paris, que nous avons rencontré, en ce mois d’octobre 2013, les deux piliers du Kelin Kelin Orchestra (KKO). Brice Wassy et Jean-Jacques Elangué nous avaient en effet donné rendez-vous ici au lendemain de deux soirées magnifiques au Baiser Salé, quelques stations de métro plus loin la semaine précédente. Où nous avions alors découvert en live la prestation d’un band d’une dizaine d’éléments monté par les deux compères en 2011. Plus précisément depuis le 17 novembre et la première répétition.
C’était alors le début de l’accomplissement d’un rêve pour le batteur Wassy. Qui après avoir presté sur les scènes du monde avec les plus grands (Manu Dibango, Salif Keita, notamment) et sur trois décennies nourrissait un vieux projet : monter une mayonnaise musicale à travers des instrumentistes de haut vol pouvant revisiter les standards africains à la sauce africaine. S’il commença avec African Rythm Orchestra pour quelques années, c’est visiblement avec ce KKO qu’il semble se rapprocher au plus près de son rêve. Une sorte d’aboutissement qu’il doit en grande partie au saxophoniste Elangué. Qui a répondu à l’appel de son aîné «une fois que j’avais senti que j’étais prêt pour cette nouvelle aventure». Ce qui ne fut pas une mince décision pour celui qui a également bourlingué avec les plus grands du continent, et qui s’apprêtait à prendre l’avion le lendemain de notre rencontre pour l’Amérique du Sud dans le cadre d’une tournée avec le Nigérian Tony Allen, le dépositaire rythmique de l’afrobeat depuis la mort de son concepteur Fela.
La tête de pont ainsi constituée, restait à trouver l’équipage de ce nouveau voyage. Avec pour feuille de route l’idée d’un big bang à forte coloration africaine. «On souhaitait trouver des musiciens non pour faire du classique, mais qui pouvaient s’adapter à cette nouvelle écriture, chacun avec son instrument. Qui pouvaient contribuer à réinventer les sonorités traditionnelles de chez nous et explorer nos imaginaires», précise Elangué. Un peu dans la lignée des grands orchestres qui firent par le passé honneur à l’Afrique comme le Mbebeya Jazz de Conakry ou le OK Jazz et l’African Jazz de Kinshasa. D’emblée, le recrutement pouvait paraître aisé en ce Paris où les musiciens au sang africain foisonnent. Sauf qu’il fallait convaincre ceux qu’on avait sélectionnés au préalable et jauger leur goût pour l’aventure. Au bout de moult rencontres, une équipe s’est dégagée malgré quelques pointures ayant refusé la proposition.
Depuis plus d’un an maintenant, cette joyeuse bande parcourt les festivals en France. Où elle distille une musique où les cuivres ont l’occasion de se déployer sur des rythmes africains, et même souvent de la diaspora noire. Elle qui revisite les standards du continent. Avec au bout l’objectif de «Créer, entre la modernité présumée et le patrimoine enfoui, une passerelle où l’on aurait une autre manière d’écouter une Afrique qui sait d’où elle vient et n’a pas fini d’être moderne !», explique Wassy. A voir l’engouement du public lors de leurs sorties, le pari est en passe d’être gagné. Quoique la locomotive pense que le satisfecit ne sera complet qu’avec une reconnaissance sur les terres d’Afrique. C’est ici le lieu de préciser que le projet Kelin Kelin Orchestra va au-delà de la scène pure. «En étant dans la transcription des standards, explique Elangué, nous voulons également faire savoir que la transmission nous tient à cœur. Nous avons ainsi prévu un côté académique qui se décline en workshops et ateliers sur le continent avec des musiciens du cru». Histoire de partager en plus de la musique une expérience épaisse et valeureuse. Wassy ajoute qu’ils sont également prêts à travailler avec des fanfares qui pullulent sur le continent, car «une passerelle est possible et peut donner des étincelles».
Constitué d’une section cuivre de sept éléments ainsi que d’un batteur, d’un percussionniste, d’un pianiste et d’un bassiste, le KKO voudrait s’exprimer sur la terre d’Afrique pour peu que de bonnes volontés décident de lui ouvrir leurs bras. Si des vidéos sont disponibles sur la toile, le groupe prépare un album pour très bientôt, car «c’est un passage obligé pour toucher plus de monde». En attendant, les scènes festivalières autour de Paris dégustent avec un certain appétit cette nouvelle proposition qui donne à voir une Afrique nouvelle.

Parfait Tabapsi à Paris