Portrait musique
Pour
une première à Yaoundé, le marché des musiques africaines dénommé Le Kolatier a
tenu son pari. Propulsant son promoteur sous les feux des projecteurs. Lui qui
depuis près de trois décennies travaille au mieux-être des musiques
camerounaises et de la sous-région. Retour sur un parcours mouvementé.
En compagnie du président du Conseil francophone de la chanson. |
Par
Parfait Tabapsi
C’est un Luc Yatchokeu
rasséréné que nous avons retrouvé à Yaoundé le 14 novembre dernier. Près de
deux semaines après la clôture de la première vraie édition du Kolatier à
Yaoundé. Dans le restaurant de l’IFC, il pouvait se laisser aller, se libérer
enfin après moult péripéties dues à la bonne organisation d’un événement qui
s’était tenu jusque-là dans son fief de Douala. Où depuis près de trente ans il
tente de faire aimer la musique, la «bonne» à ses compatriotes. Engagé qu’il
est dans un jeu sans filet pour un art qui est partout présent au Cameroun,
mais dont la bonne graine tarde à attirer le grand public plus porté sur
l’éphémère, le rythme désordonné et les compositions sans relief.
Si Yatchokeu nous est paru
si serein, c’est que Yaoundé semble avoir définitivement déraciné le Kolatier
de son antre fétiche de Douala. Où depuis 1999, ce marché des musiques
africaines essaie d’inculquer aux mélomanes les sonorités des étoiles montantes
en expression aussi bien au Cameroun qu’en Afrique de manière générale. Avec ce
rendez-vous 2013, deux événements ont redonné à la vigueur à un promoteur qui
quelques semaines auparavant cherchait le meilleur moyen de passer le témoin.
Fatigué qu’il était d’avoir l’impression d’être mal compris des institutions
camerounaises en charge de la culture. Il y a donc eu ce coup de main du chef
de l’Etat qui a tenu à ajouter son grain de sel dans cette sauce déjà bien
épaisse. Ensuite, il y a que le Kolatier avait été choisi par le Bureau export
de la musique africaine (BEMA) pour porter la première édition du Salon international
de la musique africaine (SIMA). Deux coups du destin qui n’ont pas été pour peu
dans la réussite de cet événement dont les échos continuent à l’heure même de
résonner dans la presse camerounaise et africaine. Un vrai défi relevé avec
tact et manière et dont les origines remontent à très loin, aussi bien dans
l’espace que dans le temps.
L’amour de la musique chez
Yatchokeu remonte en effet au temps des culottes dans la localité de Mbanga, à
une heure de route de Douala. En ce début des années 60, le jeune garçon
découvre la musique par sa mère, membre d’une chorale. Lors des répétitions et
des offices religieux, il apprend ainsi à la connaître, à se laisser «habiter»
par elle. Il se souvient qu’à l’époque, il était «très intéressé». Surtout
quand, arrivé au lycée, il découvre les artistes de la diaspora. S’il s’initie
bien au balafon et à la guitare, il ne jouera d’aucun instrument. Ce qui ne
l’empêche pas d’intégrer le club musique du lycée. Lui qui n’en finit plus de
dépenser ses maigres économies pour s’acheter des 33 et 45 tours, et plus tard
des cassettes. «A l’époque, mes préférés étaient Cat Stevens, Joe Cocker et
Francis Bebey», se souvient celui qui reprend les refrains sans discontinuer.
Ce qui ne l’empêche pas de mener ses études jusqu’à leur terme, histoire de ne
pas fâcher ses parents ou son tuteur de Douala farouchement opposés à son envie
de faire de la musique une compagne de route.
«Café
central»
Son diplôme de comptable en
poche, il se lance dans la vie active. Et trouve rapidement un emploi dans un
groupe hôtelier et en devient même l’un des responsables. En ce début des
années 80 où la crise ne se fait pas encore sentir, les affaires marchent. Et
brusquement, les chiffres baissent. «C’est alors qu’avec mes patrons, nous
avons pensé à monter un orchestre pour notre café-restaurant. Et là, ma passion
me revient !» Il faut trouver des musiciens, les manager, résoudre des
problèmes d’intendance, etc. Retour donc aux premières amours, avec à la clé
une entente avec les artistes. Toutes les stars du moment passeront donc par le
«Café central» en plein cœur du quartier des affaires Akwa, pas loin de la
Place des portiques. «Je me souviens
encore que c’est dans notre café qu’Elvis Kemayo, devenu animateur à la
télévision nationale, venait signer les contrats avec les artistes qui allaient
passer dans son émission très prisée». Tout cela ravive la flamme et pousse
Yatchokeu à s’investir d’avantage. Il crée alors le label CECADINE (Centre
camerounais de diffusion et de négoce) qui tente de marier art et business. Il
devient aussi producteur avec un premier 33 tours signée Marthe Zambo et qui a
pour titre «Anga Jo». «Mon souci alors est de faire connaître les artistes
ayant un talent certain, mais passés sous silence par une conjoncture
spéciale». Il s’accroche, demande conseil à Claude Tchemeni d’Ebobolo Fia qui
signe les grosses pointures à Yaoundé.
Ce faisant, il apprend le
métier de producteur. Avec au bout un peu d’amertume, vu que le disque de
Zambo, pourtant d’une qualité sonore et musicale remarquable, n’accroche pas le
public. Il est désemparé, déçu, mais n’abdique pas. Il se dit alors que si les
albums ne marchent pas, peut-être que la scène ira mieux. Il imagine donc une
série de concerts à Douala et Yaoundé «pour montrer qu’il y a des talents qui
peuvent inspirer la jeunesse. J’invite de grosses pointures comme Marthe Zambo,
Pierre Tchana et met à leur disposition du matériel de pointe pour la
sonorisation». Mais une fois encore, le succès n’est pas au rendez-vous et
l’étape de Yaoundé est annulée.
Epuisé, ce pèlerin de la
bonne musique puise en lui-même les ressources pour rebondir malgré que la
mayonnaise de son modèle économique tarde à prendre. Adieu le show bizz. «Je
savais qu’il y avait quelque chose à faire. Après réflexion, j’ai décidé de
m’investir dorénavant par le moyen de l’association. C’est ainsi que j’en ai
créé une pour la professionnels de la musique dénommée ‘Cigale’». C’est
l’occasion, pense-t-il, pour les cabaretiers, journalistes et autres
producteurs de se retrouver pour déblayer le meilleur chemin à la musique. Ce
sera un nouvel échec. En cette moitié des années 90, les gens ont plutôt la
tête ailleurs. Mais Yatchokeu s’entête et décide de faire un tour au Marché des
arts et spectacles africaines (MASA) par ses propres moyens et où il prend un
stand pour exposer les acteurs de la filière musicale au Cameroun. Il en
profite pour nouer des contacts et pense à s’ouvrir au monde. L’année d’après,
1998, il décide d’aller au Marché international des musiques (MIDEM) de Cannes.
Joe Mboulé qui est le responsable continental du Conseil francophone de la
chanson (CFC) lui apporte son soutien. Il y découvrira un événement qui attire
11.000 personnes avec plus de 600 stands dédiés à la musique. Il y découvre
qu’il existe dans nombre de pays européens des centres d’information et de
documentation musicales. Il agrège contacts, se documente et ouvre le centre
camerounais à son retour. Il essaie d’attirer du monde en vain. Sauf peut-être
cette consoeur du Messager, Danielle Nomba, qui passe de temps en temps
chercher de la documentation pour son travail.
Constantin
Chiriac
Il ferme le centre et ouvre
un autre chantier, celui du Rassemblement des professionnels d’Afrique centrale
(REPAC) qui portera plus tard le Kolatier. Avec quelques irréductibles, il se
lance dans la sensibilisation du public à travers des table-rondes et autres
conférences sur la musique. Déjà, un contact rencontré au MASA se manifeste.
C’est un Roumain qui dirige un festival de théâtre dans son pays. Constantin
Chiriac l’invite et une fois sur place, le Camerounais découvre d’autres
possibilités artistiques et propose un dialogue entre les deux pays. Une
convention est signée et Donny Elwood choisi pour y aller en 2002.
Malheureusement, du fait des problèmes de visa, il sera recalé à Paris. L’année
suivante, Yatchokeu initie la «Bourse des spectacles d’Afrique centrale», un
peu sous le même format que celle de Sibuu en Roumanie et qui se tient en marge
du Festival des voix de femmes Masao porté par son ami Théophile Bouma Bissa.
Cette fois, la mayonnaise prend et certaines institutions comme la Francophonie
se renseignent. Suivant la convention d’avec Chiriac, d’autres artistes du
Cameroun (Black Roots), du Tchad (Tibesti) feront le voyage de Sibuu où verra
le jour «une tricherie» sur leurs cachets. Fort de cela, yatchokeu met un terme
à la convention. «Il faut dire que les artistes ne m’ont pas beaucoup aidé à ce
moment-là. Je leur avais demandé de me tenir au courant de leurs échanges avec
les opérateurs, mais ce ne fut pas le cas. Mais si j’avais eu des soutiens,
notamment de la part de mon pays, j’aurais continué. Car je voulais ouvrir
l’Afrique centrale au monde, et tout seul, cela devenait pénible», se
souvient-il.
La scène finale du Kolatier 2013 |
Toujours en 2003, il prend
langue avec le Conseil international de la musique (CIM) et en devient membre
au nom du Cameroun et à travers l’association «cigale». En 2009, le Conseil
camerounais de la musique est né, à l’effet de «travailler pour le
développement de la musique». En 2010, le CIM tient la réunion de son bureau
exécutif à Douala en marge du Kolatier. Une première sur le continent en plus
de 60 ans d’existence. Cette même année, Yatchokeu devient le premier Africain
à siéger à l’European forum of worldwide music festivals. Il rejoindra
également le conseil d’administration du CFC et le comité de pilotage de la
Africa festivals network (AFRIFESNET), «un réseau mis sur pied pour permettre
aux festivals africains d’être de véritables acteurs du développement».
D’autres reconnaissances suivront. Ce qui constituera son carburant pour la
suite. Lui qui avoue disposer de nombreux projets dans les tiroirs et qui
souhaite mettre son expertise sur 25 ans au service de ses compatriotes pour
peu que son pays lui en donne les moyens. Des propositions ont été soumis à la
sanction du ministère des Arts. En attendant, celui qui estime que c’est Dieu
qui lui a ouvert le chemin de la musique savoure cette première réussie du
Kolatier à Yaoundé et travaille avec son équipe pour faire mieux dans deux ans,
toujours à Yaoundé.
Repères
03.11.1957 : naissance
à Mbanga
1987 : production de
«Anga Jo» de Marthe Zambo
1997 : 1ère
participation au MASA
1999 : création du
REPAC
2004 : adhésion au
Conseil international de la musique
2009 : création du
Conseil camerounais de la musique
2013 : organisation du
1er salon international de la musique à Yaoundé
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