Portrait musique
A Paris dans les studias d'Africa N°1. |
Malgré
son départ en 1949 et de nombreux échecs lors de ses multiples retours, ce
poly-instrumentiste continue de chanter son pays natal. Et à 80 ans, il réclame
avec conviction un conservatoire pour sauver les talents qui s’y trouvent.
Manu Dibango est un géant.
Au propre comme au figuré. Et quand vous le croisez en dehors des sunlights, il
vous apparaît plus grand encore. A le voir assis, on a même l’impression qu’il
est une force de la nature. Toujours hilare, il aime d’habitude parsemer les
échanges d’un fou rire qui, au fil des ans, est devenu une identité remarquable
de sa personnalité publique. Dans les locaux de la radio panafricaine Africa
n°1, sis rue Faubourg Saint Antoine à deux pas de la Place de la Bastille, où
il nous reçoit à Paris en cette après-midi du 22 octobre 2013, il a perdu ce
tic. Il semble plus en colère. Une colère rentrée qu’il ne partagera qu’avec
nous et pas avec les auditeurs avec qui il a un rendez-vous hebdomadaire.
Et s’il s’adresse aux
auditeurs du continent et de sa diaspora à qui il parle des musiques d’Afrique,
il n’en demeure pas moins foncièrement camerounais. Arrivé en France après la
2è Guerre mondiale pour poursuivre ses études, il continue de marteler qu’il
n’a pas changé. «J’aime le Cameroun, et après, il y a ce qui est dans ce pays
et qui va du malus au bonus !». Il insiste pour dire à l’occasion qu’il
n’est pas «un musicien camerounais. Je suis un musicien d’origine camerounaise.
Ça me permet de ne pas avoir la charge d’être responsable de quelque chose où
je ne devais pas l’être. Je suis un peintre qui se sert des couleurs. En
restant musicien d’origine camerounaise, j’ai ma liberté de peintre»,
argumente-t-il.
Son rapport avec le Cameroun
dans sa carrière commence en 1963. Installé à Kinshasa, où il avait ouvert un
cabaret, il décide de rentrer au bercail sous le conseil de son père. A Douala,
il ouvre un autre cabaret. Qui fera long feu, du fait, explique-t-il dans un
livre-interview paru il y a une vingtaine d’années, du non-respect des règles
de gestion et de l’envahissement de la famille. Ruiné, il repartira en France.
Pour revenir au début de la décennie suivante. C’est chez ses parents à Douala
qu’il goupille son succès planétaire ‘Soul Makossa’ en effet. Un titre qui au
départ devait meubler la face B du disque commandé par l’Etat comme hymne pour
la coupe d’Afrique des nations de football qu’organise alors le Cameroun en
1972.
Conservatoire
Ce succès, loin de
l’éloigner de son pays, va l’y ramener moins d’une décennie plus tard. Cette fois,
il s’installe à Yaoundé où il ouvre un autre cabaret. Nouvel échec. Un peu
comme si la terre natale ne voulait pas de lui. De cette période, il dit ne pas
garder d’amertume et dès qu’il se rend à Yaoundé, comme il y a quelques
semaines, il rend visite à des amis avec qui il parle du bon temps.
Dernièrement, il dit avoir rencontré le président de la République à qui il a
confié, sur le ton d’une boutade : «M. le président, on danse beaucoup au
Cameroun». Une façon à lui de mettre en garde contre la dérive jouissive du
corps social qui tend à faire son lit, mais également sur la nécessité
d’encadrer ces talents qui n’en finissent plus de poindre. Il dit avoir eu
l’oreille de son illustre interlocuteur qui a d’ailleurs demandé à ses
collaborateurs de prendre note. Il rappelle au passage et pour
l’histoire : «Je me souviens de mon retour au Cameroun le 6 janvier
1963 ; c’était un dimanche. Le lendemain, je suis allé voir Mouasso Priso
qui était à la radio avec Jacques Ndicki et, au cours de l’interview, j’ai dit
qu’il fallait ouvrir un conservatoire chez nous. Et là on est en 2013 !»
En compagnie de son biographe Gaston Kelman. |
Il espère que l’Etat viendra
un jour à résipiscence et ouvrira «au moins un conservatoire. Il nous en manque
et c’est bien à l’Etat de le faire, par ce que si les privés s’en chargent,
très peu d’élèves de classes moyenne pourront y séjourner du fait de la cherté
de la scolarité». Il le dit avec sérieux, ajustant ses lunettes de soleil sur
un visage plutôt triste. Et ce même s’il reconnaît que «la culture [lui] pose
problème. Je ne sais pas s’il y a un projet». Un projet du type «Fleurs
musicales du Cameroun», du nom d’un disque paru il y a 30 ans. Et qui
rassemblait la crème des musiciens camerounais du moment dans un double disque
à succès. Une idée de Guillaume Bwelé, ministre de la Culture d’alors. «On a
fait les artistes qu’il y avait à l’époque. Et si certains ont disparu depuis,
il y a au moins une trace. Mais où en est-on avec le 2è point ? Y a-t-il
un projet dans ce sens ?»
Des questions qui signifient
son spleen pour un pays qu’il porte toujours dans son cœur et dans son carquois
artistique. Un pays pour lequel il continue d’être un ambassadeur. Lui qui
persiste à chanter en langue douala, «par ce que je pense que c’est à partir
d’elle que je fais la musique. C’est cette langue qui me donne le son». Tout
comme la ligne rythmique de son orchestre depuis 20 ans repose sur des
musiciens camerounais. Dans quelques jours, il sera à Yaoundé avec sa famille.
Peut-être qu’à l’occasion, il aura une réponse à ses questions. Ou pas. Mais
pour lui, la vie continuera, empêtré qu’il est en ce moment dans la tournée de
ses 80 ans. Une tournée qui ne passera pas par le bercail où il veut éviter de
«faire le concert de trop».
Parfait Tabapsi à Paris
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