Je
revendique mon africanité
De
passage au bercail, la chanteuse évoque sa carrière et ses combats.
Vous
êtes à Yaoundé dans le cadre d’une action caritative en direction des enfants
via le Rotary. Comment en êtes-vous venu à rejoindre ce projet ?
Pour moi, c’est un élan de
charité et de solidarité exprimé par le Rotary qui m’a simplement contacté et
convaincu. Je me suis alors dit pourquoi ne pas m’investir dans cette
initiative vu que je ne suis pas qu’une chanteuse. Je vais donc donner de ma
personne pour aider les enfants.
N’avez-vous
pas peur que cette invitation ne soit un couteau à double tranchant pour vous
dans la mesure où le Rotary charrie un certain nombre de commentaires pas
toujours amènes ?
Oui j’en ai entendu
parler. Mais je ne fais pas de politique, je ne suis guère là pour juger les
uns et les autres. Il m’a été présenté un projet et je me contente d’y adhérer.
Je ne fais point partie du Rotary, je n’en suis pas membre. J’espère que les
gens vont être suffisamment lucides pour faire la part des choses. Je rappelle
que dans cette opération, ce n’est pas le Rotary que je défends, mais une cause
que porte le Rotary.
En quoi
consiste concrètement votre action dans cette opération ?
Mon action consiste à
convaincre les gens à venir aux deux concerts que je vais donner les 8 et 9
juin respectivement au Palais des congrès de Yaoundé et à Douala Bercy. Les
fonds de ces concerts seront reversés au Rotary pour l’aider à construire cette
maison de l’enfance.
On
subodore déjà qu’il y aura du monde comme lors de vos récents passages …
(elle coupe) Mon
implication dans ce projet est un moyen pour moi d’interpeller mes fans dans
leur devoir citoyen de venir en aide aux plus démunis. Toute seule, je ne
pourrais pas y parvenir. Je veux que le public contribue aussi à cette chaîne
de solidarité qui sous-tend ce projet. L’histoire retiendra que chacun en
déboursant une somme pour un ticket d’entrée au spectacle, aura contribué à l’édification
de cette maison.
A
chaque concert depuis votre premier album, les salles sont pleines et l’on se
demande bien à quoi est-ce dû. A votre niveau, quelle analyse faites-vous de
cette popularité ?
Je ne saurais le dire. Je
souligne même que je n’ai même pas envie de comprendre ce qui se passe parce
que je ne veux pas me figer dans cela. C’est simplement quelque chose que je
savoure pleinement à chaque fois et je suis agréablement surprise de voir le
bonheur sur les visages des gens. Je suis très touchée par cette estime que les
gens ont vis-à-vis de moi et j’en profite tout simplement. Je fais l’effort
d’être moi-même et j’espère que c’est cet écho là que mon public ressent quand
il vient m’acclamer à concert ou m’écouter lors des conférences de presse. Et
comme je compte rester moi-même, je présume que nous avons encore, mon public
et moi, de belles années devant nous.
Vos
concerts frisent parfois avec un envoûtement, exhalent un parfum de fort
magnétisme entre vous et le public. Y aurait-il une explication ?
C’est vous qui voulez
expliquer. Moi je pense pour ma part qu’il s’agit là de quelque chose de
spontané qui mérite d’être vécu. Moi je le vis pleinement sans chercher à
savoir pourquoi ou comment. Je veux juste garder la lucidité d’un enfant qui est
heureux après qu’on lui ait offert un bonbon. Je veux garder ce côté espiègle
de la situation, car je ne veux pas trop «cérébraliser» ou comprendre ce qui se
passe. En le faisant, je courrai le risque de tout calculer, d’être moins
naturelle et spontanée, ce que je ne souhaite pas.
Votre
émergence arrive au moment où les chanteuses camerounaises, et Dieu sait qu’il
y en a eu, ont disparu de la scène soit par la mort (Charlotte Mbango), soit
par une retraite qui dure (Grâce Decca ou Sissy Dipoko). Comment gérez-vous ce
statut-là ?
C’est seulement lorsque
l’on en parle que je réalise la situation qui me confère encore plus de
responsabilité vis-à-vis du public camerounais. Pour avoir été chanteuse de
cabaret, je sais également qu’il y a des chanteuses de talent au Cameroun.
Aujourd’hui c’est peut-être Charlotte Dipanda, mais demain, les Sanzy Viany,
Gaelle Wondjè ou lorenoare. Pour moi, le rêve est qu’il existe le maximum de
chanteuses au-devant de la scène afin que nous défendions ensemble la musique,
la culture de notre pays.
Quels
rapports entretenez-vous avec vos devancières de la chanson qui sont un peu en
retrait de la scène musicale en ce moment ?
L’avantage que moi j’ai c’est d’avoir été
choriste derrière ces artistes-là. Ce faisant, je n’ai pas lésiné sur le
respect que je devais leur donner. A chaque fois, j’étais en admiration de
toutes ces chanteuses. Nos rapports n’ont pas beaucoup changé dans la mesure où
ces aînées qui m’ont pris la main et offert des opportunités incroyables sont
toujours dans mon cœur. Nos rapports pour me résumer sont emprunts de respect,
car ces aînées restent des gens qui m’ont donné envie de faire ce métier.
Ces
chanteuses ont-elles eu quelque influence sur votre parcours artistique ?
Forcément. Je me
contenterai de parler de l’influence au niveau du travail qu’elles ont abattu.
Lorsque vous arrivez dans une famille comme nouveau-né, vous trouvez des
parents ainsi que vos aînés et c’est à vous de trouver votre place. C’est dans
cette optique-là que je me situe. Le travail qu’elles ont fourni me sert de
base pour trouver ma voie et permettre à l’ensemble de se pérenniser.
Qu’est-ce
que le cabaret vous a apporte dans votre façon de faire la musique ?
Tout ou presque. Ma façon
de me mouvoir sur scène, de me préparer, d’être à l’aise avec les musiciens…La
relation au public, c’est le cabaret qui m’a appris ça ! Quand vous
chantez tous les soirs devant un public différent à chaque fois et sans que
vous ne sachiez s’il aime ce que vous faites ou pas, cela vous apprend à
affronter tout public. Avec le cabaret, j’étais en concert tous les soirs et
cela m’a formé pour affronter toutes sortes de publics. J’ai aussi appris grâce
au cabaret à gérer le stress d’avant scène et une fois sur scène, j’ai l’impression
d’être à la maison.
Depuis
votre départ du Cameroun, vous avez été comme adoubé par des aînés de premier
plan. A quoi est-ce dû ?
Je
ne saurais franchement vous répondre. A chaque fois que j’ai travaillé avec les
grands noms, je me mettais toujours au service de la musique. C’est peut-être
cette approche là qui a convaincu ces illustres aînés à s’impliquer dans mes
projets. J’ai toujours eu de bons rapports avec tous ces artistes-là aussi bien
en tant que choriste qu’en tant que chanteuse solo, parce qu’ils n’ont jamais
eu le sentiment qu’il y avait un quelconque conflit. Je venais toujours pour
servir la musique tout court et pour rien d’autre. Les reste s’est fait
naturellement.
Avec «Dube Lam» votre
deuxième album, on a comme l’impression que vous avez franchi un nouveau cap,
que vous avez mûri. Et du coup l’on a envie de savoir quel horizon esthétique
vous vous êtes fixé.
Bien
sûr que je me suis fixée un horizon. Mon but c’est que mes œuvres restent,
durent. Et une stratégie est forcément la bienvenue à ce moment là. Dans 2à ou
30 ans, je veux que les mélomanes aient toujours du plaisir en écoutant mes
compositions. C’est dire que même quand je ne serai plus physiquement présente,
que mes œuvres soient toujours consommées, que je continue d’exister à travers
ma musique. C’est cela même ma démarche professionnelle. C’était «Mispa» hier,
aujourd’hui c’est «Dube Lam» et demain ce sera autre chose. Mais dans cette
quête de quelque chose, je veille à ce que mes CD puissent exister à côté de grands
noms comme Roosevelt Eko ou Guillaume Toto qui eux ont contribué à
l’épanouissement de la culture camerounaise.
Vous voulez donc laisser
une empreinte sur la culture camerounaise ?
Si
ce n’étais pas le cas, je ne vois pas pourquoi je ferai ce métier. Mon but, je
le répète, c’est contribuer à la construction de l’édifice culturel
camerounais.
Quels sont vos projets
artistiques du moment ?
Je
suis en tournée depuis le mois de décembre. J’étais en Russie il y a quelques
semaines, au mois mais je serai à Montpellier et en juin au Cameroun, en
Bulgarie et en Italie… Je serai sur la route jusqu’en août.
Lorsque vous regardez le
chemin parcouru jusqu’ici, qu’est-ce que cela vous inspire comme
commentaire ?
Je
me dis que j’aimerai associer ma vie d’artiste à la vie de femme que j’ai envie
de mener. Ce qui se passe en ce moment me fait un peu peur. Je pensais jusqu’à
il n’y a pas longtemps qu’il suffisait d’aller en studio et de sortir un album,
que l’après album n’était pas important ; je ne mesurais pas combien était
importantes les dates de concert et les tournées. Je vous avouerai que le fait
de savoir que je ne peux pas poser mes valises quelque part un mois de suite me
fait peur parce que je tiens à garder cet équilibre social qui m’est cher et
qui ne s’accommode pas d’une chanteuse qui est tout le temps sur la route.
C’est un challenge
difficile. Pensez-vous y parvenir un de ces jours?
Je
vais essayer. C’est pas gagné, mais le plus important c’est que j’ai en mémoire
que je dois le faire et après je m’en donnerai les moyens d’y arriver.
Sur la scène aujourd’hui,
le chant féminin qui a porté notre musique des décennies durant est en train de
perdre en quantité, quoique des figures comme vous ou comme Queen Eteme voire
de jeunes pousses comme Sanzy Viany rivalisent d’adresse pour ce qui est de la
qualité. Cela constitue-t-il pour vous un problème ?
Bien
sûr. C’est pourquoi j’espère que d’ici à quelques années d’autres voix vont
sortir de l’ombre des cabarets. Parce que des voix féminines, il y en a.
S’agissant du potentiel, je suis optimiste. C’est pourquoi j’en appelle à une
structuration de la musique camerounaise afin de permettre à ce potentiel
immense d’éclore. Ces chanteuses ont besoin simplement d’une plateforme de
qualité pour exprimer leurs qualités.
La question des droits
d’auteur semble ne pas trouver grâce à vos yeux dans la mesure où l’on ne vous
a pas entendu sur la bataille en cours entre la SOCAM et la CMC.
Pourquoi ?
Je
préfère ne pas en parler parce qu’il y a des personnes qui le font sans doute
mieux que moi et que ma mission
vis-à-vis du peuple camerounais c’est de faire une musique de qualité.
Et c’est cette mission là qui me préoccupe le plus. Cela dit, je suis triste de
constater que mes musiques sont jouées au Cameroun et que je ne perçois
toujours aucun centime. C’est dommage, aberrant, ubuesque. Mais si je laisse la
composition et le chant pour me lancer dans ce combat là, je ne suis pas sûr
d’être à la hauteur de l’artiste que je suis devenue. Je suis cependant heureux
que malgré la piraterie ambiante, les gens se battent pour acheter des CD
originaux de Dipanda. C’est d’ailleurs une façon pour moi de mener ce
combat ; une façon de dire que même si je ne connais pas les dessous de ce
qui se passe pour qu’on en arrive à ce niveau de dégradation de l’appréciation
d’une œuvre d’art, je peux réconcilier le public avec la chanson camerounaise.
Dans cette affaire, plus que de débattre, j’agis à travers mon travail.
Dans la foulée de «Mispa»,
vous avez convoqué une flopée de rythmes dans le projet «Dube Lam». Des rythmes
du même terroir certes, mais différents au niveau de la texture. Pourquoi
cela ?
Mon combat aussi c’est de revendiquer mon
africanité, ma camerounité; c’est de dire que je viens de quelque part. Le
destin m’a fait naître dans un espace d’une richesse musicale à nulle autre
pareille et mon travail consiste à la faire connaître et à la partager.
Beaucoup de Camerounais ne connaissent que le makossa ou le bikutsi, mais il y
a autre chose. Je pense que l’art n’est pas cartésien, quelque chose que l’on
peut enfermer dans une boîte. Moi je ne me définis pas comme un artiste qui
fait tel ou tel rythme. Je laisse le soin à vous critique de le faire. J’ai un
bagage étendu que je dois partager avec mes fans. Et à dire vrai, une carrière
ne suffirait pas à butiner tous les trésors de la musique camerounaise.
J’apporte simplement ma contribution.
Entretien avec Parfait
Tabapsi
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