Théâtre
Après
30 ans de pratique et des lauriers, le comédien n’est pas prêt de faire ses
adieux et continue de tracer son sillon depuis Yaoundé.
Ceux qui l’ont récemment
vu sur scène peuvent le confirmer : les années n’ont pas eu raison du
talent de David Noundji. Lui qui prend toujours un grand soin à bien assimiler
son texte et à satisfaire aux désidératas du metteur en scène sans chialer ni
regimber. Avec son dernier mono «Verre cassé», une adaptation de l’œuvre
éponyme et à succès du Congolais Alain Mabanckou mis en scène par sa complice
Louise Belinga sous la bannière de la Compagnie Bena Zingui, David Noundji
s’éclate, au propre comme au figuré, passant des salles plus exiguës comme le
Centre culturel Francis Bebey ou l’Othni aux planches plus réglementaires comme
celle de l’Institut français du Cameroun.
Un numéro dans lequel il
mord à chaque fois comme un gamin une tranche de pastèque. Avec un plaisir qui
n’a d’égal que son amour pour le théâtre et son vœu de ne pas le voir mourir
comme peut le laisser croire la rareté de spectacles de niveau sous le ciel
camerounais. Comment pouvait-il d’ailleurs en être autrement pour ce comédien
qui pratique le théâtre depuis quasiment le berceau et qui est né un 23
décembre ? «Je suis arrivé au théâtre par les récitations, mieux les
récits de Noël, raconte-t-il l’air très sérieux. Du temps de mon enfance, la
naissance de l’enfant Jésus était un moment important dans les villages, un
moment extra où il fallait mettre en scène l’arrivée du fils de Dieu au monde».
C’est ainsi qu’au fil des célébrations de la fête de la nativité, il se signalera
par sa capacité à assimiler ses textes et à bien les rendre. Cela d’une bourgade à une autre.
De Bafang à Bangoua en
passant par Bazou dans la région de l’Ouest du Cameroun, et alors que
l’atmosphère est des plus tendus du fait de la lutte contre les derniers
nationalistes de l’Union des populations du Cameroun dont le leader Ernest
Ouandié est originaire de la région, le petit David fait ses gammes dans les
chapelles avec l’insouciance qui sied à son âge. A chaque rendez-vous, il s’attèle
à faire honneur à sa réputation et à satisfaire ses mentors et le public. Un
bonheur n’arrivant jamais seul, le voilà qui, son certificat d’études primaires
et élémentaires (Cepe) en poche, prend une inscription au Ces de Bagangté où il
croise la route d’un certain Gaston Nguetsa, actuel inspecteur national des
arts au ministère des Enseignements secondaires. Ce dernier vient de mettre sur
pied une troupe scolaire et a pour disciple dans sa classe de français le petit
David. Un garçon qui n’a pas perdu sa facilité pour les récitations. Cela tombe
bien puisque l’un des cours de M. Nguetsa est justement… la récitation. Ses
bonnes notes lui ouvrent alors les portes de la troupe sous l’œil de son prof.
«Malgré mon jeune âge, j’étais régulièrement distribué dans les créations de la
troupe», se souvient Noundji. S’enchaînent alors des pièces devenues depuis des
classiques du théâtre camerounais comme «Jusqu’à nouvel avis» ou «La secrétaire
particulière».
Planches
et études
Si David se donne à fond
sur les planches, il n’oublie pas ses études. Et alors qu’il s’apprête à faire
le déplacement de Bafoussam pour y fréquenter l’unique lycée de la région,
voilà que son établissement en devient un suivant la volonté des autorités
scolaires de Yaoundé. David continue donc son apprentissage, sans se faire
aucune illusion. Déjà, c’est la Terminale et le Bac. On est alors au début des
années 80 et l’adolescent doit aller poursuivre ses études à l’unique
université d’alors du pays qui est à Yaoundé. Il y va sans véritablement savoir
quelles humanités il compte poursuivre. Il a tout de même des appréhensions vu
qu’il va bientôt vivre hors du cocon familial et dans une grande ville. Mais,
se dit-il, impossible n’est pas Noundji et on va voir ce qu’on va voir.
C’est alors
-providence ?- qu’il va croiser «fortuitement», tient-il à préciser, Tadie
Tuene dans les couloirs du décanat de la Faculté des Lettres. «Pendant notre
échange, il va me conseiller de prendre en option l’art théâtral, alors que moi
j’avais un faible pour la langue de Goethe.» il s’inscrit donc en langue
française dans l’option que lui a conseillé Tadie Tuene. Un conseiller qu’il va
bientôt retrouver au Théâtre universitaire, une compagnie que la Française
Jacqueline Leloup, après des états de services plus que concluants au Lycée du
Manengouba à Nkongsamba, a mis sur pied avec la complicité des autorités
universitaires il y a seulement quelques années et qui est doucement en train
de se hisser vers les sommets.
A son bureau à Ekoumdoum,
David Noundji feuillette l’album souvenir de cette époque avec beaucoup de
plaisir. Prenant même le soin de s’arrêter sur chaque complice de la troupe
universitaire comme les François Bingono, Elisabeth Mballa Meka, Keki Manyo,
Abessolo Mbo, Félix Kama, Alex Stéphane Ewané, Tabiapsi… «Pour moi qui venais
de Bagangté, c’était à la fois une joie et un défi d’appartenir à cette
compagnie ; je découvrais alors ce qu’est le théâtre pour de vrai. J’étais
heureux et me suis mis au travail.» Et de travail il y en a vu que Mme Leloup
tient à mériter la confiance des autorités et à faire du Théâtre universitaire
une troupe professionnelle. C’est ainsi que les répétitions ont lieu quatre
fois par semaine (lundi, mercredi, vendredi et samedi) avec une rigueur plutôt
allemande. «C’est de ce travail acharné que naît la réputation de cette troupe.
Mme Leloup insistait sur le travail physique bien sûr, mais aussi sur la
qualité visuelle de l’ensemble. Il nous arrivait ainsi de répéter une réplique
une centaine de fois !»
Une besogne pour laquelle
il survivra, et même plutôt bien si l’on considère la suite. Mais avant toute
chose, le comédien explique : «je dois une fière chandelle à mes aînés du
théâtre universitaire qui nous ont pris sous leurs ailes protectrices et nous
ont encadré de la plus belle des manières». Un encadrement idoine qui lui
permettra de bien figurer au générique du «Regard du roi», sa première pièce.
D’autres suivront au fil des ans comme «Le testament du chien», «Meyong
Meyeme», «Gueïdo»… Des créations qui demanderont tout le talent de la vingtaine
de jeunes étudiants de la troupe ainsi que des moyens financiers inimaginables
même aujourd’hui. Du fait de la confiance des autorités, des moyens financiers
sont ainsi mis à contribution. «Je me souviens que rien que pour les costumes,
il arrivait que l’on dépense jusqu’à un million et demie !»
Jacqueline
Leloup
Décidément, rien n’était
refusé à Mme Leloup qui était une mère poule pour les membres de la troupe
qu’elle couvait de tout son dévouement pour le théâtre et qui n’était pas moins
pointilleuse sur le rendu des spectacles. «Je dois cependant avouer que son
principal trait de caractère était sa rectitude morale», se souvient Noundji.
Une attitude qui aidera ce dernier à franchir un nouveau palier. Il raconte.
«En septembre 1984, la troupe se prépare pour son premier voyage à Limoges.
Durant des semaines, la troupe est en répétition sans moi, vu que je ne suis
pas sélectionné. Une dernière répétition est prévue un samedi et c’est le
moment que choisit une comédienne pour s’en aller dire au revoir à sa famille.
Elle sera remplacée quelques jours plus loin ainsi qu’un autre comédien dans la
même situation par moi-même, sans état d’âme ! »
Commence alors une
carrière faite de succès en Europe et en Afrique. Avec des lauriers souvent
comme au Festival du théâtre scolaire de la francophonie d’Abidjan en 1988,
l’ancêtre du Marché des arts et du spectacle africains (Masa). Au retour de
cette expédition, le chef de mission, un certain Jean Tabi Manga sera nommé à
la direction de l’Ecole normale supérieure et interviendra pour que Noundji,
qui vient d’être recruté à la Fonction publique comme prof de français parmi
les 1500 nouveaux fonctionnaires recrutés par décret, ne soit pas affecté à
Yokadouma. Ce sera peine perdu, même si au bout d’un an, Noundji retrouvera la
capitale. Mais avec le départ de Mme Leloup et la crise économique, le Théâtre
universitaire a perdu de son âme et de sa superbe. Le nouveau responsable de la
troupe penche pour le théâtre classique et le délitement commence.
Une autre carrière s’ouvre
alors pour le prof de français qui va donner un coup de main à François Bingono
qui vient de mettre sur pied son centre de formation Alabado Théâtre qui a pris
ses quartiers à la radio nationale et d’où sortiront les Wakeu Fogaing et
Martin Ambara. Là, il rend aux cadets ce qu’il a reçu. Au bout de quelques
années et avec la fermeture de cet espace pédagogique du théâtre, il rejoint
Louise Belinga qui travaille dans le cadre du théâtre du développement avec sa
troupe dénommée Bena Zingui. Déjà, l’envie des planches est de retour et
Noundji lui laisse laisse carte blanche. Ce sera donc «Minkul Minem» de son
vieux pote Félix Kama qui lui permettra d’essayer, 15 ans après ses débuts le
mono. Avec de nouveau le succès vu qu’il fera impression au Masa 99 après les
salles camerounaises et avant des dates en France et en Afrique.
L’année d’après, c’est en
duo avec Martin Ambara qu’il part en tournée africaine et italienne dans la
pièce «L’épopée d’Angon Mana» d’Ayissi Nkoa avec un passage remarqué au Masa 2003.
Le spectacle bénéficiera même du Compte d’affectation spéciale du ministère de
la Culture. «Avec Minkul Minem, j’ai connu de nouvelles sensations comme celle
de jouer dans une chambre d’hôtel, près des piscines dans des salons, etc.»
Suivront d’autres créations jusqu’à ce «Verre cassé» qui était en fin d’année
dernière en représentation au Tarmac des auteurs à Kinshasa. Des rendez-vous
qui n’occultent pas ceux qu’il a régulièrement avec son ami Léonardo Gazzola,
un Italien avec qui il a goupillé un stage de conte avec les ressortissants de
leurs deux pays depuis 7 ans maintenant.
Il continue également
d’enseigner au Lycée de Mfou. Tout comme il a décidé depuis quelques années de
faire d’une partie de sa concession à Ekoumdoum un centre culturel avec salles
de spectacle, cases de passage pour les artistes et bureaux. Car «je pense que
je dois donner au théâtre tout ce qu’il m’a donné». Une belle formule qui en
dit long sur l’avenir de celui qui se dit déterminé à faire du théâtre encore
longtemps. C’est tout le mal, vu ses états de service dans l’art, que l’on peut
lui souhaiter.
Parfait
Tabapsi
Repères
23/12/1960 :
naissance à Bafang
1982 :
rejoint le Théâtre universitaire
1984 :
premier voyage en France
1988 :
recruté à la Fonction publique comme prof de français
1992 :
formateur à l’Alabado Théâtre
1996 :
rejoint la Compagnie Bena Zingui
1999
et 2003 : participation au Masa
2010 :
création de «Verre cassé»
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