Arts plastiques
A
Bandjoun, village voisin de Bafoussam à l’ouest du Cameroun, le plasticien
Barthélémy Toguo a construit une œuvre architecturale qui flatte les sens ainsi
qu’un musée et un centre d’art contemporain avec un fond de qualité. Visite
guidée.
Incroyable. Magnifique.
Impressionnant. Extraordinaire. Samedi 16 novembre à la fin de la cérémonie
d’inauguration de Bandjoun Station, c’était la course aux qualificatifs. Tant
l’œuvre architecturale et le projet sur lequel il s’adosse étaient tout
simplement inhabituels en ce lieu et sans doute au Cameroun et en Afrique. Ce
d’autant plus que les autorités avaient tenu à magnifier l’instant de leur
présence, histoire de dire que ce projet appartenait désormais à la communauté
tout entière si ce n’est à la multitude. De la ministre des Arts et de la
Culture au gouverneur de la région de l’Ouest, tout le gratin administratif
avait fait le déplacement, à l’exception notable du maire de Pété -et
voisin- Victor Fotso qui avait envoyé sa
première adjointe dont le discours ne manqua pas de saluer cette initiative qui
en rajoute au statut de ville touristique d’un village qui peu à peu avance vers
la modernité.
Pour la ministre Ama Tutu
Muna à qui était revenu l’honneur de prononcer le discours d’ouverture de ce
musée et centre d’art contemporain, l’émotion était perceptible. D’ailleurs,
avant d’engager son laïus, elle fit savoir combien elle était impressionnée par
l’initiative et l’œuvre avant de souligner plus loin la capacité de son
promoteur à fédérer les compétences nécessaires à son but artistique. Un point
de vue qui résonnait en écho de la présentation que Barthélémy Toguo fit de
lui-même. Propos dont on put retenir le côté prométhéen de ce gamin né à
Mbalmayo où il fit ses premières armes avant de rejoindre l’étranger où,
d’Abidjan à Düsseldorf en passant par Grenoble, il fit ses humanités de
plasticien auprès de grands maîtres. Pendant 10 ans. Avec pour résultat des
œuvres qui irradient depuis une quinzaine d’années les «espaces qui comptent»
des œuvres d’art du monde. Comme ce fût le cas par exemple en 2011 quand il lui
revint de réaliser l’affiche du prestigieux tournoi de tennis de Roland Garros
à Paris.
Bandjoun Station, c’est le
projet de sa vie. Un de ceux qui vous étripent, vous aveugle parfois, mais vous
positionne dans l’univers collectif comme une singularité. Il y a dix ans,
depuis ses appartements du 20è arrondissement, celui dont le travail côtoyait
déjà les cimes de l’art contemporain a fait un rêve : celui de contribuer
à endiguer la saignée du travail artistique de ses compatriotes et frères
d’Afrique. Pas moins. Car après que la colonisation européenne, à travers les
administrateurs et les missionnaires, ait emporté l’essentiel du travail
artistique d’ici, il se trouve que les travaux d’artistes contemporains sont en
grande partie exposés et consommés à l’étranger. Il devient alors «urgent de
créer un lieu pour promouvoir l’art et la culture dans sa diversité tout en
conservant la production contemporaine aujourd’hui sur le continent africain».
Une posture militante que
Toguo assume, lui qui estime qu’il «fallait faire quelque chose de toute
urgence. J’ai donc imaginé ce projet et échangé avec des confrères à
l’international en vue de faire vivre cet art sur notre continent, c’est-à-dire
sur le lieu même que les œuvres n’auraient pas dû quitter.» C’est alors qu’il a
commencé à piocher dans les fonds que sa pratique des arts plastiques lui a
procuré pour matérialiser son idée. Une première étape conclue par la décision
de s’installer à Bandjoun, non parce que c’est son village d’origine, mais
simplement parce qu’il ne souhaitait pas perdre de l’anergie à défendre un
terrain qu’il aurait acheté ailleurs. Ce sera donc sur les terres familiales
que sera bâti Bandjoun Station !
Carrelage
et motifs
En voyant la qualité de
l’architecture aujourd’hui et la situation au bord de la Nationale n°04, il
apert que le choix du terrain fût judicieux. De l’extérieur, l’architecture
tranche d’avec l’existant aux environs dans ce quartier de Hiala. La façade
principale respire une luxuriance de motifs où la signature de Toguo apparaît
clairement : ces têtes communicantes et ces mains sur un pilotis en
échelles. Le tout encadré par un carrelage et deux pavés de rectangles
multicolores sur les deux barrières de la façade. Sur l’une d’elles, une
inscription en ghom à la !, la langue du terroir, souhaite la bienvenue au
visiteur. Si déjà ce dernier peut apprécier le travail artistique, c’est une
fois dans la cour avec sa tribune à gauche qu’il peut bien apprécier
l’architecture. Les deux bâtiments paraissent alors imposants, voire
vertigineux. Des baies vitrées alternent d’avec le carrelage des colonnes et de
grandes surfaces crépies où reposent des œuvres : il y a là des trèfles,
des vases, des animaux de la basse-cour ou simplement des yeux. L’harmonie des
couleurs donne également à l’ensemble un cachet familier, une invite à la
visite, sanglée qu’elle est dans une simplicité qui convoque l’art local et
l’art d’ailleurs.
Dans le bâtiment à gauche,
sont proposées sur trois étages une partie du fond collecté par Toguo en 25 ans
de carrière. Il y a là les Roberto Matta, Louise Bourgeois, Antoni Tapiès et
nombre d’œuvres d’artistes africains comme Frédéric Bouly Bouabré (Côte
d’Ivoire), Lillanga (Tanzanie) ou Cyprien Takou Dagba (Bénin). Car il n’était
pas question pour le promoteur de ce musée d’alimenter le ghetto
africain : «j’ai des œuvres d’une force et d’une pertinence incroyable,
inégalable sur le continent», ose d’ailleurs Toguo qui dit disposer d’une
collection de plus de 1.000 œuvres. Cet édifice est divisé en cinq plateaux de
120 m² de superficie chacun: un sous-sol pour les rencontres et projections, un
salon de lecture au rez-de-chaussée, les deux premiers étages pourront
accueillir des expositions temporaires, le troisième niveau quant à lui devant
abriter donc les œuvres des artistes du monde entier.
Le bâtiment de droite se
compose de l’atelier /studio de quatre étages (22 m de hauteur), soutenus par
de solides piliers en béton armé. La structure est surmontée d'un pignon de 11
m de hauteur et couverte d'une charpente à double pyramide qui respecte les
règles séculaires de l'architecture traditionnelle locale avec ses toitures
effilées.
Un ensemble qui donne aux
bâtiments l’allure d’une résidence de notable que Toguo ne tardera sans doute
pas à l’être. Par son travail. Le chef supérieur Bandjoun Honoré Djomo Kamga
n’était-il pas présent à l’inauguration ? Lui qui dût trouver du temps
dans son programme chargé par ces temps de fête culturelle de son peuple –le
«Msem Todjom»- pour être de la primeur de cette soirée du 16 novembre et dont
le regard trahissait assez singulièrement sa joie devant ce travail d’un fils
du terroir.
Ateliers
et nature
Ce d’autant plus que le
projet de Toguo comporte également un volet agricole. A cinq km du centre d’art
contemporain, cinq hectares de plantations bien entretenues expriment la
détermination et la postule militante de son promoteur. Un volet qui a pour but
d’après Toguo «de développer l’agriculture pour faire face à la détérioration
des termes de l’échange qui appauvrit notre continent tout en enrichissant les
autres». C’est ainsi que des cultures variées sont en friche ici, avec pour
finalité leur transformation sur place. «Il nous faut fixer le prix de nos
cultures nous-mêmes», insiste Toguo qui a commencé la torréfaction du café à
l’effet de le transformer sur place. Un acte militant et même politique donc
Toguo n’est pas peu fier. Pour lui, «Ce volet d'intégration environnementale et
d'expérimentation sociale se veut un exemple pour la jeunesse locale afin de
créer des liens dynamiques et équitables entre le collectif d’artistes associés
au projet et leurs hôtes et démontrer qu’il faut aussi croire à l'agriculture
pour atteindre notre autosuffisance alimentaire». Ici également, l’art est au
rendez-vous. Chaque parcelle, il y en a cinq en tout, comprend des
constructions dont l’architecture détonne d’avec le magnifique paysage
alentour. Sur le flanc des collines en effet, Toguo a fait bâtir des
constructions aux motifs artistiques qui ne sont pas sans rappeler Bandjoun
Station. Sur les murs des maisons avec des toits coniques, un carrelage subtil
fait apparaître nettement des œuvres picturales. Quand ce ne sont pas les
doigts de la main, c’est une tête qui crache du sang par goutte. Signe sans
doute du labeur qu’il y a à travailler sur les flancs. Avec à chaque fois une
forte présence du noir sur des couleurs plus brillantes et chatoyantes. Toguo
fait d’ailleurs savoir que ces motifs sont fait express vu qu’ils permettront
aux artistes en résidence qui le souhaitent de venir travailler dans la nature
profonde où les cris d’oiseaux migrateurs et la verdure se le disputent avec de
magnifiques vues sur la ceinture montagneuse alentour.
Toutes choses qui ne sont
pas rien dans le désir du plasticien d’effectuer son retour au pays. C’est
ainsi que Toguo a construit un gigantesque atelier à un km de Bandjoun Station.
Où sur deux étages et un sous-sol, il compte se retirer pour ses prochaines
créations. Ici aussi, les murs sont décorés de motifs accueillants. Des motifs
réalisés par Toguo himself. Encore en chantier, il ne transfère pas moins chez
le visiteur l’impression de gigantisme qu’il dégage. Là où l’on pensait à un
atelier vétuste, l’artiste a aménagé des salles de travail, de spectacles et de
rencontres d’avec des artisans du village. Nul doute que pareil lieu secrétera
bientôt des œuvres d’une portée internationale. Pour l’heure, Toguo fait
simplement savoir que ce lieu n’est pas simplement un atelier. Il pourra se
muer à l’occasion en espace de réjouissance publique, engoncé qu’il est au pied
d’un relief où la fraîcheur de la nature n’a pas encore été saccagé par les
affres de la modernité.
Parfait Tabapsi