Livre
Les années de
braise. Voilà une expression quelque peu éculée chez nous. Et qui renvoie en
ces années cruciales dans le combat pour la liberté au lendemain du vent d’Est.
Années dont le souvenir hante encore bien des esprits d’ici et qui sont loin
d’avoir dévoilé tout le torrent d’angoisses, de labeur, de peine et parfois
d’effroi qu’elles ont causé chez nombre de Camerounais. Camerounais qui au
demeurant ont payé un lourd tribut durant ce qui apparaît deux décennies plus
loin comme la lutte pour une seconde (et dernière ?) indépendance. Jusqu’à
récemment, ces années étaient évoquées sous deux prismes essentiellement :
les témoignages et le récit fictionnel. Pour le premier cas, il n’y a qu’à se
remémorer par exemple «Mes patrons à dorer» du journaliste et ancien étudiant
Se’nkwe P. Modo (Yaoundé, Masseu, septembre 2006, 306 pages) ; «Le
journalisme du carton rouge, Réflexions & chronologie des années orageuses»
du journaliste et étudiant Edmond Kamguia Koumchou (Yaoundé, L’étincelle
d’Afrique, juin 2003, 324 pages) ; ou encore «Education et démocratie en
Afrique, Le temps des illusions» (Paris, L’Harmattan et les éditions du CRAC, 1996,
292 pages), recueils d’articles du chercheur en littératures africaines et
africaines américaines Ambroise Kom. Pour le second prisme, on peut évoquer le
magnifique roman de François Nkémé, «Le cimetière des bacheliers» (Yaoundé, Ifrikiya,
2010 pour la 3è édition). Des écrits qui ont permis en leur temps d’avoir un
aperçu des «événements de l’université» comme aimaient à le raconter des
témoins, avec souvent une dimension fantasmagorique, voire tronquée.
On en était là
jusqu’à ce que les Editions Terroirs du Pr Fabien Eboussi Boulaga nous proposent
ces «Mémoires des années de braise. La grève estudiantine de 1991 expliquée».
Un ouvrage tant annoncé qu’on avait fini par désespérer de sa sortie.
Finalement, il est arrivé, avec en prime deux versions (française et anglaise)
en une. Pour le plus grand bonheur des chercheurs sur la question et des
Camerounais ordinaires, avides de savoir «ce qui s’était passé» sur le campus
de Ngoa Ekellé dans les années 1991, 92 et 93. Années de contestation forte. Où
la parole longtemps contenue par la force du parti unique et l’absence de
démocratie avait fini par se libérer pour porter aux nues les aspirations d’une
population estudiantine qui vraisemblablement n’en pouvait plus.
En présentant
les textes qui structurèrent les revendications de ses camarades, Cilas
Kemedjio a sans doute fait œuvre utile. Non seulement pour le souvenir, mais
également pour indiquer que le temple du savoir que constitue l’université
n’est guère un lieu de conformisme, encore moins de l’acquiescement à tout va.
Un lieu où la réflexion, du fait des franchises universitaires, ne doit
souffrir d’aucune caporalisation. En lisant la somme, l’on est frappé par la
capacité d’analyse des «parlementaires de la plume» au double plan des contenus
et de la forme. Parfois, les pamphlets sont si virulents avec l’establishment
que l’on se demande quel était le ressort qui travaillait les méninges dans les
chambres des cités universitaires où la débrouillardise avait, comme
aujourd’hui encore, tous ses droits. L’auteur fait simplement savoir que la
volonté de l’époque était de graver ce qui se passait dans le marbre de
l’écriture qui seule peut survoler le temps et les époques. Ce d’autant plus
que les grèves précédentes souffriront ad vitam aeternam de ce manque de
consignation écrite.
Par ailleurs,
le livre présente en filigrane l’engagement de ceux-là qui à un moment donné
ont souffert du délit d’être étudiant, subi les pires des humiliations (que
l’on se souvienne de l’étudiante Ange Guiadem Tekam promenée toute nue sur le
campus) ainsi que des disparitions inexpliqués, voire provoquées et des morts
(Collins Djeungoué Kamga et beaucoup d’autres anonymes). Toutes choses qui,
ajoutée à la répression du pouvoir en place tentant de contenir la grève ont
jeté de l’huile sur un feu qui n’avait que trop rongé son frein depuis quelques
années et qui ne se fit point prier pour embraser le campus et les environs. On
vit ainsi, à en croire les écrits, une chasse à l’homme avec battue comme si
l’on traquait des bêtes sauvages ou des gangsters.
Avec cette
présentation de textes accompagnée de discours d’escorte et d’annotations, bref
ce tableau analytique, on en apprend sur la période. Sans toutefois voir sa
soif étanchée, car les annotations justement ouvrent la voie pour en savoir
plus sur ce pugilat verbal qui structura ces années déterminantes de
l’université camerounaise dans sa quête d’existence. Il est donc à espérer que
les parlementaires de la plume ne s’arrêteront pas en si bon chemin et
offriront à l’avenir une étude plus détaillé de la bataille des logos que
surent si bien entretenir les médias de l’époque. Mais peut-être que si noble
tâche pourrait intéresser d’autres chercheurs en sciences sociales. Ce qui
constituera un bon prolongement à un travail entamé naguère dans des revues de
renom comme Peuples noirs-peuples africains, Politique africaine ou Le Monde
diplomatique par des chercheurs camerounais et étrangers sur l’une des
problématiques les plus pertinentes du siècle passé au Cameroun.
Cilas Kemedjio (Introduction, annotations,
analyses), Mémoires des années de grève. La grève estudiantine de 1991
expliquée, Yaoundé, Editions Terroirs, juin 2013, 352 pages.
Parfait Tabapsi
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