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jeudi 19 septembre 2013

Sous les braises, la plume



Livre

Les années de braise. Voilà une expression quelque peu éculée chez nous. Et qui renvoie en ces années cruciales dans le combat pour la liberté au lendemain du vent d’Est. Années dont le souvenir hante encore bien des esprits d’ici et qui sont loin d’avoir dévoilé tout le torrent d’angoisses, de labeur, de peine et parfois d’effroi qu’elles ont causé chez nombre de Camerounais. Camerounais qui au demeurant ont payé un lourd tribut durant ce qui apparaît deux décennies plus loin comme la lutte pour une seconde (et dernière ?) indépendance. Jusqu’à récemment, ces années étaient évoquées sous deux prismes essentiellement : les témoignages et le récit fictionnel. Pour le premier cas, il n’y a qu’à se remémorer par exemple «Mes patrons à dorer» du journaliste et ancien étudiant Se’nkwe P. Modo (Yaoundé, Masseu, septembre 2006, 306 pages) ; «Le journalisme du carton rouge, Réflexions & chronologie des années orageuses» du journaliste et étudiant Edmond Kamguia Koumchou (Yaoundé, L’étincelle d’Afrique, juin 2003, 324 pages) ; ou encore «Education et démocratie en Afrique, Le temps des illusions» (Paris, L’Harmattan et les éditions du CRAC, 1996, 292 pages), recueils d’articles du chercheur en littératures africaines et africaines américaines Ambroise Kom. Pour le second prisme, on peut évoquer le magnifique roman de François Nkémé, «Le cimetière des bacheliers» (Yaoundé, Ifrikiya, 2010 pour la 3è édition). Des écrits qui ont permis en leur temps d’avoir un aperçu des «événements de l’université» comme aimaient à le raconter des témoins, avec souvent une dimension fantasmagorique, voire tronquée.
On en était là jusqu’à ce que les Editions Terroirs du Pr Fabien Eboussi Boulaga nous proposent ces «Mémoires des années de braise. La grève estudiantine de 1991 expliquée». Un ouvrage tant annoncé qu’on avait fini par désespérer de sa sortie. Finalement, il est arrivé, avec en prime deux versions (française et anglaise) en une. Pour le plus grand bonheur des chercheurs sur la question et des Camerounais ordinaires, avides de savoir «ce qui s’était passé» sur le campus de Ngoa Ekellé dans les années 1991, 92 et 93. Années de contestation forte. Où la parole longtemps contenue par la force du parti unique et l’absence de démocratie avait fini par se libérer pour porter aux nues les aspirations d’une population estudiantine qui vraisemblablement n’en pouvait plus.
En présentant les textes qui structurèrent les revendications de ses camarades, Cilas Kemedjio a sans doute fait œuvre utile. Non seulement pour le souvenir, mais également pour indiquer que le temple du savoir que constitue l’université n’est guère un lieu de conformisme, encore moins de l’acquiescement à tout va. Un lieu où la réflexion, du fait des franchises universitaires, ne doit souffrir d’aucune caporalisation. En lisant la somme, l’on est frappé par la capacité d’analyse des «parlementaires de la plume» au double plan des contenus et de la forme. Parfois, les pamphlets sont si virulents avec l’establishment que l’on se demande quel était le ressort qui travaillait les méninges dans les chambres des cités universitaires où la débrouillardise avait, comme aujourd’hui encore, tous ses droits. L’auteur fait simplement savoir que la volonté de l’époque était de graver ce qui se passait dans le marbre de l’écriture qui seule peut survoler le temps et les époques. Ce d’autant plus que les grèves précédentes souffriront ad vitam aeternam de ce manque de consignation écrite.
Par ailleurs, le livre présente en filigrane l’engagement de ceux-là qui à un moment donné ont souffert du délit d’être étudiant, subi les pires des humiliations (que l’on se souvienne de l’étudiante Ange Guiadem Tekam promenée toute nue sur le campus) ainsi que des disparitions inexpliqués, voire provoquées et des morts (Collins Djeungoué Kamga et beaucoup d’autres anonymes). Toutes choses qui, ajoutée à la répression du pouvoir en place tentant de contenir la grève ont jeté de l’huile sur un feu qui n’avait que trop rongé son frein depuis quelques années et qui ne se fit point prier pour embraser le campus et les environs. On vit ainsi, à en croire les écrits, une chasse à l’homme avec battue comme si l’on traquait des bêtes sauvages ou des gangsters.
Avec cette présentation de textes accompagnée de discours d’escorte et d’annotations, bref ce tableau analytique, on en apprend sur la période. Sans toutefois voir sa soif étanchée, car les annotations justement ouvrent la voie pour en savoir plus sur ce pugilat verbal qui structura ces années déterminantes de l’université camerounaise dans sa quête d’existence. Il est donc à espérer que les parlementaires de la plume ne s’arrêteront pas en si bon chemin et offriront à l’avenir une étude plus détaillé de la bataille des logos que surent si bien entretenir les médias de l’époque. Mais peut-être que si noble tâche pourrait intéresser d’autres chercheurs en sciences sociales. Ce qui constituera un bon prolongement à un travail entamé naguère dans des revues de renom comme Peuples noirs-peuples africains, Politique africaine ou Le Monde diplomatique par des chercheurs camerounais et étrangers sur l’une des problématiques les plus pertinentes du siècle passé au Cameroun.
Cilas Kemedjio (Introduction, annotations, analyses), Mémoires des années de grève. La grève estudiantine de 1991 expliquée, Yaoundé, Editions Terroirs, juin 2013, 352 pages.

Parfait Tabapsi

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