La pochette. |
En 1996
dans un livre qui marqua les esprits, le critique camerounais Ambroise Kom
mettait son lectorat en garde contre l’étiquetage. Cette tendance qui consiste
à marquer un individu d’une étiquette en dehors de laquelle il n’est plus
reconnaissable, et ne vaut donc plus grand-chose aux yeux de celui qui le juge
souvent avec de fausses lunettes. Ce livre (Education et démocratie en Afrique,
le temps des illusions, Paris, L’Harmattan) présentait des réflexions d’un
universitaire sur les questions cruciales par temps de crise sociale
généralisée en son pays. Une sonnette d’alarme qui a inspiré certains depuis et
que le nouvel album de Richard Bona, disponible depuis quelques semaines, est
venu rappeler.
Car avec «Bonafied»
(Paris, Universal), difficile de classer le bassiste camerounais né à Minta
voici 46 ans. Lui qui au fil des rencontres et des albums, c’est le 7è projet
de studio, donnerait bien du fil à retordre à qui voudrait l’enfermer dans un
genre particulier. A écouter les 11 titres, tout Camerounais sent bien qu’il
est un compatriote, ne serait-ce qu’au niveau de la langue douala qu’il manie à
merveille. Mais au-delà, difficile de dire s’il est de l’Est, du Littoral, du
Centre ou de l’Ouest. Tant son socle géographique inspirateur embrasse toutes
ces régions sans gêne ; mieux avec un certain génie.
A
l’international, difficile de dire s’il fait du jazz, du blues, de la world ou
de l’afro. Son génie est sans doute là : fédérer toutes ces fragrances et
se faire aimer d’un bout à l’autre de cette planète finalement petite pour
notre Bona qui a fait des rythmes latino une marque de fabrique lors de ses
récents concerts. Une approche singulière et en phase avec l’art contemporain
en général qui se veut sans frontières. Et qui a peut-être fait dire à un
internaute sur Youtube, commentant la vidéo live de ‘Muléma’, un titre de «Bonafied»,
en compagnie d’un orchestre symphonique à Amsterdam, que le
bassiste-percussioniste-chanteur-guitariste-body instrumentist-choriste était
une montagne. Que les tenants de l’étiquetage à tout va auront du mal à
contourner.
Richard
Bona, le
chercheur de Cameroun
Ceux qui ont suivi particulièrement ces
deux dernières années le génie camerounais de la basse subodoraient que son
prochain projet de studio sentira un doux parfum latino. Lui qui ne cesse ces
temps derniers justement de tourner sur les scènes prestigieuses du monde avec l’orchestre dénommé Mandekan Cubano avec lequel il se donne à cœur joie dans
cette esthétique qui n’est pas sans rappeler la terre qui l’a porté et qu’il ne
cesse d’honorer au fil de ses albums solo, avec une détermination et une
application qui frise une intrépidité de gladiateur.
Ces mélomanes donc ont été pris à
contrepied avec ce cru 2013 au titre évocateur de Bonafied. Un jeu de mots à
partir de l’expression latine «Bona Fide» (bonne foi), qui se traduit par
«authentique» en anglais. Un contrepied qui reprend avant tout les constantes
chères à ce musicien qui doit sans doute son ascension à la localité de Minta
où son grand-père l’a initié aux mélodies et rythmes que l’adolescence et sa
vie au-delà de son pays lui ont permis de mûrir. C’est d’ailleurs à ce
grand-père maternel, Messanga, à qui d’ailleurs il avait fait un clin d’œil
dans son premier opus, qu’il dédie ce projet, un peu dans la foulée du
précédent qu’il dédia, en 2008, à sa mère. Une première constante qui en
appelle une deuxième centrée sur le côté généreux de Richard Bona. Qui prend un
malin plaisir à continuer à refuser d’autres chœurs que les siens, quitte à
parfois en abuser sans toutefois lasser son auditoire. Ce qui néantise toute
idée d’ego surdimensionné est que ces voix chez Bona sonnent comme une
signature et non comme un penchant mégalomaniaque. Tout comme sa volonté de
titiller plus d’un instrument que l’on peut interpréter comme une envie de voir
les choses bien faites par le perfectionniste qu’il est. Sinon, comment
expliquer qu’ici comme dans The ten shades of blues il ait fait appel à des
instrumentistes comme le guitariste Sylvain Luc, le jeune trompettiste Michael Rodriguez, avec
qui il a fait le voyage de Yaoundé récemment, ou encore le batteur Obed Calvaire -qui étaient déjà
de la partie en 2009- pour des partitions précises sur des titres de ce nouvel
album ?
L’autre constante c’est le recours quasi
exclusif au Bana na é, la langue duala. Qu’il manipule jusque dans son intime
subtilité avec les intonations qu’elle appelle et qu’il sait céder au français
avec une transition quasi parfaite comme c’est le cas dans ‘Janjo La Maya’. Là
c’est pour la forme.
Sur le fond, Bona s’appuie comme toujours
sur les rythmes de chez lui, donnant corps à cette pensée du philosophe
camerounais Fabien Eboussi Boulaga pour qui chacun s’exprime à partir de
quelque part. A écouter Bona, on a comme l’impression qu’il dit au monde que
son pays est un terreau où foisonnent des rythmes qui mériteraient attention
tant leur pertinence rythmique ainsi que leur capacité à se laisser prendre par
des thématiques divers plaident pour cela. Le dire c’est peut-être enfoncer des
portes ouvertes, mais chez lui ces musiques ont un goût assez particulier,
raffiné. ‘Mulema’ ou ‘Socopao’ sont à situer à cette aune là. En faisant un
clin d’œil à celui-là qui vit le musicien en lui alors qu’il n’avait que trois
ans, devait-il alors offrir des compositions plus dansantes ? L’histoire ne dit
pas si Bona s’est posé la question, mais il n’est pas interdit d’imaginer
qu’elle lui est passée à un moment ou à un autre par la tête. Lui en tout cas a
décidé que cet hommage sera majoritairement acoustique, sans doute pour
rappeler la pureté des rythmes de son terroir et la nature qui les accouche.
N’y a qu’à bien écouter ‘Uprising of kindness’, ‘Mulema’ ou 'Tumba la Nyama' pour
s’en rendre compte.
L’on ne saurait pour terminer ne pas
relever ce penchant, cette corde sur laquelle tire Bona, au risque de la briser
d’ailleurs, et qui consiste en un concert de voix, les siennes, qui sonnent
comme des ritournelles propices aux soirées de conte au village ou aux réunions
des femmes qui n’ont souvent que leurs voix pour tout instrument. Un art des
voix qui n’est pas sans rappeler ces fameux «romans choraux» dont les Russes Alexandre
Adamovitch et Svetlana Alexievitch ont fait une marque de fabrique et qui
racontent, entre autres, les peines des femmes de soldats qui attendent, les
yeux rivés vers l’horizon, et souvent en vain,
le retour annoncé des amours de leur vie. Les mélomanes seront sans
doute dubitatifs devant cette proposition qu’il convient d’écouter plus d’une
fois avant de se faire une opinion étayée, tant les subtilités qu’elle recouvre
n’apparaissent pas à première vue. Un contre-pied qui au final n’en est une qu’à
moitié si l’on pense à l’inscrire dans la lignée du travail artistique
titanesque d’un Bona qui n’a décidément plus rien à prouver, mais à qui l’on
demandera désormais de pousser son petit jeu encore plus loin. Surtout pour
l’ambassadeur qu’il est désormais pour le Cameroun. Car ici plus qu’ailleurs
sans doute, le rythme est certes dans la peau, mais n’a pas encore été butiné
dans son entièreté. Vous avez dit travail titanesque ?
Richard
Bona, Bonafied, jazz, universal, avril 2013, 11 titres
Parfait
Tabapsi
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