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mercredi 10 juillet 2013

Richard Bona, la montagne de Minta

La pochette.
En 1996 dans un livre qui marqua les esprits, le critique camerounais Ambroise Kom mettait son lectorat en garde contre l’étiquetage. Cette tendance qui consiste à marquer un individu d’une étiquette en dehors de laquelle il n’est plus reconnaissable, et ne vaut donc plus grand-chose aux yeux de celui qui le juge souvent avec de fausses lunettes. Ce livre (Education et démocratie en Afrique, le temps des illusions, Paris, L’Harmattan) présentait des réflexions d’un universitaire sur les questions cruciales par temps de crise sociale généralisée en son pays. Une sonnette d’alarme qui a inspiré certains depuis et que le nouvel album de Richard Bona, disponible depuis quelques semaines, est venu rappeler.
Car avec «Bonafied» (Paris, Universal), difficile de classer le bassiste camerounais né à Minta voici 46 ans. Lui qui au fil des rencontres et des albums, c’est le 7è projet de studio, donnerait bien du fil à retordre à qui voudrait l’enfermer dans un genre particulier. A écouter les 11 titres, tout Camerounais sent bien qu’il est un compatriote, ne serait-ce qu’au niveau de la langue douala qu’il manie à merveille. Mais au-delà, difficile de dire s’il est de l’Est, du Littoral, du Centre ou de l’Ouest. Tant son socle géographique inspirateur embrasse toutes ces régions sans gêne ; mieux avec un certain génie.

A l’international, difficile de dire s’il fait du jazz, du blues, de la world ou de l’afro. Son génie est sans doute là : fédérer toutes ces fragrances et se faire aimer d’un bout à l’autre de cette planète finalement petite pour notre Bona qui a fait des rythmes latino une marque de fabrique lors de ses récents concerts. Une approche singulière et en phase avec l’art contemporain en général qui se veut sans frontières. Et qui a peut-être fait dire à un internaute sur Youtube, commentant la vidéo live de ‘Muléma’, un titre de «Bonafied», en compagnie d’un orchestre symphonique à Amsterdam, que le bassiste-percussioniste-chanteur-guitariste-body instrumentist-choriste était une montagne. Que les tenants de l’étiquetage à tout va auront du mal à contourner.


Richard Bona, le chercheur de Cameroun
Ceux qui ont suivi particulièrement ces deux dernières années le génie camerounais de la basse subodoraient que son prochain projet de studio sentira un doux parfum latino. Lui qui ne cesse ces temps derniers justement de tourner sur les scènes prestigieuses du monde avec l’orchestre dénommé Mandekan Cubano avec lequel il se donne à cœur joie dans cette esthétique qui n’est pas sans rappeler la terre qui l’a porté et qu’il ne cesse d’honorer au fil de ses albums solo, avec une détermination et une application qui frise une intrépidité de gladiateur.
Ces mélomanes donc ont été pris à contrepied avec ce cru 2013 au titre évocateur de Bonafied. Un jeu de mots à partir de l’expression latine «Bona Fide» (bonne foi), qui se traduit par «authentique» en anglais. Un contrepied qui reprend avant tout les constantes chères à ce musicien qui doit sans doute son ascension à la localité de Minta où son grand-père l’a initié aux mélodies et rythmes que l’adolescence et sa vie au-delà de son pays lui ont permis de mûrir. C’est d’ailleurs à ce grand-père maternel, Messanga, à qui d’ailleurs il avait fait un clin d’œil dans son premier opus, qu’il dédie ce projet, un peu dans la foulée du précédent qu’il dédia, en 2008, à sa mère. Une première constante qui en appelle une deuxième centrée sur le côté généreux de Richard Bona. Qui prend un malin plaisir à continuer à refuser d’autres chœurs que les siens, quitte à parfois en abuser sans toutefois lasser son auditoire. Ce qui néantise toute idée d’ego surdimensionné est que ces voix chez Bona sonnent comme une signature et non comme un penchant mégalomaniaque. Tout comme sa volonté de titiller plus d’un instrument que l’on peut interpréter comme une envie de voir les choses bien faites par le perfectionniste qu’il est. Sinon, comment expliquer qu’ici comme dans The ten shades of blues il ait fait appel à des instrumentistes comme le guitariste Sylvain Luc,  le jeune trompettiste Michael Rodriguez, avec qui il a fait le voyage de Yaoundé récemment, ou encore  le batteur Obed Calvaire -qui étaient déjà de la partie en 2009- pour des partitions précises sur des titres de ce nouvel album ?
L’autre constante c’est le recours quasi exclusif au Bana na é, la langue duala. Qu’il manipule jusque dans son intime subtilité avec les intonations qu’elle appelle et qu’il sait céder au français avec une transition quasi parfaite comme c’est le cas dans ‘Janjo La Maya’. Là c’est pour la forme.
Sur le fond, Bona s’appuie comme toujours sur les rythmes de chez lui, donnant corps à cette pensée du philosophe camerounais Fabien Eboussi Boulaga pour qui chacun s’exprime à partir de quelque part. A écouter Bona, on a comme l’impression qu’il dit au monde que son pays est un terreau où foisonnent des rythmes qui mériteraient attention tant leur pertinence rythmique ainsi que leur capacité à se laisser prendre par des thématiques divers plaident pour cela. Le dire c’est peut-être enfoncer des portes ouvertes, mais chez lui ces musiques ont un goût assez particulier, raffiné. ‘Mulema’ ou ‘Socopao’ sont à situer à cette aune là. En faisant un clin d’œil à celui-là qui vit le musicien en lui alors qu’il n’avait que trois ans, devait-il alors offrir des compositions plus dansantes ? L’histoire ne dit pas si Bona s’est posé la question, mais il n’est pas interdit d’imaginer qu’elle lui est passée à un moment ou à un autre par la tête. Lui en tout cas a décidé que cet hommage sera majoritairement acoustique, sans doute pour rappeler la pureté des rythmes de son terroir et la nature qui les accouche. N’y a qu’à bien écouter ‘Uprising of kindness’, ‘Mulema’ ou 'Tumba la Nyama' pour s’en rendre compte.
L’on ne saurait pour terminer ne pas relever ce penchant, cette corde sur laquelle tire Bona, au risque de la briser d’ailleurs, et qui consiste en un concert de voix, les siennes, qui sonnent comme des ritournelles propices aux soirées de conte au village ou aux réunions des femmes qui n’ont souvent que leurs voix pour tout instrument. Un art des voix qui n’est pas sans rappeler ces fameux «romans choraux» dont les Russes Alexandre Adamovitch et Svetlana Alexievitch ont fait une marque de fabrique et qui racontent, entre autres, les peines des femmes de soldats qui attendent, les yeux rivés vers l’horizon, et souvent en vain,  le retour annoncé des amours de leur vie. Les mélomanes seront sans doute dubitatifs devant cette proposition qu’il convient d’écouter plus d’une fois avant de se faire une opinion étayée, tant les subtilités qu’elle recouvre n’apparaissent pas à première vue. Un contre-pied qui au final n’en est une qu’à moitié si l’on pense à l’inscrire dans la lignée du travail artistique titanesque d’un Bona qui n’a décidément plus rien à prouver, mais à qui l’on demandera désormais de pousser son petit jeu encore plus loin. Surtout pour l’ambassadeur qu’il est désormais pour le Cameroun. Car ici plus qu’ailleurs sans doute, le rythme est certes dans la peau, mais n’a pas encore été butiné dans son entièreté. Vous avez dit travail titanesque ?
Richard Bona, Bonafied, jazz, universal, avril 2013, 11 titres
Parfait Tabapsi

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