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mercredi 16 décembre 2015

Symphonie dernière


Sur le terrain en Guinée Equatoriale
Mon cher Ateba
Où trouver les mots pour arriver au bout de cette missive dernière ? A l’heure d’entamer en effet la dernière ligne droite de tes adieux, je suis transi d’une angoisse indescriptible. Voici donc que nous allons nous séparer de ton corps et de tout ce qui faisait ta singularité. En cette heure forcément grave, permets-moi de troubler ta quiétude, toi qui a d’autres chantiers en ce moment pour pouvoir t’installer dans ce monde que nous ne voyons certes pas, mais que nous percevons au quotidien, et avec qui nous interagissons, même par omission.
Mon cher Ateba,
L’heure n’est peut-être pas aux blagues, mais comment oublier cette faconde que ton culot avait souvent le malin plaisir à nous jeter à la face ? Oui du temps de nos humanités à l’ESSTIC, tu n’as jamais manqué d’affronter la vie intenable qui était la tienne avec cette joie de vivre si rare de nos jours. C’était il y a plus de dix ans maintenant mais qui peut dire que tu as laissé tout cela au placard de ta vie du fait des rigueurs professionnelles ? Mais avant d’en venir à cette deuxième vie que j’aurais, durant tout son long, observé de l’extérieur, permets-moi à nouveau d’arpenter les sentiers de notre mémoire commune pour en extirper les bons moments et la philosophie consécutive.
Notre dernière rencontre remonte à il y a tout juste quelques semaines. La précédente quant à elle a eu lieu dans un hôtel de Yaoundé où nous étions tous deux en bleu de chauffe pour nos rédactions respectives. Toi tu suivais l’inlassable feuilleton des primes de nos sportives que le gouvernement tardait à régler, sans doute échaudé et malheureux des performances plus qu’honorables de nos vaillantes Lionnes du basket, finalistes de la compétition continentale qui avait lieu sur notre sol et qui avait un peu réconcilié le public d’avec un sport qu’il avait été réduit à ne voir qu’à la télévision. Moi, je prenais part à la 5è édition de la conférence africaine sur l’économie créative piloté par la toute puissante association Arterial Network basé en Afrique du Sud. Nous avions alors profité d’une rencontre impromptue au hall de l’hôtel pour prendre de nos nouvelles respectives, commenter un peu l’actualité et surtout entamé une réflexion, avec nos confrères journalistes sportifs, sur le sort de l’AJSC, l’association des journalistes sportifs culturels du Cameroun.
Quelques semaines plus loin, je te hélai au lieu-dit Poste centrale à Yaoundé. En face de la CAMTEL où j’ai mes habitudes avec mes potes vendeurs de livres et magazines étalés à même le sol, la librairie par terre pour emprunter à une terminologie qui fit flores en son temps. J’y prenais une pause-échanges avec ces derniers lorsque je te vis venir de l’arrêt bus qui jouxte la tribune présidentielle du Boulevard du 20 mai. Tu me reconnus et de suite un sourire fit son apparition sur ton visage. Visage pas gai du tout, je dirais même triste. Tu avais une culotte de couleur beige et un tee-shirt dont j’ai oublié la couleur et qui t’enserrai rageusement le torse. Je n’eus guère le temps de prendre vraiment de tes nouvelles, heureux de te revoir. Déjà, je te présentais à mes amis en tes qualités de chef de rubrique au quotidien Le Jour. Cela pour mieux introduire un sujet qui me tenait à cœur : te permettre de te procurer à des prix incroyables ce qui peut paraître comme une bible pour les journalistes de ta trempe sous nos cieux à savoir le fameux quotidien français du sport et de l’automobile L’Equipe. D’ailleurs, tu achetas le numéro en cours qui datait du jour précédent. Sur ce, tu pris congé. Et moi je restais planté là, un peu surpris de cette séparation qui m’apparut brusque. Je ne savais pas alors que c’était notre dernière rencontre. Plus encore, j’étais à mille lieues d’imaginer qu’une sale maladie te rongeait déjà, bien que ton physique alors, et rétrospectivement, en avait déjà annoncé les prémisses.

A son bureau
Mon cher Ateba,
C’est dans la chaleur de Bafoussam que j’ai appris ton décès, qui me parut soudain, le dimanche 6 décembre. J’étais dans le car de transport de retour de Foumban, haut lieu de la culture. Des posts crépitaient dans mon téléphone portable et j’avais du mal à y croire. J’étais alors épuisé par trois jours d’atelier avec le choc des rencontres qui en est le corollaire. Atelier que la Cameroon Art Critics (CAMAC), que je préside depuis cinq ans, avait organisé au centre d’art contemporain Bandjoun Station avec le partenariat du Goethe Institut Kamerun. Je fus saisi d’un sentiment difficile à décrire, à chemin entre la surprise et la peine. Une douleur me traversa sur le chemin de retour à Bandjoun Station où j’avais encore une nuit à passer. La nuit durant, je cherchai en vain le sommeil, taraudé par une douleur intenable. Au petit matin, il fallait pourtant continuer mon programme avec une visite à Dschang où des rendez-vous m’attendaient, puis à Bafoussam où la famille me souhaitait depuis un bon moment. Les jours suivants allaient accroître cette peine avec des coups de fil de la famille que nous avions commencé à constituer à l’ESSTIC avec des noms comme Beaugas-orain Djoyum, Manyanye Paul Ikome, Assongmo Necdem, Stève Libam, Michèle Wandji Ngosso, Patricia Ngo Ngouem ou Muriel Edjo Bidjo. A chaque fois, on s’étonnait de ce départ subit. Moi un peu moins, parce que j’avais croisé ton patron quelques jours plutôt à une réception à Yaoundé consécutive à la soutenance de thèse d’un frère qui jadis fut ton collègue. Il m’avait alors narré avec une verve mâtinée de commisération la situation qui était la tienne, toi qui avais été comme embastillé par ta famille nucléaire. Il ne manqua pas de s’étonner de pareille situation avant de lâcher qu’il ferait tout son possible pour te permettre de vivre à nouveau. Nous nous séparâmes au bout de la nuit avec pour moi le sentiment que ces paroles entreraient en action pour te sauver la mise. Hélas !

Mon cher Ateba,
Te souviens-tu de notre compagnonnage à l’ESSTIC ? Moi je me souviens de quelques moments forts et donc inoubliables. Comment ne pas inaugurer ce chapitre par le courage qui était le tien dans ta posture professionnelle ? Oui, je me souviens de cette aventure de Campus Plus, le magazine que nous réalisâmes en 3è année pour le compte de l’ESSTIC et pour lequel tu te chargeas de faire un reportage sur les veillées dans les familles les soirs de Champion’s League européenne. Ou encore de cette interview de Joseph-Antoine Bell que tu promis avant d’aller cueillir à Douala pour le compte de l’émission Médias d’Afrique alors animé par notre compatriote Alain Foka à Radio France International. On était alors en 2007 et RFI avait décidé de lancer ses programmes depuis notre campus et nous devions, contrairement à ce qui fut écrit à l’époque, imaginer et produire des contenus de notre cru. Ce fut un exercice, rétrospectivement, de haute valeur journalistique, au grand dam de nos propres enseignants qui ne vendaient pas cher notre peau ! Tu apportas donc du tien pour ce programme dont la thématique surfait sur les vagues de la sorcellerie dans les milieux du foot au Cameroun.
Mais avant la 3è année et ces faits d’armes de jeune reporter sportif, tu nous avais donné à voir l’étendue de tes capacités. Avec le recul, je n’arrive pas à réaliser comment je pus laisser le soin à d’autres de te coiffer d’un sobriquet alors que j’avais auparavant fait mes preuves envers d’autres camarades (n’est-ce pas sénateur Tjombé, Miss Gombo, Miss Mfou, Miss Akeuk, Thatcher ou Sir Ikomè ?). Avec toi pourtant, j’eus rapidement des atomes crochus du fait de ton penchant pour la culture (le surnom de L’artiste l’atteste d’ailleurs). Tu me révélais alors que Georges Minyem était ton oncle. On en profita à certaines pauses pour également évoquer la FM 105 où avait travaillé l’un des tiens, Corneille Minyem pour ne pas le citer. Evidemment, nous parlâmes de foot tout au long des trois années. Occasion où tu mis à rude épreuve ma connaissance de ce sport qui une décade plus tôt, et pendant plusieurs années, fût ma tasse de bouillie, avec pour pic le Mondial états-unien de 1994 où je risquais mon bacc en suivant jusque tard dans la nuit les retransmissions des matchs des Lions.

Dans le combat pour un journalisme plus respecté
Mon cher Ateba,
Durant ces années, je fus marqué par ton élégance avec ces chemises à ras-le corps assorties de cravates flamboyantes ; de ces jaquettes en coton avec ce feutre tout aussi sombre sur la tête ; ou encore ces costumes quatre pièces que tu avais le chic de mettre certains jours pour prendre à contrepied ceux de tes admirateurs qui appréciaient tes culottes et pantalons jeans près du corps. Tout le long, tu nous inondas de cette bonne humeur aux antipodes de la situation difficile qui était alors la tienne. Une sorte de stoïcisme salvateur qui allait, couplé à ta détermination, te permettre de terminer ce premier cycle de l’ESSTIC d’un trait. Comment ne pas évoquer aussi ton impertinence, qualité première de notre métier s’il en est, vis-à-vis même de nos enseignants ? Je me souviens de cette causerie en 1ère année où tu me faisais savoir combien tu ne supportais pas que nos enseignants soient les premiers à faire la cour à nos camarades filles. Non parce que tu y voyais une quelconque concurrence, mais parce que tu estimais la différence d’âge énorme. Et tu ne manquais pas de le faire savoir à ta manière, soulevant au passage l’ire de quelque enseignant-soupirant !
De ces années, mon regret le plus grand aura été de ne pas trouver suffisamment d’arguments pour t’attirer dans la famille que nous avions pourtant commencé à mettre en place. Et pourtant, tu fus l’un des plus enthousiastes lorsqu’en 3è année, anticipant sur une éventuelle dispersion, on avait décidé de nous retrouver dans un cadre plus familial pour nous entraider. Tout en cherchant les idées pour mieux faire le métier qu’on avait aimé et appris. Je me souviens encore de cette soirée où tu nous menas jusqu’à l’une de tes connaissances au quartier Manguiers à la rencontre d’un informaticien qui allait nous aider pour notre site internet. Ou encore de cette journée que nous passâmes chez toi à Anguissa où tu nous promis une pièce pour installer nos futurs bureaux. Aujourd’hui, je pense que si cette relation s’était poursuivie normalement, peut-être que ton destin aurait pu être autre. Plus d’une fois dans le cadre de nos retrouvailles en famille, j’ai déploré ton absence tout comme celle de la sœur Agnès Sylvienne Andzama. Et plus d’une fois, j’ai essayé de te ramener, avec un insuccès qui résonnera toujours dans ma mémoire comme une créance impayable.

Mon cher Ateba,
A l’heure de te dire au-revoir donc, je me rappelle de toutes ces images et de ces leçons de courage. Un dernier élément cependant : ton rire dont l’éclat, ou le sanglot c’est selon, portait une charge violente certes, mais significative de la dureté que la vie ici-bas avait réservé pour toi. Le temps est donc venu alors que tu entreprends ce voyage avant nous de connaître l’autre face de cette dualité. Puisses-tu, mon cher Ateba, connaître encore plus de joie et irradier de ta présence joyeuse nos quotidiens plus souvent fades au moment même où la nécessité de sauver la planète physique s’impose. Cela nous sera d’autant plus important que nous avons, tous de la promo, un sort à conjurer : la fatidique date du 06 qui nous a déjà pris, souviens-t’en, Lize Mireille Yango. C’était en septembre 2006. Bien vouloir, ultime supplique, lui transmettre nos salutations de terriens qui n’oublient pas qu’en 2004 naissait une autre famille à laquelle nous n’avons plus le droit de tourner le dos. Au-revoir mon cher Ulrich Fabrice Ateba Biwolé !

Parfait Tabapsi, condisciple, rédacteur en chef du magazine Mosaïques 

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