Littérature
Cilas Kemedjio, USA, 2013. |
L’auteur
analyse ici le contexte de production de la somme et dit son souhait
de se mettre à la disposition de son pays dans son champ de
compétence qu’est la critique littéraire.
Pourquoi
la publication du livre a-t-elle pris du retard ?
Je vous
remercie de l’intérêt que vous portez à cette première édition
des textes originaux du Parlement. Votre question présuppose qu’il
existerait des délais par rapport auxquels le texte aurait pris un
retard. Je voudrais donc aborder votre question, non pas sous l’angle
de quelque délai que ce soit, mais de l’opportunité de la
publication des textes en 2013. Les textes du Parlement ont été
publiés sous une forme une autre par les journaux tels que La
Nouvelle expression,
Le
Messager,
Le
Combattant
ou encore Peuples
Noirs-Peuples Africains,
revue fondée et dirigée par Mongo Beti. Les textes non publiés par
ces journaux ont fait l’objet d’une distribution pour ainsi dire
confidentielle. Je voudrais aussi signaler que nous n’avons jamais
placé de restriction sur la publication de ces textes. Nous les
considérons comme faisant partie du patrimoine public de
l’intelligence camerounaise et africaine. Toute personne physique
ou morale aurait pu et peut les publier. Nous ne revendiquons aucun
droit d’auteur restrictif. La troisième raison se trouve dans le
fait que ces textes avaient été écrits pour formuler les
revendications des étudiantes et étudiants. Au départ, il
n’existait aucune intention et encore moins un programme de les
transformer en publication cohérente. Ceci dit, je dois dire que
l’idée de la publication m’est venue en lisant les reportages
des journaux camerounais sur les mouvements de protestations à
l’Université il y a quelques années. J’ai lu quelque part que
ces étudiantes et étudiants se battaient pour avoir des toilettes
décentes. Je me suis dit qu’on était tombé très bas. En effet,
si les toilettes manquent, comment peut-on imaginer que les
bibliothèques soient fonctionnelles, que les enseignements soient à
la hauteur de ce qu’on peut attendre d’une Université. Je me
suis aussi dit que ces étudiants n’avaient peut-être pas de
mémoire historique pouvant guider leurs protestations. J’ai donc
décidé à ce moment de rassembler ces textes dans une édition
pouvant permettre aux activistes et chercheurs d’avoir ces textes.
L’idée remonte à environ cinq ans. J’ai pris le temps pour
faire des recherches au Cameroun (surtout dans les archives du
journal Cameroon
Tribune),
de lire les textes écrits sur le Parlement, y compris la mémorable
version
qu’en
donne Francis Nkeme dans «Le
Cimetière des bacheliers»
et de rassembler les textes nécessaires. La présente édition
découle de cette intention et de ce travail.
Vous
commencez votre introduction avec la figure de l’artiste Lapiro de
Mbanga qui, à vous lire, a été un traître à la cause des
opprimés. Et du coup l’on a envie de vous demander si le
Parlement a lui aussi connu ses Judas et comment vous en êtes
venu à bout dans votre lutte pour un mieux être des étudiants à
l’époque.
La
traîtrise est pour ainsi dire fondatrice de la conscience
patriotique camerounaise. Je vous renvoie aux discours de Ruben Um
Nyobé qui établit une classification des militants de
l’indépendance. Mongo Beti, un des derniers rubénistes, estimait
qu’il fallait mettre les traîtres en quarantaine pour éviter que
le virus qui les frappait ne contamine toute la tribu de la
résistance. Ses joutes avec Hogbe Nlend tournaient autour de cette
question éthique. La traîtrise fait partie de la structuration des
mouvements progressistes. Elle permet de protéger la pureté de
l’idéal quand elle ne devient pas souvent le prétexte des
règlements de compte ou des positions alimentaires. La pathétique
fragmentation de l’Union des Populations du Cameroun n’est pas
étrangère au débat sur les vrais ou les faux héritiers de la
conscience patriotique. Je n’ai pas conscience, parmi les
parlementaires de la lettre, de quelque soupçon de traîtrise. En ce
qui est du Parlement dans son ensemble, je n’ai pas la compétence
nécessaire pour répondre à cette question.
A
vous lire, l’on ne saisit pas bien comment s’organisait le
Parlement. Il y a bien sûr nombre d’éléments sur la stratégie,
mais l’on ne sait pas en refermant le livre si le «Parlement de la
plume» était une composante du Parlement-association ou une
excroissance d’icelui. Pouvez-vous nous éclairer sur ce point
capital dans la compréhension du livre et des événements de
l’époque ?
J’aime
beaucoup le titre de votre magazine, Mosaïques.
La mosaïque est un patchwork, un assemble de fragments. Le travail
de composition doit avoir cependant un objectif clairement
identifiable. Le Parlement était, à mon avis, une mosaïque qui
fédérait un front de résistances au sein de l’Université. Il y
avait clairement un leadership qui a impulsé le mouvement et qui a
tant bien que mal assuré la coordination. Je n’appartenais pas à
cette cellule dirigeante. En parler serait de la pure imposture. J’ai
la conviction, comme le suggérait
Paul
Aarons Ngomo dit Fanon,
dans un échange que j’ai eu avec lui, que le véritable héros de
ces mouvements fut et demeure le parlementaire anonyme. Toute
étudiante ou tout étudiant qui militait au Parlement avait des
raisons personnelles de le faire. La force du Parlement vient de la
mise en commun de ces convictions. Les forces de répression,
habituées au culte du dictateur unique, ont passé leur temps en
vain à poursuivre les leaders du Parlement. Ils ont dépensé
vainement leurs énergies à rechercher les forces de l’ombre qui
manipulaient les étudiantes et étudiants. Une telle approche s’est
avérée désuète devant la force des parlementaires anonymes. Vers
la fin, la chasse indiscriminée à l’étudiant montre bien que le
bras armé de la dictature avait pris conscience de l’inadéquation
de ses méthodes surannées. L’expression «parlementaires de la
plume» a été lancée pour la première fois par une de nos amies.
Je crois que c’était après un meeting du Parlement au complexe
Mateco. Les parlementaires de la plume n’étaient certainement pas
une excroissance du parlement, encore moins une cellule de base ou
une sous-section. Les parlementaires de la plume existaient avant le
parlement. L’hommage à Mongo Beti cristallise en quelque sorte
l’existence de ce groupe composé à l’époque d’étudiants de
maîtrise ou de doctorat qui avait l’habitude d’écrire des
articles dans la presse indépendante et même dans Cameroon Tribune.
C’est parce que nous nous connaissions bien que nous avons pu
devenir si facilement une composante autonome voire indépendante du
Parlement. Nous l’avons fait avec détermination et conviction,
mais sans autre allégeance qu’à notre conscience et notre
intelligence.