Théâtre
Jean Felhyt Kimbirima, juin 2013, Yaoundé. |
Pour
qui n’a pas lu Sony Labou Tansi, le comédien et metteur en scène Jean Felhyt
Kimbirima nous l’a rappelé avec force lors d’une adaptation de son texte Le
point virgule. Et cela au cours d’une soirée où le public avait répondu présent
comme souvent au cours de cette semaine théâtrale qui, sans peut-être rentrer
dans les anales, n’en constituera pas moins un moment important de la vie de
cet art dans un pays où il a par le passé écrit de belles pages.
Sur
la scène de l’IFC de Yaoundé, Kirima a su donner toute la tension que charrie
ce texte. Cela en interprétant avec empathie et détermination le personnage de
Zenouka qui souffre dans sa chair d’avoir été la main qui a mis fin au séjour
sur terre son frère d’arme, le colonel
Adinoso. Un Adinoso qui, sans doute pour étendre son pouvoir, avait cocufié son
bourreau au point de lui faire deux enfants dans le dos avec son épouse Yvonne.
Et avant de tomber sous les balles, il le fera savoir à Zenouka dont la vie
sera transformée à jamais dans la foulée. Cela parce que ce dernier n’arrive
plus à donner la pleine mesure de son amour à son épouse en qui il voit et sent
la souillure d’Adinoso ; un ressenti qui l’empêche d’assurer comme il se
doit son devoir conjugal. Au point où, par amour, il assassinera sa chère
Yvonne, croyant retrouver ainsi une ataraxie qui lui manquait tant. Une erreur
dont il s’apercevra par la suite avant lui aussi de sombrer dans une descente
aux enfers que le comédien laissera au public d’imaginer la fin.
Avec
son jeu tout en justesse, le Congolais Kirima a tenté et réussi le pari de
rendre intelligible un Tansi que l’on sait difficile. Et ce n’est pas le
moindre mérite d’un comédien qui a su se muer également en plusieurs
personnages. Le plus fort aura été sa capacité à inoculer au spectateur toute
la tension et le tourment existentiel d’un Zenouka qui finalement n’était qu’un
simple humain sous son uniforme et son arme. C’est sans doute ce qui a expliqué
le costume, le plus simple appareil, du comédien. Une vanité en somme d’un
pouvoir terrien finalement infime ou insignifiant devant le pouvoir d’un mort,
fût-il absent. Et c’est là sans doute la leçon de ce spectacle où le dialogue
métaphysique et physique se mêlait dans une harmonie que seul peut permettre le
théâtre total cher aux Africains. De voir ainsi le mort s’installer dans le
mental, voire la conscience d’un vivant renforce le postulat de Birago Diop sur
ces ancêtres qui sont toujours parmi nous et à qui nous devons respect et
considération.
Ce
qui est loin d’être l’apanage de ces citadins de plus en plus nombreux qui
parsèment les contrées d’Afrique et sont en prise avec les us d’ailleurs qui
les confortent dans un hybridisme finalement de mauvais aloi pour l’avenir.
Faut-il dès lors craindre une certaine déréliction ? Le spectacle en met
en tout cas en garde. Surtout quand on entend Zenouka lâcher dans un dépit existentiel :
«en mourant, le colonel Adinoso a tué un vivant, et ce vivant c’est moi». C’est
dire combien notre sort est lié à ceux des nôtres qui nous précèdent dans
l’au-delà où la vie se poursuit en parallèle à cette terre qui n’est pas
finalement simplement de la poussière. Au bout de cinquante minutes, on sort de
ce Point virgule transi, non pas de peur, mais de la détermination à avoir plus
de considération pour les absents dont le pouvoir est plus grand qu’on ne le
croit, mais également pour Tansi que l’on se décide de parcourir à nouveau,
plus de 20 ans après sa disparition.
Parfait Tabapsi