Sur le terrain en Guinée Equatoriale |
Mon cher
Ateba
Où trouver les mots pour
arriver au bout de cette missive dernière ? A l’heure d’entamer en effet
la dernière ligne droite de tes adieux, je suis transi d’une angoisse
indescriptible. Voici donc que nous allons nous séparer de ton corps et de tout
ce qui faisait ta singularité. En cette heure forcément grave, permets-moi de
troubler ta quiétude, toi qui a d’autres chantiers en ce moment pour pouvoir
t’installer dans ce monde que nous ne voyons certes pas, mais que nous
percevons au quotidien, et avec qui nous interagissons, même par omission.
Mon cher Ateba,
L’heure n’est peut-être pas
aux blagues, mais comment oublier cette faconde que ton culot avait souvent le
malin plaisir à nous jeter à la face ? Oui du temps de nos humanités à
l’ESSTIC, tu n’as jamais manqué d’affronter la vie intenable qui était la
tienne avec cette joie de vivre si rare de nos jours. C’était il y a plus de
dix ans maintenant mais qui peut dire que tu as laissé tout cela au placard de
ta vie du fait des rigueurs professionnelles ? Mais avant d’en venir à
cette deuxième vie que j’aurais, durant tout son long, observé de l’extérieur,
permets-moi à nouveau d’arpenter les sentiers de notre mémoire commune pour en
extirper les bons moments et la philosophie consécutive.
Notre dernière rencontre
remonte à il y a tout juste quelques semaines. La précédente quant à elle a eu
lieu dans un hôtel de Yaoundé où nous étions tous deux en bleu de chauffe pour
nos rédactions respectives. Toi tu suivais l’inlassable feuilleton des primes
de nos sportives que le gouvernement tardait à régler, sans doute échaudé et
malheureux des performances plus qu’honorables de nos vaillantes Lionnes du
basket, finalistes de la compétition continentale qui avait lieu sur notre sol
et qui avait un peu réconcilié le public d’avec un sport qu’il avait été réduit
à ne voir qu’à la télévision. Moi, je prenais part à la 5è édition de la
conférence africaine sur l’économie créative piloté par la toute puissante
association Arterial Network basé en Afrique du Sud. Nous avions alors profité
d’une rencontre impromptue au hall de l’hôtel pour prendre de nos nouvelles
respectives, commenter un peu l’actualité et surtout entamé une réflexion, avec
nos confrères journalistes sportifs, sur le sort de l’AJSC, l’association des
journalistes sportifs culturels du Cameroun.
Quelques semaines plus loin,
je te hélai au lieu-dit Poste centrale à Yaoundé. En face de la CAMTEL où j’ai
mes habitudes avec mes potes vendeurs de livres et magazines étalés à même le
sol, la librairie par terre pour emprunter à une terminologie qui fit flores en
son temps. J’y prenais une pause-échanges avec ces derniers lorsque je te vis
venir de l’arrêt bus qui jouxte la tribune présidentielle du Boulevard du 20
mai. Tu me reconnus et de suite un sourire fit son apparition sur ton visage.
Visage pas gai du tout, je dirais même triste. Tu avais une culotte de couleur
beige et un tee-shirt dont j’ai oublié la couleur et qui t’enserrai rageusement
le torse. Je n’eus guère le temps de prendre vraiment de tes nouvelles, heureux
de te revoir. Déjà, je te présentais à mes amis en tes qualités de chef de
rubrique au quotidien Le Jour. Cela pour mieux introduire un sujet qui me
tenait à cœur : te permettre de te procurer à des prix incroyables ce qui
peut paraître comme une bible pour les journalistes de ta trempe sous nos cieux
à savoir le fameux quotidien français du sport et de l’automobile L’Equipe.
D’ailleurs, tu achetas le numéro en cours qui datait du jour précédent. Sur ce,
tu pris congé. Et moi je restais planté là, un peu surpris de cette séparation
qui m’apparut brusque. Je ne savais pas alors que c’était notre dernière
rencontre. Plus encore, j’étais à mille lieues d’imaginer qu’une sale maladie
te rongeait déjà, bien que ton physique alors, et rétrospectivement, en avait
déjà annoncé les prémisses.
A son bureau |
Mon cher Ateba,
C’est dans la chaleur de
Bafoussam que j’ai appris ton décès, qui me parut soudain, le dimanche 6
décembre. J’étais dans le car de transport de retour de Foumban, haut lieu de
la culture. Des posts crépitaient dans mon téléphone portable et j’avais du mal
à y croire. J’étais alors épuisé par trois jours d’atelier avec le choc des
rencontres qui en est le corollaire. Atelier que la Cameroon Art Critics
(CAMAC), que je préside depuis cinq ans, avait organisé au centre d’art contemporain
Bandjoun Station avec le partenariat du Goethe Institut Kamerun. Je fus saisi
d’un sentiment difficile à décrire, à chemin entre la surprise et la peine. Une
douleur me traversa sur le chemin de retour à Bandjoun Station où j’avais
encore une nuit à passer. La nuit durant, je cherchai en vain le sommeil,
taraudé par une douleur intenable. Au petit matin, il fallait pourtant
continuer mon programme avec une visite à Dschang où des rendez-vous
m’attendaient, puis à Bafoussam où la famille me souhaitait depuis un bon
moment. Les jours suivants allaient accroître cette peine avec des coups de fil
de la famille que nous avions commencé à constituer à l’ESSTIC avec des noms
comme Beaugas-orain Djoyum, Manyanye Paul Ikome, Assongmo Necdem, Stève Libam,
Michèle Wandji Ngosso, Patricia Ngo Ngouem ou Muriel Edjo Bidjo. A chaque fois,
on s’étonnait de ce départ subit. Moi un peu moins, parce que j’avais croisé
ton patron quelques jours plutôt à une réception à Yaoundé consécutive à la
soutenance de thèse d’un frère qui jadis fut ton collègue. Il m’avait alors
narré avec une verve mâtinée de commisération la situation qui était la tienne,
toi qui avais été comme embastillé par ta famille nucléaire. Il ne manqua pas
de s’étonner de pareille situation avant de lâcher qu’il ferait tout son
possible pour te permettre de vivre à nouveau. Nous nous séparâmes au bout de
la nuit avec pour moi le sentiment que ces paroles entreraient en action pour
te sauver la mise. Hélas !
Mon cher Ateba,
Te souviens-tu de notre
compagnonnage à l’ESSTIC ? Moi je me souviens de quelques moments forts et
donc inoubliables. Comment ne pas inaugurer ce chapitre par le courage qui
était le tien dans ta posture professionnelle ? Oui, je me souviens de
cette aventure de Campus Plus, le
magazine que nous réalisâmes en 3è année pour le compte de l’ESSTIC et pour
lequel tu te chargeas de faire un reportage sur les veillées dans les familles
les soirs de Champion’s League européenne. Ou encore de cette interview de
Joseph-Antoine Bell que tu promis avant d’aller cueillir à Douala pour le
compte de l’émission Médias d’Afrique alors animé par notre compatriote Alain
Foka à Radio France International. On était alors en 2007 et RFI avait décidé
de lancer ses programmes depuis notre campus et nous devions, contrairement à
ce qui fut écrit à l’époque, imaginer et produire des contenus de notre cru. Ce
fut un exercice, rétrospectivement, de haute valeur journalistique, au grand
dam de nos propres enseignants qui ne vendaient pas cher notre peau ! Tu
apportas donc du tien pour ce programme dont la thématique surfait sur les
vagues de la sorcellerie dans les milieux du foot au Cameroun.
Mais avant la 3è année et ces
faits d’armes de jeune reporter sportif, tu nous avais donné à voir l’étendue
de tes capacités. Avec le recul, je n’arrive pas à réaliser comment je pus
laisser le soin à d’autres de te coiffer d’un sobriquet alors que j’avais
auparavant fait mes preuves envers d’autres camarades (n’est-ce pas sénateur
Tjombé, Miss Gombo, Miss Mfou, Miss Akeuk, Thatcher ou Sir Ikomè ?). Avec
toi pourtant, j’eus rapidement des atomes crochus du fait de ton penchant pour
la culture (le surnom de L’artiste l’atteste d’ailleurs). Tu me révélais alors
que Georges Minyem était ton oncle. On en profita à certaines pauses pour
également évoquer la FM 105 où avait travaillé l’un des tiens, Corneille Minyem
pour ne pas le citer. Evidemment, nous parlâmes de foot tout au long des trois
années. Occasion où tu mis à rude épreuve ma connaissance de ce sport qui une
décade plus tôt, et pendant plusieurs années, fût ma tasse de bouillie, avec
pour pic le Mondial états-unien de 1994 où je risquais mon bacc en suivant
jusque tard dans la nuit les retransmissions des matchs des Lions.
Dans le combat pour un journalisme plus respecté |
Mon cher Ateba,
Durant ces années, je fus
marqué par ton élégance avec ces chemises à ras-le corps assorties de cravates
flamboyantes ; de ces jaquettes en coton avec ce feutre tout aussi sombre
sur la tête ; ou encore ces costumes quatre pièces que tu avais le chic de
mettre certains jours pour prendre à contrepied ceux de tes admirateurs qui
appréciaient tes culottes et pantalons jeans près du corps. Tout le long, tu
nous inondas de cette bonne humeur aux antipodes de la situation difficile qui
était alors la tienne. Une sorte de stoïcisme salvateur qui allait, couplé à ta
détermination, te permettre de terminer ce premier cycle de l’ESSTIC d’un
trait. Comment ne pas évoquer aussi ton impertinence, qualité première de notre
métier s’il en est, vis-à-vis même de nos enseignants ? Je me souviens de
cette causerie en 1ère année où tu me faisais savoir combien tu ne
supportais pas que nos enseignants soient les premiers à faire la cour à nos
camarades filles. Non parce que tu y voyais une quelconque concurrence, mais
parce que tu estimais la différence d’âge énorme. Et tu ne manquais pas de le
faire savoir à ta manière, soulevant au passage l’ire de quelque
enseignant-soupirant !
De ces années, mon regret le
plus grand aura été de ne pas trouver suffisamment d’arguments pour t’attirer
dans la famille que nous avions pourtant commencé à mettre en place. Et
pourtant, tu fus l’un des plus enthousiastes lorsqu’en 3è année, anticipant sur
une éventuelle dispersion, on avait décidé de nous retrouver dans un cadre plus
familial pour nous entraider. Tout en cherchant les idées pour mieux faire le
métier qu’on avait aimé et appris. Je me souviens encore de cette soirée où tu
nous menas jusqu’à l’une de tes connaissances au quartier Manguiers à la
rencontre d’un informaticien qui allait nous aider pour notre site internet. Ou
encore de cette journée que nous passâmes chez toi à Anguissa où tu nous promis
une pièce pour installer nos futurs bureaux. Aujourd’hui, je pense que si cette
relation s’était poursuivie normalement, peut-être que ton destin aurait pu
être autre. Plus d’une fois dans le cadre de nos retrouvailles en famille, j’ai
déploré ton absence tout comme celle de la sœur Agnès Sylvienne Andzama. Et
plus d’une fois, j’ai essayé de te ramener, avec un insuccès qui résonnera
toujours dans ma mémoire comme une créance impayable.
Mon cher Ateba,
A l’heure de te dire au-revoir
donc, je me rappelle de toutes ces images et de ces leçons de courage. Un
dernier élément cependant : ton rire dont l’éclat, ou le sanglot c’est
selon, portait une charge violente certes, mais significative de la dureté que
la vie ici-bas avait réservé pour toi. Le temps est donc venu alors que tu
entreprends ce voyage avant nous de connaître l’autre face de cette dualité.
Puisses-tu, mon cher Ateba, connaître encore plus de joie et irradier de ta
présence joyeuse nos quotidiens plus souvent fades au moment même où la
nécessité de sauver la planète physique s’impose. Cela nous sera d’autant plus
important que nous avons, tous de la promo, un sort à conjurer : la
fatidique date du 06 qui nous a déjà pris, souviens-t’en, Lize Mireille Yango.
C’était en septembre 2006. Bien vouloir, ultime supplique, lui transmettre nos
salutations de terriens qui n’oublient pas qu’en 2004 naissait une autre
famille à laquelle nous n’avons plus le droit de tourner le dos. Au-revoir mon
cher Ulrich Fabrice Ateba Biwolé !
Parfait Tabapsi, condisciple, rédacteur en chef du
magazine Mosaïques