Jean-Pierre Bekolo, Tunis, novembre 2012.@ Tabapsi |
«Il y a
des gens bizarres dans ce quartier». Oui, au quartier Mozart, il se passe des
choses pas claires, sordides. A tel point que les spectateurs, tout comme les
personnages qui défilent à l’écran, ne s’ennuient guère. Dans ce quartier qui
ressemble à nombre d’autres des grandes bourgades africaines, la sorcellerie
rentre en collision avec le sexe et la vie ordinaire pour produire un cocktail
détonnant et épicé, un peu comme si la vie au final n’y tenait pas à
grand-chose, surtout pas à la grandeur supposée ou réelle des habitants.
Avec ce
premier film, Pascal Bekolo, qui depuis a ressuscité son 2è nom Obama, a frappé
un coup à plusieurs impacts. Il y a d’abord cette manie au montage qui consiste
à présenter les personnages par eux-mêmes comme une mise en bouche avant le
show. Le spectateur qui loupe cette entrée là aura du mal à bien cerner le film
qui peut alors commencer tout en douceur avec ce dialogue fondateur entre une
femme et une fillette qui seront toutes deux transformées en homme et ado par
la suite. Et c’est là le 2è élément particulier de Bekolo qui transporte le
spectateur dans les dédales du quartier à travers les yeux des deux mâles.
Mais la
touche qui nous semble la plus intéressante ici c’est d’une part l’intrusion de
la photographie en plein milieu de la narration. Des images animées par des
dialogues écrits, un peu comme des légendes, et qui ont le mérite de ne pas
casser le rythme du récit tout en apportant une touche de fraîcheur et
d’étonnement à la fois. D’autre part, il y a ces 15 secondes de noir, avec en
fond les échanges, au cours desquelles la télévision de Chien méchant
disparaît. Une trouvaille qui contribue à rajouter la tension à l’intrigue. Au
passage, le jeune réalisateur, il a alors 25 ans, fustige, bien qu’en douceur,
ce goût des églises occidentales pour l’argent comme on peut le voir au cours
du dialogue entre Chien méchant et le prête appelé au secours pour bénir sa
maison. Et là, faut être très attentif pour apercevoir la carte des tarifs de
prestation de l’homme de Dieu au mur.
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L'affiche du film. |
Avec ce
film également, l’on se rend compte qu’en plus des bizarreries des personnages
et la métaphysique qui sont l’apanage des quartiers de chez nous, il y a une
sorte d’oisiveté qui sourd des profils des personnages principaux. Qui peut
ainsi dire de quoi vivent Montype, Kongossa ou Kapo ? Une oisiveté qui ne
confine pas à l’ennui, mais qui sonne comme une harmonie avec cet espace
citadin où les infrastructures de base manquent. Il n’y a ainsi que le
commissariat qui est montré –au moment où la femme de Chien méchant va s’ouvrir
au patron d’icelui quand elle est répudiée. Quid des écoles et lycées, des
centres de santé ou encore des infrastructures de loisirs comme les cinémas, les
bibliothèques ou les parcs d’attraction ? Une question d’autant plus
lancinante qu’une bonne partie du film se joue dans une boutique et qu’une
scène vers la fin a pour théâtre un bar.
Avec ce
film aussi, Bekolo fait étalage de sa capacité à écrire des dialogues dans une
langue que les Camerounais ne connaissent que trop bien et qui est une mixture
du français et des langues locales. C’est même la force du film, en concurrence
peut-être avec le montage. Les répliques successives sont à mourir de rire et traduisent
efficacement une narration parfois trépidante, mais globalement maîtrisée. L’on
sort du film ému, touché, mais pensif également. Surtout 20 ans plus loin car
depuis la sortie, le paysage est loin d’avoir évolué de manière satisfaisante.
L’oisiveté est toujours de mise et les infrastructures de proximité sont
toujours attendus ou alors dans certains cas attendent de fonctionner
correctement. Une cruelle leçon pour une Afrique qui donne quelquefois
l’impression de faire fi du bien être de ses habitants.
Parfait Tabapsi
Pascal Bekolo Obama
Aux sources du projet
Quartier
Mozart pour moi c’est le film finalement. Je suis parti d’un concept. J’avais
des personnages assez forts et me suis dit que j’allais créer un univers vivant
inspiré de quartiers que je connaissais très bien au Cameroun. Le titre n’était
pas un hasard, vu qu’un quartier Mozart existe à Douala, un quartier très
chaud. Je devais avoir un vague souvenir de ce quartier. J’ai d’ailleurs un
jour croisé Manu Dibango qui m’a dit «tu es trop jeune pour connaître le
quartier Mozart» ! Ce vague souvenir, qui n’en était pas un en fait, s’est
mélangé à ce concept de faire un quartier vivant où les personnages seraient
assez forts et où le thème central serait le sexe, mieux la relation homme
femme sous toutes les coutures. J’ai joué avec tout ça mais l’idée pour moi
c’était d’avoir un titre qui aurait une référence pour les Occidentaux, mais
qui ne serait pas la même pour les Camerounais.
Quand
on dit «quartier Mozart» au Cameroun, tout le monde pense à ce quartier mais
personne ne pense au compositeur Mozart. Je trouvais cela bien, car c’est cela
même l’esprit du film.
Sur la
présentation des personnages dès le départ, je pense que c’était important de
dire : «nous allons faire du cinéma». Au cinéma, on triche toujours un
peu, on essaye de faire croire que c’est vrai ce qu’on montre. Cette façon de
procéder aidait beaucoup l’esprit du film de mon point de vue. Ce côté théâtre
m’aide en fait à casser justement le côté théâtral des films africains. Cela
aidait aussi le spectateur à mieux rentrer dans le film.
Tout
est parti des dialogues. J’ai d’ailleurs passé toute une année à les écrire.
J’aime bien cette façon de parler dans le film que je trouve originale,
inattendue. Car si tu demandes au Cameroun à quelqu’un «comment tu vas ?»,
tu ne sais jamais ce qu’il va te répondre. Il fallait bien se distancer de ce
parler local pour arriver à créer un style. Il y a un côté drôle, un côté
absurde et en même temps très imagé. Je trouve qu’il y a un fond. En plus, la langue
véhicule une philosophie sur la vision du monde. Ce que beaucoup de gens font
c’est qu’ils traduisent leur langue en français et comme il y a plus de deux
cents langues au Cameroun, c’est le seul moyen de communiquer en fait. Je n’ai
fait qu’exploiter cette spécificité du Cameroun dans le film.
Dès
qu’on voit des noirs, un décor africain, tout de suite on croit que c’est
ethnique, mais tout n’est pas ethnique !
J’ai
fait le film sans voix off au départ parce que je n’en voulais pas. C’est en
montant que j’ai décidé de la rajouter, parce que je sentais que le film avait
du mal à démarrer. En faisant ce film, je me suis concentré sur mes forces en
me disant qu’il ne fallait pas se hasarder dans les domaines inconnus de moi.
J’ai
créé un quartier, ce qui fait que même si j’avais des problèmes avec mon récit,
j’avais tellement de personnages sur
lesquels je pouvais m’accrocher pour le faire avancer. J’ai aussi appuyé le
film au montage. D’abord parce que je pense que le Cameroun que je connais
bouge tout le temps ; il y a une dynamique, une vie, un tonus. Moi je
voulais l’Afrique complètement dans un fouillis, dans un bordel. Et ce rythme,
on le sent tel un battement de cœur. Le montage de ce film là est pour moi
comme la danse.
Sur la
musique, je dirais que c’est grâce à elle que je fais le cinéma. C’est parce
que je n’ai pas pu faire la musique que je fais le cinéma.
Quand
tu vis en Afrique, tu vois des enfants naître partout, et cela me fascine. Tout
à l’air très calme, mais il y a plein d’enfants. Cela veut tout simplement dire
qu’il y a une vie que personne ne voit. La vie des gens est un peu centrée
autour du sexe, on vit de ça.
Extrait
du DVD du film sorti en 2003 en France
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